SYMBOLISME ET ART
 
CH.I SYMBOLISME ET COSMOGONIE


La Cosmogonie Perenne

La cosmogonie est une science qui a existé chez tous les peuples archaïques et traditionnels. Elle se réfère à la connaissance de l’homme (cosmos en miniature) et de l’univers (homme en grand), ce qui s’est répété de façon unanime et pérenne au long du temps (histoire) et de l’espace (géographie), décrivant une seule et unique réalité, celle du cosmos, qui est d’ailleurs la même que nous, contemporains, vivons et habitons aujourd’hui, car elle est essentiellement immutable malgré les formes changeantes par lesquelles elle peut être exprimée ou appréhendée, puisqu’elle demeure éternellement vivante.

Cette science, pratiquement inconnue de l’être humain actuel, ce produit du rationalisme, du positivisme, du matérialisme et de la technologie, a cependant été la structure de base, la structure primaire sur laquelle aussi bien les peuples primitifs que les grandes civilisations de l’antiquité (les égyptiens, par exemple) ont fondé leurs croyances, et l’instrument qu’ils ont utilisé pour construire leur vie et leur culture, qui, dans le cas cité en exemple, a duré trois mille ans. L’on pourrait en dire autant de l’empire chinois, ou plus exactement de la Tradition extrême-orientale, bien que cette science soit en réalité un dénominateur commun à toutes les traditions connues, qu’elles soient vivantes comme la tradition hindoue ou le djaïnisme, ou apparemment mortes, comme les traditions précolombiennes.

Nous devons préciser que le mode d’expression normal de cette Cosmogonie Universelle et Pérenne est le symbole, ou un ensemble de symboles en action constituant des codes et des structures qui se conjuguent entre eux de façon permanente, manifestant et véhiculant la réalité, c’est-à-dire la pleine possibilité du discours universel qui devient, par leur intermédiaire, audible et compréhensible. Le symbole est par conséquent la traduction intelligible d’une réalité cosmogonique et, en même temps, cette réalité en soi, au niveau où elle s’exprime.1

Pour l’étude de la cosmogonie, les symboles numériques et géométriques nous intéressent tout particulièrement, car, nous le savons, ils entretiennent entre eux une parfaite correspondance et constituent des modèles paradigmatiques, présents dans toute culture pour conformer la structure même de toute construction, en l’occurrence, la Construction Universelle. Ce que nous traiterons cependant à présent ne portera pas seulement sur les nombres, les figures géométriques et le symbolisme constructif en général, mais plus particulièrement sur le symbolisme de la roue ; sans oublier que ce que la symbolique manifeste en soi, des tréfonds de son intimité, n’est autre que la réalité du cosmos, actuelle et constante, car cette Cosmogonie Pérenne –et pas uniquement la science qui en traite–, est valable pour tous les temps et tous les lieux de notre dimension. Elle n’est rien de plus que le symbole de quelque chose de beaucoup plus vaste qui la transcende, puisqu’elle peut être conçue et expliquée comme une modalité archétypale de l’Être Universel.

L’on pourrait penser, à tort, que les structures symboliques sont de simples conventions utilisées pour décrire la réalité. Ce ne serait valable que dans la mesure où cela serait appliqué à toute manifestation, quel qu’en soit le type, qui est toujours une détermination, une fixation, à commencer par le langage, le verbe ; mais il est évident qu’il est impossible d’appréhender aujourd’hui la réalité si ce n’est par le biais du symbole (linguistique, numérique, géométrique, etc.) et des codes qu’il constitue.
Il faut dire tout d’abord que le symbole n’est pas arbitraire, mais qu’il est l’authentique reflet de ce qu’il exprime, condition indispensable sans laquelle aucune relation ou communication ne seraient possibles. Et rappelons que pour prendre forme il constitue une structure dans le torrent du non-énoncé, dans la vie larvaire et chaotique du devenir.

Les anciens avaient de cette vérité une ample connaissance, d’où la valeur créative qu’ils attribuaient à la parole ; ainsi le sujet fait partie de n’importe quel fait objectif, et par conséquent le génère ; l’histoire de ses cycles témoigne également de cette constante interrelation. Cependant, l’irréalité du monde –et de l’homme– ne peut être observée que parce que ces manifestations existent, et doivent être alors le sujet et l’objet de quelque révélation. Les symboles, tout comme les concepts ou les êtres, sont indispensables au plan de l’Univers, et certains codes, comme entre autres l’arithmétique ou la géométrie, ne sont pas des conventions fortuites mais expriment des réalités archétypales et constituent la base de toute structure, non seulement à « l’extérieur » mais aussi à « l’intérieur » : l’on pourrait donc dire que ces images constituent des catégories propres de l’esprit, et qu’elles font de l’homme un véritable intermédiaire entre le connu et l’inconnu, c’est-à-dire le plus grand des symboles, capable d’unifier par sa médiation la multitude de la dispersion.

Le Symbolisme de la Roue

Il est possible que, d’entre les symboles sacrés de tous les peuples, celui de la Roue soit le plus universel. Cela est dû, d’un côté, au fait que ce symbole apparaisse unanimement, traité de façon directe ou indirecte dans toutes les traditions et semble être consubstantiel à l’homme, et d’autre part, à ce que l’universalité même des significations de la roue, et leur connexion directe ou indirecte avec les autres symboles sacrés, en particulier les nombres et les figures géométriques, font de celle-ci une sorte de modèle symbolique, une image du cosmos. Car sur le plan la jante est un cercle, et la circularité est une manifestation spontanée de tout le cosmos ; l’énergie doit donc provenir d’un point central qui l’irradie, comme dans le cas de la roue, symbole de mouvement ainsi que d’immobilité, qui peut tourner et réitérer ses cycles, rendant la marche possible, grâce à un axe immobile. Sa représentation sur le plan figure comme un centre dont la circonférence extrait sa forme (que ce soit à l’aide d’un compas ou d’une ficelle, il est indispensable d’avoir un point fixe pour pouvoir tracer la circonférence) par irradiation, tout comme l’énergie potentielle de l’axe se transmet à la jante au moyen des rayons de la roue, analogues au rayon de la circonférence2 ; quiconque ayant tracé une circonférence sait qu’elle dépend du point central et non l’inverse.

Entre le point central et la circonférence se forme le cercle ; la valeur arithmétique assignée au premier est l’unité, représentation naturelle du point géométrique, et pour la seconde c’est le neuf, le chiffre du cycle, puisque c’est celui de la circularité, comme nous le verrons plus loin. La somme des deux nous donne la dizaine (1 + 9 = 10), le modèle numérique de la tetraklys pythagoricienne, ce qui peut être rapporté à toute autre arithmosophie, puisque les nombres –et les figures géométriques– sont des modules harmoniques archétypaux, valables dans toute la manifestation et donc pour tout temps et tout lieu de ce cycle humain.

Il ne faut donc pas s’étonner si cette étude traite tout ensemble les symboles de la roue et du cercle, celui de la spirale, et même celui de la sphère, car celle-ci n’est autre que le cercle dans la tridimensionnalité. Seront également mentionnés des symboles étroitement liés à celui de la roue, comme la croix, le carré, et d’autres encore, tout comme l’on recourra aux diverses traditions qui en témoignent.  Néanmoins, ce symbole est présent dans notre propre Tradition et se trouve donc à portée de nos travaux. Dans notre quotidien même, nous pouvons constamment l’observer ; il est en fait évident dans la vie elle-même, puisque, comme nous l’avons dit, les choses se produisent avec un mouvement circulaire et sont par conséquent cycliques, ceci représentant une pensée émise par toutes les doctrines métaphysiques, bien que certaines la tiennent pour une évidence alors que d’autres insistent tout particulièrement dessus. La figure schématique de la roue sur le plan a été associée au soleil par de nombreux peuples et, de fait, il s’agit encore aujourd’hui de son symbole astrologique ; en alchimie, elle représente l’or, son équivalent terrestre. De là à associer le parcours du soleil à un char doré, ou de feu, il n’y a qu’un pas. Mais c’est un symbole d’une portée bien plus vaste qui est en correspondance avec la notion archétypale de Centre : ce qui est capable de générer un ordre dans la masse amorphe du chaos ; le point immobile indispensable à toute création, le moteur grâce auquel le devenir prend son sens.

Ce point central de la Roue du Monde est, nous l’avons vu, en communication avec la périphérie à travers ses rayons, qui sont donc les intermédiaires entre eux ; et tandis que la roue tourne sur elle-même, symbolisant le mouvement et le temps, l’axe demeure fixe, exprimant l’immobilité et l’éternel3.

Le cercle et la sphère ont été tenus par de nombreux peuples et différents auteurs comme des figures parfaites et des expressions de la totalité. La roue, en particulier, est associée aux cycles qu’elle réitère sans cesse, et par conséquent à tout ce qui est relatif, passager, contingent, mais aussi et surtout à la récurrence, à la réitération. Comme l’on pourra l’observer, c’est un symbole qui se prête à d’innombrables transpositions sur le plan métaphysique, ontologique et cosmique, et qui est un objet de connaissance et de spéculation.

Ce qu’un point central est au cercle, l’axe l’est par rapport à la sphère, donc le centre et l’axe sont en parfaite correspondance, le premier étant un symbole plan et l’autre l’expression tridimensionnelle du même concept.
Si le point est virtuel, « immanifesté » et géométriquement inexistant, la périphérie de la roue sera en revanche visible et représentera la manifestation dans l’ordre cosmique, et dans le monde de l’homme, toute expression microcosmique ; ainsi, le point et le cercle peuvent donc être assimilés au potentiel et à l’acte, et, par voie de conséquence, à la contemplation et à l’action.

La première division à laquelle peut donner lieu le symbole de la roue est la bipartition de la figure qui la représente en deux moitiés analogues et exactes. Celles-ci représentent les deux mouvements, ascension et descente, que réalise la roue au cours d’un cycle, que ce soit celui du soleil dans l’année, ou celui du jour, ou celui de la lune dans un mois, ou celui de la vie d’un être humain ; le cycle de naissance et de mort dont est marquée toute création.

Commencement et fin ont une origine et une destination communes, ce qui donne en outre naissance aux notions de réitération ou répétition, croyances et concepts de tous les peuples archaïques et traditionnels qui ont toujours vécu selon un temps cyclique et non linéaire, tel que le conçoivent généralement nos contemporains. Tout point de la périphérie –ces points sont en nombre indéfini et peuvent chacun symboliser la vie d’un homme au sein de la multitude de la création– est un reflet du centre et s’y trouve connecté par le rayon ; mais alors que sur la jante tout est successif, du point de vue central les choses sont simultanées. Cette figure peut bien évidemment être adaptée aux notions d’intérieur et extérieur, de lumière et reflet, ainsi que de réalité et illusion, étant donné que la permanence du point n’est pas altérée par les formes changeantes et toujours périssables de l’écoulement périphérique.

René Guénon nous dit que :

Le centre est, avant tout, l’origine, le point de départ de toutes les choses ; c’est le point principiel, sans forme ni dimensions, donc indivisible et, par conséquent, la seule image que l’on puisse donner de l’Unité Primordiale. De là, par irradiation, se produisent toutes les choses, de même que l’Unité produit tous les nombres, sans que pour cela son essence soit modifiée ou affectée d’aucune manière.

Tous les points de la circonférence se trouvent à la même distance du centre, ils en sont équidistants, et donc les innombrables énergies du cosmos sont neutralisées en son sein. Géométriquement, c’est l’axe vertical qui traverse plusieurs plans circulaires horizontaux, qu’il génère lui-même, et qui tournent comme des roues autour de lui, formant la chaîne des mondes, les divers états d’un Être Universel.

Ayant atteint ses propres limites, l’énergie de l’irradiation retourne à sa source par le biais du même rayon qui connecte entre elles source et limites, pour se trouver réabsorbée au sein du Principe, d’où elle émanera de nouveau vers la périphérie, constituant ainsi cette interrelation, ad extra et ad intra, une sorte de respiration universelle marquée du sceau des lois cosmiques de la dialectique. Ainsi le Centre, ou l’Axe, est l’Origine et le Principe, et Il irradie tout, et tout Lui revient.

Le centre est donc une région mythique, une idée archétypale qui se manifeste néanmoins en des points déterminés de la circonférence qui, de cette manière, deviennent à leur tour les centres des systèmes qu’ils auront générés, à condition qu’ils soient les reflets authentiques du point originel ou, ce qui revient au même, que ce Centre soit une théophanie, ou une hiérophanie, un lieu, une personne ou un objet qui exprime l’unité de façon particulière et l’irradie de même.

Dans ce cas, les différents centres ou points significatifs de la périphérie seraient des foyers « cosmisés » qui établiraient le contact à travers leur intervention avec le point central, se distinguant ainsi du mouvement homogène et réitératif de la Roue. Selon le taoïsme, le sage parfait pourrait par cette voie accéder au « point central de la Roue », en communion avec le principe, au repos absolu, imitant « son action non agissante »4.


Symbole, Mythe, Rite

Le symbolisme du « centre du monde » pourrait être transposé à celui de « l’axe du monde », et notre symbole pourrait alors être associé à tous ceux qui ont cet axe pour signification. En particulier les symboles de l’arbre (Arbre de la Vie) et de la montagne, et tous les indicateurs de points de conjoncture dans la géographie et l’histoire sacrée, dont les manifestations ont eu lieu au cours des temps et en différents lieux. Ces endroits ou ces êtres spéciaux, qui sont des symboles en raison de leurs qualités magiques et théurgiques, provoquent une rupture de niveau permettant d’entrer en communication avec d’autres mondes, ou des états de conscience différents, avec des zones interdites de l’univers et de nous-mêmes, au moyen du plan intermédiaire de l’âme, qui occupe l’espace entre le foyer et tout point périphérique. Chez l’être humain, le Centre dont nous parlons est logé dans le cœur, comme toutes les traditions en témoignent.

La montagne et l’arbre sont en outre deux symboles d’ascension, de même que l’escalier, et sous-entendent la notion de sortie d’un plan ou monde, et l’accession à un autre lui étant supérieur. Cette possibilité est signalée géométriquement par la figure de la spirale, capable de sortir de la réitération routinière pour projeter un nouveau mouvement circulaire, cette fois sur un plan distinct. La spirale est également souvent représentée sous forme double, constituant en volume une sorte de toupie dont l’une des spirales est « évolutive » et l’autre « involutive », perpétuellement interchangeables et complémentaires.

D’autre part, le cercle est analogue au carré. L’on pourrait dire que ce dernier est une solidification du premier, marquée par l’agressive rigidité de ses arêtes comparée à la tendre suavité de la forme circulaire ; cela peut également s’appliquer au cube et à la sphère. Mais néanmoins ces deux figures possèdent 360 degrés, puisqu’il s’agit de la surface du cercle, également constituée par les quatre angles droits à 90 degrés du carré. Traditionnellement, la figure de la sphère, ou du cercle, a été considérée comme étant plus parfaite que celle du cube ou du carré. Nous en avons déjà mentionné l’une des raisons : les rayons qui unissent le centre et la périphérie de la sphère sont de la même taille, alors que ce n’est pas le cas du cube ou du carré. Le cercle a été généralement assimilé au ciel (une demi-sphère) et le carré à la terre. A eux deux, ils constituent le cosmos, ce qui peut être observé dans le symbolisme architectural, en particulier celui du temple, puisqu’il représente une image de l’univers5. L’association du cercle avec le carré (et le quaternaire avec la croix) est donc le résultat naturel des caractéristiques inhérentes à ces symboles, lesquels s’entrelacent de façon spontanée de la même manière que les idées et archétypes qu’ils représentent.

Nous reviendrons plus loin sur ces sujets, mais voudrions à présent apporter quelques précisions sur les symboles ainsi que sur les mythes et les rites. Pour commencer, signalons de nouveau que les symboles ne sont pas, pour la Symbolique, ce que l’homme contemporain entend généralement par là de nos jours. C’est-à-dire de simples allégories ou conventions imposées par l’être humain. Nous le répétons : ces versions ne sont en réalité que des niveaux de lecture de ce qu’est le symbole en soi, l’accent n’est mis que sur leur aspect psychologique, ou simplement sur leur valeur pratique, et elles entraînent implicitement le danger énorme de ne réduire le symbole qu’à cela, ce qui revient à rien de moins qu’à le nier par l’altération de son sens. Le symbole est bien plus vaste et ne se réduit pas à ces deux lectures : son caractère est essentiellement métaphysique et ontologique (puisqu’il se réfère à l’être et qu’il est transformateur), et par conséquent archétypal. C’est cela, le symbole, et sa fonction, quel que soit le niveau de lecture d’où il est observé, n’est autre que celle du vecteur conduisant du connu à l’inconnu.

Quiconque ayant eu l’opportunité d’étudier les cultures traditionnelles a pu observer l’importance transcendantale que le symbole y a toujours. Pour celles-ci, en effet, le symbole est en soi chargé d’une énergie spéciale, d’une force magique ­­−puisqu'il manifeste des vérités inconnues de secrets implicites dans le monde, et ainsi les révèle−, il est objet de vénération et de révérence, comme en témoignent les sociétés archaïques qui tiennent ces symboles (ou les objets-symboles) pour les authentiques représentants d’autres mondes verticaux ; des énergies de l’au-delà, capables de transmettre la connaissance d’autres réalités, ou mieux, d’autres plans, qui constituent également la totalité de la réalité.

Quant au mythe, bien évidemment présent dans toutes les cultures anciennes, en plus de révéler des vérités cosmogoniques et de proposer un modèle de vie et de réalisation exemplaire, c’est le facteur liant qui a donné leur cohésion aux existences d’innombrables peuples, permettant ainsi leur organisation sociale. Le mythe est un symbole qui se transmet oralement ; d’autre part, le rite dramatise le mythe et l’actualise perpétuellement en le symbolisant ; par conséquent, symbole, mythe et rite constituent un ensemble, ce qui a été signalé par ailleurs, et il est sous-entendu que lorsque nous parlons de symbole, nous nous référons également au mythe et au rite.

Pour en revenir au terme métaphysique, exceptant le fait qu’il fait référence à ce qui est au-delà de la physique, précisons qu’en l’employant l’on mentionne non seulement ce qui dépasse la matière, mais aussi ce qui est au-delà du psychologique, puisque archétypal. Et plus encore, car le sens qui dans la symbolique est donné au mot métaphysique revient à vouloir exprimer ce qui est au-delà de l’être, le supracosmique et supra-humain.

Le symbole est le véhicule reliant deux réalités, ou plutôt deux plans de la même réalité. Il fait donc partie des deux, d’où sa pluralité de significations. Dans l’Antiquité, le symbole était le représentant d’une énergie-force qui permettait une rupture de niveau, l’accession à d’autres mondes, ou l’acquisition de la connaissance de différents plans de ce monde-ci, caractérisés par différents niveaux de conscience. Par conséquent, le symbole était, et est, le moyen de communication entre les dieux et les hommes, objet sacré par excellence, puisqu’il raconte l’histoire véritable, efficace, et non pas l’histoire changeante aux multiples fausses apparences. Il décrit alors la réalité telle qu’elle est et ne permet donc pas la confusion des sens, les déviations et complications pour lesquelles notre personnalité a tant d’inclination. L’on croit donc en lui, et on lui reconnaît les valeurs dont il est porteur, sans tomber dans l’erreur grossière de prendre le symbole pour ce qu’il symbolise ni le véhicule pour le but du voyage.

Le terme grec symbolon faisait référence aux deux moitiés de quelque chose, qui s’assemblaient, qui coïncidaient, et constituaient un signe de reconnaissance ; l’on peut immédiatement remarquer que ces deux moitiés sont analogues, ce qui caractérise la symbolique, car rien ni personne ne peut exprimer quelque chose ou le transmettre si ce n’est au moyen d’une correspondance entre ce qu’il veut manifester et la façon dont il le manifeste. La représentation symbolique doit donc exprimer l’idée métaphysique, décrivant et reproduisant la cosmogonie archétypale, participant ainsi au processus créateur. Nous le voyons, le symbole est intimement lié aux lois d’analogie et de correspondance présentes dans le Modèle de l’Univers, dans la Cosmogonie Pérenne.

En fait, n’importe quelle chose peut être un symbole, puisqu’elle exprime à sa manière son origine et la main de son créateur, le mystère qu’elle renferme en elle. Toute expression est symbolique puisqu’elle comporte implicitement un geste originel. Il faut cependant faire la distinction entre les symboles révélés spécifiquement en vue de la connaissance d’une réalité concrète, et les symboles spontanés de la psyché individuelle qui est pour cela incapable de dépasser ce niveau de conscience. Tandis que les premiers sont supposés comme étant non-humains, les seconds ne peuvent dépasser le niveau psychologique que la symbologie associe au lunaire et sub-lunaire. Les premiers expriment une réalité transcendante, les autres ne parviennent à manifester que le pouvoir immanent et trahissent la griffe du démiurge.

Il faut également distinguer le symbole de l’emblème, et surtout, nous l’avons dit, de l’allégorie, qui dispose un espace entre le symbole et le symbolisé, et se présente elle aussi comme une version au niveau psychologique, inexistante ou rêvée, différente de la réalité et de l’exactitude exprimée par les symboles.

Sous forme graphique, dans les arts plastiques et les monuments, sont conservés les symboles visuels des cultures antiques ; sous forme orale se sont transmis leurs mythes et leurs chants rythmiques rituels, répétitifs et cycliques, et beaucoup ont été conservés par écrit ; anthropologues, archéologues, historiens et autres spécialistes nous communiquent de nouvelles découvertes venant confirmer l’importance que les peuples traditionnels attribuaient à leurs symboles, car connaissant la Cosmogonie Archétypale, ils réitéraient ses expressions symboliques, enseignées et apprises, puisque la connaissance du sens du symbole ne peut être obtenue autrement.

De nos jours, la notion d’un Modèle de l’Univers (que connaissaient tous les peuples traditionnels) est étrangère à la mentalité officielle, ce plan archétypal et invariable impliquant la présence d’un Architecte et valable pour tout temps et tout lieux, à l’échelle humaine, et qui, de fait, est aussi en train de se dérouler maintenant. L’on ignore de même l’existence de la Philosophie Pérenne, à savoir de la même philosophie, identique en principes, dans toutes les traditions du monde. Cette Cosmogonie et Philosophie pérennes se dissimulent dans les symboles traditionnels, dont l’origine est révélée, qui peuvent être incarnés par ceux qui y parviennent, car les connaissances, les énergies et les expériences contenues dans les symboles étant de caractère archétypal et cosmogonique, elles peuvent être vécues dans un présent constant, à condition que les intéressés aient la patience de rendre effective une nouvelle forme d’apprentissage et d’être touchés par la grâce ; cela reste en tout cas une étrange expérience qui est parfois vue comme bizarre et difficile à assumer, comme en témoigne la troupe alchimique6.

La roue, en tant que symbole du cycle, est assujettie à un invariable retour qui possède cependant certains points la limitant. L’on peut voir un exemple magnifique de ces points dans la course du soleil au fil de l’année, la roue solaire, qui se caractérise par deux moments extrêmes de son parcours lors desquels le soleil semble arrêter sa course ; nous nous référons aux solstices d’hiver et d’été. Ceux-ci peuvent parfaitement être situés aux extrémités de la roue, ou du cercle, et signaler ces moments. Il y a également d’autres signes importants dans le parcours du char solaire, les équinoxes, qui se trouvent être parfaitement équidistants par rapport aux solstices, traçant ainsi un cercle divisé en quatre parties exactement égales.

Mais le quaternaire en tant que division normale du cycle ne se reconnaît pas seulement dans le parcours annuel du soleil, mais également dans sa course quotidienne (apparente), qui est elle aussi divisée en quatre parts égales : à minuit (0 h.), à l’aube (6 h.), à midi (12 h.) et au coucher (18 h.) 7.

L’on peut de la même façon retrouver le quaternaire dans n’importe quelle manifestation, puisqu’il est le sceau de la création : ainsi en est-il dans la division spatiale où il fixe les quatre points cardinaux par rapport à la ligne d’horizon8.

L’on pourrait aussi énumérer d’autres exemples de cette loi du quaternaire ; les différents âges de l’homme : enfance, jeunesse, maturité, vieillesse. De même, les âges du monde, caractérisés, du plus haut au plus bas, par l’or, l’argent, le bronze, et le dernier, que nous sommes en train de vivre, par le fer. Idem pour les saisons de l’année : printemps, été, automne, hiver ; les phases de la lune ; et aussi les éléments, ou principes constitutifs de la matière : Feu, Air, Eau et Terre, auxquels les diverses traditions ont en outre associé des couleurs en signes qualitatifs.

De nouveau, nous relions ainsi étroitement les figures du cercle et du carré par le biais du quaternaire. Le cycle, à savoir le symbole de la roue en mouvement, fusionne indissolublement ces figures, en un lien étroit avec la symbolique attribuée à l’espace et au temps, le cercle étant assimilé à ce dernier et le carré (ou le quaternaire) se rapportant au premier.

La roue à six rayons possède une particularité magique : la dimension du rayon partage toujours la jante en six parts égales.

La roue du zodiaque divise l’année en douze périodes, appelées signes, lesquels sont également assimilés à des ères dans de plus grands cycles ; toutes ces subdivisions appartiennent à la figure divisée par le binaire et le quaternaire, comme nous l’avons vu. Ajoutons que le terme « zodiaque », d’origine grecque, se traduit par « roue de la vie ».
Les nombres variables de rayons des roues ne sont pas arbitraires et font référence à la partition du cercle en divers segments, numérotés différemment, selon la manière que l’on aborde la figure, dans quel contexte, et dans quel but ; tout cela est de plus lié aux attributs propres à chaque nombre et à ses correspondances géométriques.

Dans la Tradition Hermétique, où il se produit un amalgame entre les mots rosa et rota (roue), la fleur est l’image de la circularité, ce que l’on peut parfaitement observer dans les mandalas que constituent certaines rosaces de cathédrales européennes, ou dans le nom de la fraternité Rose-Croix. Cela rend particulièrement significatives les différentes modalités du symbole en général, le rapportant à des aspects dissemblables de la réalité, ou plutôt à des références diverses sur la façon de la considérer, toutes complémentaires entre elles.

De même que le point correspond à l’unité arithmétique et le quadrangle au chiffre quatre, le cycle s’exprime par le neuf. Ce nombre ne peut pas être réduit et il est connu que tous ses multiples (et sous-multiples) y retournent inéluctablement. Par exemple :
9 x 2 = 18 = 1 + 8 = 9 ; 9 x 3 = 27 = 2 + 7 = 9 ; 9 x 4 = 36 = 3 + 6 = 9, etc. D’un autre côté, il divise la circonférence en quatre parties (360º = 90º x 4), et introduit la circularité dans les chiffres auxquels il est connecté, ce que font également ses multiples, rapportant ainsi tout nombre obtenu à la figure du cercle ; il nous faut rappeler que celle-ci est formée par la valeur 9 de la circonférence, plus la valeur 1 du point central. C’est également le cas du quadrangle qui se construit de la même manière à partir d’un point central coupé par deux orthogonales, ce qui représente une croix dont l’exact milieu est un nouveau point, le nombre cinq, qui correspond en alchimie à l’éther, en philosophie à la quintessence, et dont l’importance a été notoire dans diverses traditions, parmi lesquelles la chinoise et les précolombiennes9. Le nombre sept a la même particularité, puisqu’il est considéré comme le point central d’une roue à six rayons. En réalité, et par une autre des transpositions entre le symbole du cercle et du carré et du plan au spatial, le sept est le point central du cube, qui possède six faces et douze arêtes, un autre des symboles-modèles de l’univers10.

Le symbolisme des nombres, comme nous l’avons souligné, est en rapport étroit avec notre sujet. Le système pythagoricien décimal, qui est celui que nous utilisons, est formé par neuf nombres appelés entiers naturels, auxquels vient s’ajouter le zéro qui possède une valeur positionnelle aux différents niveaux où il est exprimé : dizaines, centaines, etc. ; revenant à chaque niveau la réitération des mêmes neuf nombres dans leur voyage circulaire.

Pour l’hermétisme pythagoricien, la série numérique possède une caractéristique spéciale : l’unité génère tous les nombres et, par addition, se retrouve présente en chacun ; ainsi le nombre un serait le plus grand, et les autres, des divisions ou des fragmentations de l’unité primordiale. L’on voit qu’ici les nombres n’expriment pas de simples quantités, mais des qualités, puisqu’ils sont pris en tant que modules harmoniques archétypaux. Dans l’Antiquité, c’est primordialement l’idée signifiée par le nombre qui était prise en compte; c'est-à-dire que cette échelle était utilisée de manière verticale, et c’est dans ce but qu’elle avait été conçue ; cela n’empêchait pas qu’elle soit aussi employée sous forme quantitative et horizontale pour des fonctions considérées comme secondaires ou réflexives.

Les concepts manifestés par les nombres et leurs représentations géométriques sont intimement associés à ce qui est métaphysique et cosmogonique, et correspondent à des réalités essentielles de l’univers et de l’homme. Les combinaisons entre les différents nombres de la gamme rendent possible la cohésion universelle, puisque les nombres ne sont en fait ni plus ni moins que des notions de relation. Le dénaire est une clef magique : l’on peut tout nommer à l’aide des dix premiers nombres. Dans la tradition hébraïque, les nombres eux-mêmes sont représentés par des lettres, car tout l’alphabet possède une valeur numérique ; de même dans l’islamisme. Le rapport entre lettre et lettre ou, ce qui est la même chose, entre nombre et nombre, produit le discours du cosmos, le langage de l’univers, car chiffres et lettres constituent des codes révélateurs de la connaissance de l’Être Universel.

CH II SYMBOLISME ET SCIENCE SACRÉE


L’Initiation

Nous avons examiné la Roue comme symbole du mouvement et de ce qui est cyclique, c'est-à-dire dans sa forme temporelle, ainsi que dans sa forme spatiale en tant que centre et axe. Dans ce dernier cas, tous les peuples traditionnels ont placé leur cité, leur temple, voire même leur maison, en des points significatifs du paysage amorphe, c'est-à-dire du chaos et du devenir. Ces points sont des centres spécifiques de génération et d’irradiation d’une culture, étant donné qu’ils se connectent précisément à d’autres plans de la réalité, de manière verticale, et qu’ils se manifestent dans cet omphalos. De la sorte, les connaissances obtenues grâce à l’inspiration des dieux se répandent également de manière horizontale.

Ce qui est valable pour le cercle l’est aussi pour le quadrangle ; la figure du carré étant une contraction, ou une solidification, du cercle, elle se prête tout spécialement à l’architecture, et son symbolisme est la fixation d’un espace significatif dans l’écoulement du devenir. Mircea Eliade affirme que :

La création du monde devient l’archétype de tout geste humain créateur, quel que soit son plan de référence. Nous avons vu que l’installation dans un territoire réitère la cosmogonie. Après en avoir déduit la valeur cosmogonique du Centre, l’on comprend alors mieux pourquoi tout établissement humain répète la Création du Monde à partir d’un point central (l’« ombilic »). A l’image de l’Univers qui se développe à partir d’un centre et s’étend vers les quatre points cardinaux, la cité se constitue à partir d’une croisée des chemins.

Et aussi :

Le véritable Monde se trouve toujours au « milieu », au « centre », car c’est là que se trouve une rupture de niveau, une communication entre les deux zones cosmiques.

Nous avons cité quelques cas de symboles de l’axe, ou du pôle, bien que, en principe, tout ce qui dénote verticalité lui soit associé : sur le plan, il serait tout spécialement représenté par la croix svastika −selon l’opinion d’auteurs qualifiés−, symbole traditionnel auquel a été dévolu le rôle de devenir un exemple typique de la dégradation de la mentalité symbolique contemporaine.

L’arbre est lui aussi assimilé à la verticalité, c'est-à-dire à la rupture de niveau, ainsi qu’à l’irruption de la vie, la génération et la fructification sur le plan horizontal. La connaissance de cet Arbre de Vie se retrouve de manière unanime (ou ses équivalents, le poteau rituel, l’obélisque, la colonne, ou le menhir) ; il est présent aussi bien dans la Kabbale Hébraïque −dont le modèle de l’Univers, constitué par les sephiroth (les numérations), porte précisément ce nom−, que dans la civilisation maya, dont l’arbre sacré était le ceiba (fromager), planté encore de nos jours au milieu de la place centrale des villages de cette zone ; ainsi que chez les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Celtes, et les aborigènes d’Amérique du Nord, d’Afrique et d’Australie.

Le symbolisme de l’arbre comprend trois niveaux : les racines, le tronc et les branches, assimilés aux trois mondes : souterrain, intermédiaire et céleste. Dans les cultures où l’homme lui-même est pris en tant que symbole vertical, les niveaux sont la terre, l’homme et le ciel. Ces deux versions nous parlent de la notion d’Univers hiérarchisé en plusieurs mondes distincts, qui sont également présents dans l’âme de l’homme, constituant différents plans de la réalité.

Le symbolisme de la montagne prend la même référence, ainsi que sa réplique constructive humaine, la pyramide (ou la ziggourat), dont l’ascension doit être réalisée par paliers. De même, le symbolisme de l’escalier ne signifie pas autre chose : rappelons ici l’épisode biblique si souvent cité du rêve de Jacob, dans lequel il voit des anges monter et descendre sur une échelle, assurant ainsi la communication entre le ciel et la terre.

Dans le symbole de la Roue, ces symboles sont établis comme des cercles concentriques dans le plan intermédiaire, qui se trouvent plus ou moins éloignés du point central, correspondant à l’axe vertical. Dans la tradition hindoue, c’est un axe invisible, un fil, le sushumnâ, qui traverse tous les mondes ; cet axe est représenté chez l’homme par la colonne vertébrale, à la base de laquelle se trouve endormi le serpent kundalinî, et où s’articulent les différents chakras, disques ou roues, énergies que kundalinî activera en s’éveillant, et qui sont étroitement liées au processus de Connaissance et à sa ritualisation : l’Initiation.11

Ces degrés de connaissance vont du plus dense au plus subtil ; du pied de la montagne, ou de la pyramide, à son point le plus haut ; du chakra inférieur de la colonne vertébrale (mûlâdhâra) à celui du sommet du crâne, le chakra supérieur (sahasrâra) ; c’est, en termes kabbalistiques, le « parcours » séparant Malkhuth de Kether, c'est-à-dire allant de la manifestation universelle à son Principe ; dans le symbole de la Roue, les cercles concentriques se trouvent logiquement hiérarchisés en fonction de leur proximité du point central où les rayons se rapprochent se plus en plus intimement de Lui.

Nous pouvons également associer ces degrés de connaissance aux niveaux de la conscience humaine, ou aux plans de lecture de l’ensemble de la manifestation, et non pas d’une seule de ses parties, ou de ses composantes. Fondamentalement, nous voulons signaler quatre plans de lecture de la réalité, qui ne sont plus que trois dans de nombreuses traditions, où sont confondus les deux niveaux assignés au plan intermédiaire12. Ces niveaux de lecture sont les mêmes qui sont attribués à tous les textes et livres sacrés, à commencer par la Bible, et sont propres à toutes les Traditions, en particulier celles dites du « livre » (juive, chrétienne, islamique), car elles symbolisent par ce « livre » la manifestation originelle du verbe, la révélation, une permanente théophanie, c'est-à-dire l’axe central qui permettra l’ascension ordonnée de la hiérarchie des mondes.13

Lecture métaphysique                   Atsiluth
Lecture cosmogonique                  Beriah
Lecture allégorique                       Yetsirah
Lecture littérale                             Malkhut

Les peuples archaïques avaient de l’Initiation une connaissance unanime ; en réalité, seule l’époque moderne l’ignore, bien qu’elle demeure présente au sein de notre société dans son caractère archétypal. C’est le cas pour l’Occident, où le Christianisme, et la Franc-Maçonnerie, offrent à travers leurs symboles et leurs rites une voie de réalisation, à condition que les intéressés puissent en pénétrer les arcanes, dans l’essence de leur être, tâche qui ne sera pas exempte de difficultés en tout genre, étant donné le degré d’éloignement des origines où se trouvent les religions et les institutions. Cela vaut également pour le judaïsme ; d’où l’importance que prend la gnose de la Voie Symbolique et de la Tradition Hermétique en tant que véhicule de réalisation spirituelle.
De plus, certaines initiations subsistent parmi les peuples « primitifs », ce dont témoigne l’anthropologie ; en règle générale, ce que les anthropologues appellent « les cérémonies sociales » demeurent, comme les rites de puberté, c'est-à-dire le passage de l’adolescent à l’homme, ou de la jeune fille à la femme ; l’une des raisons en est que toute la communauté participe à ces initiations, au contraire des rites « sapientiels » −même s’il n’y est pas toujours nécessaire de savoir lire ou écrire−, que ne réalisent que les individualités appelées à la Connaissance.

Cependant, il y a-t-il plus grande expérience de sagesse, en pratique, que d’affronter une nouvelle position dans la vie, faisant du nouvel homme le responsable de lui-même et de son action dans le monde ? Assumer une place ordonnée au sein du cosmos, y prenant part avec intelligence, ce qui est en outre une attitude face à soi-même et devant les autres, ne serait-il pas un niveau de connaissance vitale ?

Les initiations, de tous temps et tous lieux, ont été obtenues grâce à des épreuves et des sacrifices (sacrifice, de sacrum facere, faire sacré) qui s’expriment symboliquement par le sang, élément essentiel. L’on sait que le processus psychologique initiatique que suppose le sacrifice est la meilleure préparation à la Connaissance. Dans ce sens, de nombreuses épreuves doivent être affrontées quotidiennement par l’étudiant de la symbolique et de l’alchimie (familièrement appelé « mixte ») : il doit non seulement lutter contre lui-même, contre les conceptions étroites et acquises de son milieu, mais aussi contre ce milieu qui s’oppose à quiconque oserait penser autrement que de manière littérale et « officielle ». Par les temps qui courent, il n’y a pas d’espace idéal −voire même concret, parfois−, où puissent avoir lieu les initiations. Il n’y a pas non plus de temps spécifiquement indiqué, puisque le temps possède la vertu de se régénérer perpétuellement ; pour le travail, c’est toujours maintenant, et il existe bien sûr des rapports étroits entre la Symbolique et la réalisation spirituelle qui s’expriment dans tout ce qui a été appelé précisément la Voie Symbolique, dont l’un des moyens, la prière du cœur, ou oraison concentrée, est une réitération circulaire et constante de l’invocation. Attendre le moment et l’endroit opportuns pour l’initiation peut être une cause d’éloignement définitif.

En réalité, l’Initiation ritualise le processus de Connaissance : c’est donc en définitive ce dernier qui en est l’intérêt véritable, l’intérêt réel ; bien des gens peuvent parfois participer à des rites initiatiques traditionnels sans même se rendre compte de ce que signifie la Connaissance et, inversement, un individu qui n’aurait participé à aucun rituel pourrait couronner son processus de Connaissance, de réalisation, qui est en somme ce que symbolise l’Initiation. Cela ne veut absolument pas dire que ceux qui considèrent que la Connaissance s’est produite en eux et ont l’opportunité d’être initiés dans une forme traditionnelle ne le fassent pas. Au contraire, toute Tradition authentique possède les moyens spirituels nécessaires pour les aider dans leur cheminement, et offre en outre la possibilité de « régulariser » leur situation et de les intégrer au sein d’un courant spirituel qui leur apportera son énergie et auquel ils feront l’offrande de leur effort. Bien que, dans l’actualité, la dégradation des religions en soit arrivée à un tel point qu’il ne reste en elles presque plus rien qui demeure en rapport avec la Sagesse ; souvent, l’étudiant optera pour une forme différente de celles d’Occident. Rappelons que le rituel traditionnel pose en exemple l’histoire archétypale de l’incarnation, le mythe du dieu-homme et de l’homme-dieu.

Conjonction des Opposés

Un symbole très clair et directement apparenté à celui de la Roue, par sa propre forme et sa nature, est le célèbre Yin-Yang de la Tradition Extrême-Orientale, symbole de l’analogie et par conséquent, comme le sceau salomonique, expression de la science symbolique en soi.

Comme on le sait, le taoïsme considère que l’équilibre cosmogonique est dû à l’action permanente de deux forces opposées, le Yang (force positive) et le Yin (force négative), qui conjuguent une harmonie, laquelle est l’univers lui-même, et que ces énergies, représentées par une double spirale, sont présentes en toute chose, être ou phénomène, conformant tout processus créatif.

Ce processus, permanent et magique, qui renferme d’un côté un pouvoir lié à la passivité, au froid, à l’inertie, au carré (Yin), et de l’autre associé à l’activité, la vitalité, la chaleur et le cercle (Yang), les alternant et les rééquilibrant constamment, constitue un tout indestructible, car il est évident que l’un ne pourrait exister sans l’autre.14 C'est-à-dire que chacun possède en lui quelque chose de l’autre, une affinité, sans laquelle ils ne pourraient s’opposer. Ce sont en réalité deux foyers polarisés d’une seule et même force. Cette opposition, dans le vaste Plan Universel, est une complémentation, car la dialectique forme part de l’harmonie et du discours du Monde.

Ainsi le taoïsme, comme toute tradition, n’exclut pas le mal, la destruction, etc., de sa cosmogonie, mais l’y incorpore comme une composante de la réalité, tel le symbole du dragon ou du monstre aquatico-igné, qui représente aussi bien l’énergie chtonienne que l’ouranienne. Ce qui signifie qu’il n’exclut pas les contraires, mais qu’il les rend complémentaires. Il serait impossible de réaliser une énumération de tous les opposés, mais il est néanmoins très important d’en faire une liste à titre personnel, car il n’y a pas de meilleur exercice pour connaître les thèmes de la symbolique, de la métaphysique, de la cosmogonie et de l’ésotérisme, que de les conjuguer en permanence.

Rien n’est bien ou mal en soit : ce qui est bon pour les uns peut être mauvais pour les autres et vice-versa. En revanche, ce qui ne convient absolument pas est d’avoir des opinions inamovibles sur différents sujets, idées qui, outre le fait d’être fixées par les us et coutumes, ne sont pas personnelles, comme on le croit, mais ont été tirées de l’éventail des possibilités du milieu, souvent par hasard ; et cela sans compter une foule de phobies, manies et conditionnements qu’elles provoquent, avec lesquels le sujet finit par s’identifier, au point d’être capable de tuer, les prenant pour les véritables réalités d’un monde qui n’est rien d’autre qu’une représentation théâtrale, une lanterne magique en perpétuel devenir.

Le taoïsme ne parle pas beaucoup du Tao, en raison même de son caractère insaisissable, mais quelques textes comme le Tao-Te-King mentionnent néanmoins un Tao de la terre, un Tao de l’homme, un Tao du ciel et un Tao de Taos ou Tao Innommable. En règle générale, l’on appréhende le Tao comme l’anneau invisible qui renferme les pouvoirs Yin-Yang. Dans ce cas, à partir de l’Unité parfaite et indifférenciée du Tao, androgyne ou hermaphrodite15, se produit un couple d’opposés qui se complètent en permanence, générant tous les plans, et constituant avec le corps même du Tao une indissoluble Trinité. C’est pour cette raison que le texte taoïste déclare également que tous les nombres découlent de la combinaison des trois premiers.

Le taoïsme nous parle cependant d’une autre triade : le ciel, l’homme, la terre, l’homme étant l’intermédiaire entre les deux termes. Dans la symbolique de la roue, le point central pourrait être attribué au ciel, la périphérie à la terre, et le rayon qui les unit serait assimilé à l’homme. Dans la symbolique chrétienne, ils se rapporteraient à l’esprit, l’âme et le corps, et en alchimie, aux manifestations informelle, subtile et grossière, ou souffre, mercure et sel, et en termes de Platon, à l’Essence conjuguant le Même et l’Autre, encore que ces deux derniers exemples trouveraient graphiquement un meilleur symbole dans un triangle équilatère dont la pointe supérieure serait polarisée à la base. Cette interpénétration d’énergies que représente le symbole yin-yang, ce double hélicoïde, pourrait être assimilée symboliquement au mouvement ascendant et descendant du modèle de la roue. Et, de même que ce dernier, ses subdivisions constituent un quaternaire, car le symbole du yin et yang donne lieu à une nouvelle division, puisque dans chaque yin il y a un potentiel de yang et dans tout yang une présence yin.

Ce quaternaire est incontestablement généré par le mystère du Tao, ou du point immobile, dont l’émanation, exprimée à travers sa propre dialectique, prend tout son sens dans la complémentarité des opposés. Il est symbolisé par le chiffre cinq, qui se trouve à la base de toute la culture chinoise, de même que les civilisations précolombiennes dont la vie était édifiée sur une base quadrangulaire, symbole de la tension alternée des opposés et d’un point central, lieu de repos, d’équilibre et de non contradiction, espace sacré et axial, où pouvait être établie la connexion avec d’autres réalités, ou des êtres appelés esprits, anges ou dieux. Cet axe est appelé Tien-Tao dans la Tradition chinoise.

La conjonction des opposés est donc l’un des thèmes centraux de l’ésotérisme et de la symbolique, souvent représentée également par deux colonnes, comme par exemple les piliers J et B dans la Franc-Maçonnerie ou les piliers de miséricorde et rigueur du diagramme de l’Arbre de Vie kabbalistique. En réalité, cette représentation correspond également au symbole de la porte, symbole de passage par excellence, puisqu’elle sépare −et unit− deux espaces distincts, deux mondes différents, et marque une limite, ce qui devient évident lorsque nous faisons référence à l’entrée d’un temple religieux, où cette ligne invisible agit comme une division entre le profane et le sacré. Dans ce cas, conjuguer les opposés permettrait d’accéder à de nouveaux espaces, à des mondes distincts.

Considérations finales

Nous avons abordé brièvement quelques thèmes liés à la Symbolique et la Cosmogonie Pérenne. Nous avons utilisé le symbole de la Roue, présent dans diverses traditions, comme nous l’avons fait en d’autres occasions, convaincus de sa valeur didactique, sans parler de son pouvoir de transmission sacré, magique, et transformateur.16 Il nous reste encore à éclaircir quelques points de connexion avec la Cosmogonie Pérenne.

En effet, la description du monde, la cosmovision essentielle, a été révélée par toutes les traditions connues, qu’elles aient été des peuples « primitifs » ou de grandes civilisations17. Cela est dû, avant tout autre chose, au fait qu’il n’y a qu’une seule et unique cosmogonie, que c’est la même pour tout temps et tout lieu ; par conséquent, la description qui en est faite doit être identique, car elle correspond à une seule et unique Connaissance. Ce que l’on oublie généralement, c’est qu’elle est aussi dans notre cosmos, le même que celui où vivent nos contemporains, et que non seulement la compréhension de sa description est valable pour le jour d’aujourd’hui, mais qu’elle est aussi agissante en favorisant dans le psychisme une révulsion d’images, suggérées par les symboles, jusqu’au changement complet de la psyché, ou sa conversion.

Car la substitution des conceptions fades, étroites, asphyxiantes ou historiques dont le monde moderne nous a pourvus provoquera en nous, et par conséquent dans notre pensée et nos actions, une véritable transmutation, si les symboles de la Cosmogonie Pérenne ont été vécus de manière concentrée et absorbés au fond du cœur. Dans ce cas, le modèle de l’univers est conçu dans un mandala multidimensionnel qui englobe la totalité de l’être et le support le mieux indiqué pour la construction de l’homme nouveau, de l’ontologie, comme premier pas vers la métaphysique. L’on pourrait dire que l’être qui construit sa vie en accord avec les Universels, ou Archétypes, s’initie à la Connaissance de la réalité, ce qui a été le cas de tous ceux qui ont édifié les cultures dont nous sommes les héritiers.

Toutes les cosmogonies connues, c'est-à-dire les projections de la cosmogonie primordiale, à savoir la connaissance intime de la réalité, mènent immédiatement (par opposition à l’illusion et au mensonge des sens dans un monde d’apparences) à la reconnaissance d’une autre possibilité, toujours présente, dont la mystérieuse manifestation est la totalité du cosmos, lequel n’est autre que l’ombre de cette présence sans laquelle il ne saurait être d’aucune manière.

Pour la description cosmogonique égyptienne bien connue, et peut-être la plus ancienne, le Monde n’a de sens qu’en tant que reflet de la Vie Eternelle. La navigation sur le Nil (source de vie) prend sa valeur en tant que reproduction d’un paradigme : la navigation sur le Nil céleste, parcours de l’âme après la mort, représentée et présidée par Osiris, le plus important de ses dieux. Ceci est, réellement, ce qu’il y a de  fondamental dans toutes les traditions et le but ultime des cosmogonies et des symboliques ; sur le plan humain, c’est généralement représenté comme un pèlerinage, imitation du pèlerinage final de l’âme. Toutes les traditions ont connu ce rite, que les Egyptiens effectuaient à la ville d’Abydos (This), située sur la rive occidentale du Nil, domaine appartenant aux morts, lieu de culte du dieu des défunts et de sa cour. Par conséquent, puisque la Connaissance de la réalité du Cosmos se fond dans la Connaissance de la Création d’un Créateur, cette ascèse peut être atteinte, car elle a été révélée à des hommes inspirés, qui l’ont transmise dans le milieu social à travers les connaissances et les énergies subtiles présentes dans les symboles, les mythes et les rites.

Cela est précisément l’Initiation, présente dans l’unanimité des cultures traditionnelles, qui consiste en enseignements reçus par le biais des moyens indiqués plus haut et dont le but ultime est la Réalisation totale. Ce processus de sacrifice et de connaissance de la réalité cosmogonique, ces enseignements incarnés qui caractérisent l’Initiation, favorisent donc chez l’adepte l’accès à un autre niveau de Connaissance et d’expérience de nouveaux plans de la Réalité, comme nous l’avons vu, ce qui implique la mort de ses vieilles conceptions et une renaissance à un monde autre, où l’attend de nouveau un long et surprenant voyage. On le voit, l’Initiation est, dans cette vie, une image du voyage de l’âme au pays des morts et elle le représente effectivement jusque dans les moindres détails, suivant les règles de l’analogie. Nous ne pouvons pas nous étendre davantage sur le sujet des initiations, mais nous rappellerons qu’elles comportent plusieurs niveaux, correspondant à des degrés de conscience ou de Connaissance. Nous devrions néanmoins mentionner différents types d’Initiation : les initiations sapientielles, les guerrières, les artisanales ; il est intéressant d’étudier les différentes structures où elles se manifestent, aussi bien chez divers peuples archaïques que dans les grandes civilisations.
Ces rites demeurent cependant essentiellement « primitifs » dans leur forme, encore aujourd’hui, malgré leur sophistication apparente dans certaines religions, beaucoup desquelles les conservent bien que n’ayant presque plus la moindre idée de leur valeur ; par exemple, les sacrements chrétiens du Baptême, la Confirmation et l’Ordre Sacré, correspondent allégoriquement dans la Franc-Maçonnerie aux grades d’Apprenti, Compagnon et Maître.

En outre, les différents types d’initiations ne sont pas incompatibles ; nous avons ainsi d’innombrables exemples de sages ayant été tout à la fois guerriers et artistes.

Remarquons également que le mythe, bien observé, présente toujours des caractéristiques circulaires. En premier lieu parce que c’est généralement la narration d’une histoire cyclique, qui comprend le thème de mort et résurrection, commencement et fin, ou différentes transformations, ou encore des changements d’état ; dans les cas où ont été conservées des histoires archétypales différentes et variées, celles-ci s’entrelacent, constituant la structure circulaire de la mythologie où les narrations s’enchaînent indéfiniment −parfois par le biais de liens familiaux−, sans solution de continuité. Y compris dans une même tradition, l’on peut trouver le cas d’une histoire qui se répète à plusieurs reprises, sous différentes ornementations déterminées par les causes cycliques, mais qui manifeste essentiellement la même chose.

En termes de généralité, la cosmogonie archétypale pourrait être décryptée comme le plan d’un temple ou d’une cité sacrée qui la représente dans le monde. Un point, ou un axe, central, gouverne toute la construction et la connecte à d’autres plans de la réalité verticale. La base est carrée (ou son équivalent circulaire) et s’ouvre à l’extérieur au moyen des (deux) colonnes d’une porte. A travers cette porte, l’on a accès au temple qui comprend différents espaces (trois ou quatre), avant d’arriver au Sancta Sanctorum. Dans le temple égyptien, ces salles vont de celle de plus grandes dimensions à la plus petite, la luminosité diminuant à chaque salle jusqu’à la pénombre de la dernière. Ces espaces sont équivalents et préalables aux espaces invisibles et verticaux, qui s’articulent à travers l’axe et atteignent la voûte, ou le plafond, images du ciel. Dans certains temples, des ouvertures sont aménagées dans les voûtes, signalant l’issue vers le supracosmique, comme au Panthéon de Rome ; dans d’autres, cette issue est implicite dans le firmament lui-même qui est peint au sommet, comme c’est le cas du temple égyptien (celui de Dendérah, par exemple) ainsi que de la loge maçonnique.

La numérologie et la géométrie expriment les « mesures », les modules régulateurs de l’harmonie universelle, les « proportions » ; ce jeu de tensions en perpétuel déséquilibre-équilibre qui constitue la totalité du créé et sanctionne l’onde d’émanations dont l’homme est le sujet. C’est pour cela même que celui-ci, à travers la conjonction de tous les opposés et la contradiction fondamentale entre ses deux natures, peut non seulement trouver son Être et son rôle comme part active de ce cosmos, mais aussi le transcender en principe, pour vivre durant sa vie ici et après sa mort, d’autres niveaux immanifestés de l’Être Universel.

Si le symbole est une manifestation, et si aux tréfonds de toute expression se dissimule une signification occulte, une réalité autre, il est logique de penser que l’art remplit une fonction extraordinaire en tant que système de communication, et surtout de cohésion, dans le monde, et que grâce à lui (à la concentration qui en a été à l’origine et qu’à son tour il génère) se sont conservées certaines valeurs universelles qu’il a fixées en différents temps et lieux, témoignant ainsi de la volonté d’être et indiquant (plus ou moins consciemment) les sentiers de la liberté à travers la répétition d’un acte de création primordial.

L’art est un symbole en action, et donc un rite ; et il n’y a pas de rite plus parfait que la cosmogonie, le fonctionnement complexe et subtil de la machinerie du monde, une entité organique qui vit constamment le déploiement de ses possibilités jusqu’à ses propres limites, conformant la plus belle, la plus profonde, la plus intelligente des œuvres d’art, face à laquelle toutes les autres ne sont que des reflets. Encore que les meilleures d’entre ces dernières soient chargées, « cosmisées », par les vibrations de la structure même de la manifestation Universelle, représentée comme une double spirale d’énergies recyclées à perpétuité.

Le monde, comme l’objet le plus précis −et précieux− jamais conçu, contient la créature et le Créateur amalgamés en un tout continuel où l’expiration de l’un constitue l’inspiration de l’autre et vice-versa. Ce fait est un miracle réitéré et compose l’identité de l’être et de l’Être Unique, l’Identité Suprême qui n’autorise aucun duo puisqu’elle est toute la réalité.

L’artiste est alors l’être capable de condenser par son intermédiaire les forces cosmiques, l’officiant du rite créateur ; et son art le plus élevé est de se constituer en objet de son art.

Notons enfin que, dans le Processus de Connaissance (la gnose) ou l’expérience directe de la Cosmogonie Pérenne, rien ne peut être comparé à la déité appelée Intelligence, la Grande Mère ou Mère Eternelle (Binah dans la kabbale hébraïque, Nârâyâni dans le tantrisme hindou), énergie capable de sélectionner les valeurs et de les mettre en place, créant un ordre mental en opposition avec le chaos de l’ignorance18. De là l’importance du modèle de l’Univers et de son Ordre Archétypal, c’est-à-dire de la doctrine et de son incarnation, puisqu’il est capable d’activer et de générer l’aide de cette déité, qui se manifeste toujours dans le microcosme comme la compréhension immédiate, née dans le cœur.

Cette énergie, par sa propre vertu, refuse les prétentieux paradigmes culturels qui conditionnent les hommes actuels, en particulier ceux qui se réfèrent à de fallacieuses notions de progrès et d’évolution, c'est-à-dire ceux de la science officielle contemporaine19, et permet ainsi l’ouverture d’un espace où les choses, les êtres et les phénomènes pourraient être complètement distincts de la vision horizontale, personnelle et empâtée, héritée de quelques siècles à peine. Et plus encore : elle fomenterait la possibilité de percevoir et d’actualiser ce qui est souvent nié par les sens, et de rejeter l’illusion générale et profane. L’on peut affirmer que, en vertu de sa propre universalité, nul n’a échappé à la convocation à ce rite de l’Intelligence, nom divin qui peut être refusé ou accepté, suivant les niveaux de l’être individuel, et selon qu’il décide d’être complice d’une duperie hypocrite ou qu’il opte pour la lucidité comme état permanent.
Ton épouse sera comme jarre féconde dans le secret de ta demeure.


(Psaume 128. 3. Bible de Jérusalem)

CH. III L’ÊTRE DU TEMPS : SYMBOLISME DES CALENDRIERS

Ainsi l’Éternité est en Dieu, le cosmos est dans l’Éternité, le temps est dans le cosmos, le devenir est dans le temps. Et tandis que l’Éternité demeure immobile autour de Dieu, le cosmos est en mouvement dans l’Éternité, le temps se réalise dans le cosmos et le devenir s’écoule dans le temps.

Hermès Trismégiste. Pymandre XI. 2.

De nos jours, les calendriers sont les simples instruments d’un temps plat et linéaire, dont les éléments, appelés jours, se succèdent sans solution de continuité, de manière indéfinie au long d’une année (qui en suit processionnellement une autre et est continuée par une troisième, etc.), partagés en ensembles désignés sous les noms de semaines et de mois et disposés de façon conventionnelle en jours fériés et journées travaillées. Le calendrier est devenu un article d’usage habituel pour commerçants, employés, étudiants, maîtresses de maison, etc., d’une insigne utilité pratique à l’heure de gérer engagements, vacances et fêtes. En réalité, si nous considérons l’usage qui en est fait, nous comprendrons qu’il n’a rien à voir avec le temps en soi, en tant qu’élément constitutif de la réalité psychophysique, mais avec l’ombre calculable de son cours, ou plutôt de sa fuite dans un espace indéterminé, à la conception mécanique et simplement utilitaire.

De fait, ceux qui à l’origine « inventèrent » les calendriers le firent sur d’autres critères, où l’équation espace-temps est indissoluble et compose tout ce qui existe, l’ordonnant de manière harmonieuse, avec entre ses parties des correspondances évidentes à l’image du cosmos en action, que le calendrier symbolise : conception totalisatrice et clé salvifique, véritable instrument de Connaissance.

L’on peut observer que ces deux façons de voir s’opposent au point d’en être inversées, mais les calendriers n’en sont pas altérés pour autant, ni se voient affectés pour cela ; il s’agit simplement d’un appauvrissement et d’une certaine dégénération de la vision des hommes actuels, allant de pair avec l’évidente dégradation de notre culture et de notre environnement, et par conséquent de nous-mêmes, identifiés au social. Ce déclin affecte tout le collectif universel et c’est le sceau −ou le stigmate− contemporain : ainsi une conception superficielle et profane de la vie et du temps fait des calendriers de simples ustensiles pratiques, comme les agendas et les almanachs, sans qu’aujourd’hui l’on soupçonne d’où ils viennent ni ce qu’ils représentent. Si le public moyen savait que, parmi bien d’autres significations, ils sont théurgiques, il les verrait avec un certain respect, ou au moins une crainte, peut-être superstitieuse, mais plus adaptée à leur nature intrinsèque que l’actuelle indifférence désodorisée et aseptisée.

Pour ce motif, l’on prête peu d’importance au calendrier (calendas = premier jour de chaque mois) dans l’actualité, et à l’instar des nombres, il est utilisé comme un simple outil considéré comme évident, sans seulement chercher à connaître son origine historique, et encore moins son contenu, comme l’expression synthétique d’une pensée qui a donné lieu par son intermédiaire −comme image de la cosmogonie en mouvement− au développement des grandes civilisations et à l’ordonnance culturelle générale.

Ajoutons qu’il a également perdu de nos jours son caractère religieux, du moins en occident, ce qui est indéniable dans le Christianisme, lorsque l’on songe que l’organisation des fêtes qui persiste encore aujourd’hui est rituelle et intimement liée à la vie du Jésus Archétypal, c'est-à-dire à l’image du Christ  sauveur et régénérateur du temps, et paradigme du processus cosmogonique, donc initiatique, dont la signification réside dans sa propre unité et dont la manifestation est le cycle calendaire, comme instrument rythmique et rituel, chargé d’innombrables énergies actualisées en permanence, liées à l’histoire sacrée : naissance, vie, mort et résurrection de l’année ou du cycle, image d’un processus dont le protagoniste vivant est le temps, qui le limite et donc le constitue de manière permanente. Ainsi, les calendriers, fixant et exprimant le processus cosmogonique, sacralisent le temps et le régénèrent, ou le recréent, car ils en sont l’expression ordonnée dans le cours du devenir et structurent donc un espace dans le chaos de l’amorphe.

Cependant, en étudiant certains des thèmes qui se réfèrent à la symbolique des calendriers, c'est-à-dire à leur signification réelle et concrète, nous devons laisser de côté toute notion de chronométrie telle qu’on la conçoit de nos jours, à savoir l’idée d’un registre linéaire où s’inscrivent des fractions, ou des espaces successifs qui doivent leur continuité à la somme des parties indépendantes d’un tout indéfini pris comme base d’une hypothèse, ou d’une superstructure aussi rigide qu’imaginaire au sein de laquelle le temps progresse d’une part de manière historiographique, et d’autre part est mesuré par d’inexorables horloges qui emmagasinent obstinément d’inutiles portions d’information.

Au contraire, les sociétés qui ont créé les calendriers, et dont nous avons hérité le nôtre, appréhendaient le temps comme étant récurrent, et surtout comme constituant une part essentielle de la Création Universelle (macrocosme), à savoir comme intégrant l’être de l’homme (microcosme), et donc comme quelque chose qui n’est pas extérieur et peut être énoncé et mesuré objectivement, non comme une catégorie de l’être mais l’Être lui-même, dans toute la puissance universelle contenue dans la notion même de Temps en tant que symbole mobile de l’Éternel et Immobile. En témoigne le miracle originel de la Mémoire et les correspondances que conservent les êtres, les choses et les événements en général, qui les rend distincts et significatifs, ainsi qu’ interdépendants et non exclusifs.
Pour une vision traditionnelle, le Temps est le souffle vital, le Grand Unificateur du créé20, et il est absolument naturel que son expression graphique soit celle d’une circonférence21 qui limite un espace en constituant un cercle, une première figure planed’un espace original aussi bien que du cycle où il est vécu, ou revivifié, par l’action spontanée du temps, générateur permanent du mouvement et des lois qui le régissent et en parfaite correspondance, ce qui ne pouvait être autrement, avec ses propres origines, avec sa raison d’être : l’Être du Temps impliquant tout le créé.

Rien que cela serait suffisant pour relier immédiatement ces conceptions à la notion de sacré et à la divinité, évidente dans cette pensée sur les origines et la structure cosmique. D’ailleurs, nombreux sont les dieux fondamentaux de tous les panthéons liés au temps, à son écoulement, à sa vitesse, ainsi qu’à l’oubli, au souffle vital, à l’anima mundi, au rythme, cycle, etc.

Il est donc logique de penser que, si le temps est sacré au plus haut point pour une société traditionnelle, le calendrier l’est aussi, miniature et image du cosmos, fixation du devenir, révélation d’un savoir intemporel qui prend le mouvement comme une projection spatiale du temps en le conjuguant dans un continuum. Nous considérons donc très adéquate l’étude des calendriers en tant qu’instruments sacrés révélateurs ou médiateurs de la Connaissance qu’ils portent en eux, dans leur structure, c'est-à-dire en tant qu’épiphanies disponibles en permanence pour transformer le mutable en immuable, le visible en invisible, le chaos en ordre, la projection indéfinie en véritable ontologie : à savoir l’Être du Temps comme souffle vital de l’Être du Cosmos.

Nous avons écrit par ailleurs, nous référant aux calendriers méso-américains22, des mots énonçant des concepts analogues à ceux que nous joignons ici :

Le temps est toujours actuel ; ce n’est pas une chose générée aux commencements et qui subsiste comme une composante abstraite de la réalité psychophysique, mais il exprime cette même réalité maintenant, puisqu’il en est l’une des conditions, c'est-à-dire un élément toujours présent sans lequel la vie serait impossible. Sa qualité est alors une part constitutive du cosmos et sa façon de se manifester −qui peut être mesurée quantitativement dans l’espace−, la manière dont celui-ci s’exprime, et donc une clé pour en comprendre l’essence, un module valable pour l’ensemble de la création. De cette perspective, les révolutions des astres et des étoiles au firmament prennent une importance toute particulière : stables par rapport à la rapidité du mouvement de la Terre, ils doivent servir de guides et de points de référence pour établir les règles générales de l’ensemble : l’harmonie que Pythagore appelait la « musique des sphères », que l’on obtient par l’interaction de tous les mouvements individuels, y compris celui de la Terre, en incluant tout ce qui s’y produit, à commencer par l’homme.

En effet, aussi bien le mouvement (apparent) du Soleil dans la journée, ou plutôt la forme binaire dans laquelle le jour est exprimé : matin-nuit ou lumière-obscurité, est la première partition acceptée par le plan cosmique, c'est-à-dire la naissance et la mort du Soleil, perpétuelle origine de la vie, et sa résurrection postérieure des tréfonds de la nuit, annoncée par l’éveil d’une aube nouvelle.

Pour l’homme traditionnel, c’est là un signe évident, visible sur le mode binaire, qui est présent dans tout ce qui l’entoure et dans ce qu’il porte intérieurement. D’un côté, la croissance du Soleil jusqu’à son apogée, puis une chute inévitable et l’extinction. Par analogie, il n’est pas difficile de comparer le fait à la vie de l’homme et de tout ce qui existe, et d’en conclure qu’il s’agit d’un couple d’opposés qui se conjuguent pour que la régénération, et donc la vie, se propagent de manière permanente, donnant sa continuité à la création, ce qui constitue un plan divin à l’accomplissement inexorable et auquel l’homme participe.

D’autre part, lorsque meurt le Soleil et que commence son parcours dans la moitié de cercle appartenant à l’inframonde, d’innombrables signes apparaissent, lumières et étoiles, qui fixent elles aussi, présidées par la Lune (épouse ou sœur du Soleil)23, des normes claires, des rythmes et des proportions de l’ensemble universel.
La Lune et ses cycles en particulier ont été, bien évidemment, parmi les premiers paramètres en vigueur utilisés pour établir des relations en tout genre, manifester la cosmogonie résultant de l’interaction des divers corps célestes −y compris la Terre− et la fixer dans le calendrier, qui n’est autre que la projection de la révélation cosmique et de l’Être du Temps, ainsi que nous l’avons vu.

De nombreuses cultures ont conservé dans leur structure les phases de la Lune comme une référence de première magnitude. Dans d’autres cas, les calendriers encore en vigueur conservent un point de vue solilunaire alterné, comme dans le christianisme et ses cycles rituel. Toutes les cultures ont nécessairement pris le luminaire nocturne et ses cycles comme l’une des mesures fondamentales de la cosmogonie et de ses rythmes, et ces règles, amplement significatives, sont associées à d’innombrables termes connus ou expérimentés, aussi bien au niveau physique que psychologique24.

Si le mouvement de la Terre autour du Soleil en un jour produit le premier cycle unitaire et récurrent, les phases de la Lune composent les semaines et les mois, c'est-à-dire des espaces de temps plus éloignés, et par conséquent des cycles plus étendus, bien que ces planètes doivent être considérées ensemble, puisque la Lune est le satellite de la Terre.
Au jour et au mois doit être ajouté le cycle de l’année, c'est-à-dire la course zodiacal du Soleil, qui les comprend l’un et l’autre. Ce sont là les mesures consignées dans les calendriers, auxquelles viennent s’ajouter tout d’abord une mesure fondamentale pour toutes les grandes civilisations, la Grande Année de 26.000 ans (25.920) ou 13.000 (la moitié), en chiffres « ronds »25, correspondant à la précession équinoxiale (il faut signaler que ce mouvement est rétrograde), et de manière secondaire d’autres mesures liées aux planètes et aux étoiles (l’étoile Polaire, les Pléiades et les étoiles « fixes » en général, ainsi que les mouvements de Vénus et d’autres astres, comme par exemple les éclipses et nœuds lunaires).

Cela fait que les calendriers expriment à la perfection les cycles et rythmes cosmiques, et donc la connaissance des sciences qui les véhiculent et qui y trouvent leur expression la plus authentique.

Nous avons donc trois grands repères, ou manières de voir l’ensemble de la création, marqués en premier lieu par un mouvement correspondant à la Terre (rotation), lequel comprend la Lune et ses phases comme mesure ou étalon précis de la réitération de ce mouvement ; en second lieu, le mouvement de translation qui, prenant le Soleil comme axe visible, est celui que réalise la Terre en un an, parcourant les stations zodiacales, et pour qui l’astre roi est aussi bien le principal protagoniste qu’une mesure de l’ensemble cosmique, mouvement identifié comme un jour du Soleil ; et finalement, le mouvement de toupie que produit la Terre en tournant sur son axe, et qui est visualisé comme une « année » du Soleil (ou la moitié), identique à celle des civilisations archaïques que l’on sait avoir fait usage des calendriers. Ce dernier mouvement qui, nous l’avons dit, est polaire et visible, puisqu’il décrit un degré de la circonférence tous les 72 ans (25.920 = 360 x 72), est observable et symbolique pour les peuples attentifs à la valeur sacrée et déterminante de la cosmogonie, surtout si l’on tient compte de ce que les sociétés traditionnelles considéraient comme révélé et fondamental26.

Les mesures de base des calendriers sont donc au nombre de trois, et nous souhaitons les rappeler ici, étant donné qu’elles ne sont pas arbitraires mais correspondent parfaitement à l’ordre naturel de la création universelle, puisqu’elles ont pour références : 1º) la Terre et sa rotation (le mouvement apparent du Soleil) comme manifestation du jour (première unité temporelle), à laquelle il faut ajouter les phases de son satellite, la Lune, égrenant les mois et leur division en semaines, bien qu’il faille la considérer conjointement avec la Terre ; 2º) le Soleil dans son parcours annuel (mouvement qui génère une unité de mesure plus complète, l’année) et 3º) la précession des équinoxes (ou la moitié), immense révolution rétrograde de la Terre sur son axe −étudiée dans la culture occidentale par Hipparque de Nicée− que connaissaient la totalité des peuples ayant laissé un calendrier et qui constitue la « mesure » la plus grande, ou la plus ample « proportion » ayant un sens intelligible pour l’être humain.

Comme l’on peut le constater, ces mesures s’effectuent dans un plan géocentrique, ou plutôt depuis une perspective anthropocentrique27, point qu’il est important de souligner, de même que le fait que les points de vue considérés sont de plus en plus amples et universels à mesure que l’on remonte et que l’on augmente l’échelle, ce qui coïncide d’ailleurs −pas arbitrairement non plus− avec une décélération, un « ralentissement » du Temps, qui n’est plus alors considéré comme une succession d’anecdotes plus ou moins bonnes, mais dans une dimension plus en accord avec son sens réel et sa véritable majesté, qui pourrait être énoncée, paradoxalement, comme une intemporalité du temporaire. Cela implique une estimation, un sens, qui constitue par la suite un ordre, c'est-à-dire une série de structures complémentaires et articulées qui débouchent sur la Cosmogonie (ou, si l’on préfère, cosmovision) propre à chaque culture, selon les attributs que des hommes différents remarqueront chez les divers êtres ou phénomènes célestes, quoiqu’elle soit identique dans ses formes essentielles, puisque le modèle de référence est le même malgré les diverses perspectives dans lesquelles il est envisagé28. Dans la cosmogonie de Ptolémée, reflet de la conception platonicienne et de la traditionnelle en général, émanation de l’Alexandrie gnostique qui, d’une façon ou d’une autre, a régi la destinée de l’Occident jusqu’à la Renaissance et a déterminé les divers calendriers que nous utilisons encore de nos jours,l’on projette sur le plan l’image d’un schéma vertical et spatial soulignant l’existence de dix mondes ou « sphères » superposées les unes aux autres en fonction d’un axe idéal. Cet axe a le Soleil pour centre ; son point le plus élevé est le Primum mobile (assimilé au Pôle nord) et la Terre est son extrémité inférieure (Pôle sud). Les orbites des planètes traditionnelles s’y superposent : la Lune, Mercure et Vénus comme intérieures par rapport au Soleil, et Mars, Jupiter et Saturne extérieures.29

D’autres « sphères » sont occupées par les étoiles fixes, ou le zodiaque et l’empyrée, bien qu’il y ait quelques légères différences de détail dans des versions analogues. Dans le diagramme de l’Arbre de Vie de la Kabbale cela se retrouve également et dans les deux cas −et dans d’autres−, le temps et l’espace sont considérés comme un tout ; il advient que les calendriers enregistrent dans le temps, et actualisent dans la succession, le schéma spatial cosmique qu’ils fixent dans son mouvement cyclique et rythmique permanent.

C’est une chose clairement reflétée dans l’architecture sacrée dont les édifices sont situés d’une part suivant les directions de l’espace et d’autre part en projetant le cours du temps, c'est-à-dire la forme des cieux et leurs mouvements harmoniques.30
De fait, l’observation et l’étude des règles d’évolution des astres et des étoiles établissent différentes proportions qui deviennent les nombres d’une échelle liée à des figures géométriques et des modules qui comportent également un contenu musical. Car la symphonie céleste ou la lyre d’Apollon sont audibles ou perceptibles par le biais de l’intuition, ce qui établit aussi une relation temps-musique, car si les mouvements dont témoignent les calendriers fixent la projection spatiale du temps, par analogie, la musique est la projection spatiale du verbe.

Ces modèles sont bien entendu paradigmatiques, et par conséquent toujours actuels.Cette actualité s’exprime dans le calendrier à travers les cycles auxquels se réfère et que nous avons énumérés auparavant, à savoir : le cycle quotidien, celui de la Lune, le cycle annuel du Soleil et celui de la précession équinoxiale (ou d’autres cycles, comme le « siècle », les révolutions excentriques de Vénus, les nœuds lunaires, etc.), sans compter, nous l’avons vu, d’autres mouvements qui peuvent même être considérés comme reliés aux précédents. Et l’on pourrait signaler que la Kabbale a également établi son schéma symbolique de l’Arbre Sephirotique suivant une articulation axiale : autour d’un axe polaire, ou une colonne, qui comprend, en ordre ascendant, la Terre, la Lune, le Soleil, et au sommet, le premier moteur, identifié avec l’unité, appelé Kether (la Couronne).31

En réalité, cette correspondance entre des cultures distinctes, des idées analogues et des relations spatiotemporelles ne devrait pas nous étonner. Il y a même chez elles unanimité quant à l’identification du macrocosme et du microcosme, et l’homme est autant un Univers en miniature que le cosmos l’Homme Universel :

Car ce qui est en haut est comme ce qui est en bas récite le texte de la Table d’Emeraude, et la tradition hindoue situe ses centres d’énergie chez l’homme le long de la colonne vertébrale (les chakras)32, comme le font également les Hopis des Etats-Unis.

Car comme Dieu a fait le Soleil, la Lune, et les étoiles, pour y remarquer au grand monde, non tant seulement le jour, la nuit et les saisons, mais les mutations des temps, et beaucoup de signes qui doivent apparaître en terre : aussi a-t-il fait et marqué en l’homme, le petit monde, certains traits et linéaments tenant lieu d’étoiles et astres ; par où l’on peut parvenir à la connaissance de fort grands secrets, non vulgaires, ni connus de tous.

Le Temps est le Verbe fait chair, souffle de l’Esprit créant l’Ame du Monde. Le Temps doit être pris comme l’expression psychophysique et vivante de la réalité, dont les lois et hasards sont gravées dans les calendriers, car ils expriment avec exactitude les cycles et les rythmes cosmiques, et sont par conséquent l’authentique expression de la Connaissance.

Le calendrier est également la première annotation, les prémices de l’écriture ; c’est réellement, nous l’avons dit, le souffle du verbe incarné ; et cette description archétypale de la cosmogonie est aussi le premier rudiment qui donnera lieu à des registres déterminés (généalogies, faits symboliques et magiques) qui deviendront par la suite les annales de l’être humain : son idée de l’Histoire, son immersion dans un temps successif. Le calendrier est aussi l’articulation d’un système, un jeu de correspondances et analogies, une structure classificatrice et une source de révélation qui régule également la vie des êtres humains. En conclusion, l’Être du Temps est en soi son développement spatial, son mouvement vital, et en soi la génération de tout ce qu’il produit dans son devenir ; c’est en vérité l’étant du verbe être, à savoir les normes réitératives et cadencées d’un discours cyclique et la possibilité d’en appréhender l’essence par son intermédiaire, utilisant comme supports certaines conjonctures de son cours (les jours « fériés ») afin de le transcender, ou plutôt de vivre d’autres niveaux de connaissance plus immanifestés de l’Être Universel, fondamentalement sur le plan du monde sensible et dans l’instant, tout ceci demeurant dans l’ordre cosmique, qu’il configure.

Les fêtes, c'est-à-dire les espaces significatifs où le temps ordinaire peut être aboli, sont des points de conjonction symboliques au sein d’un temps monotone et insignifiantElles signalent dans la succession de l’année ce qu’est le Temps en Soi en le valorisant et le réintégrant à un espace originel ; autrement dit, le Temps, l’Être du Temps, ne serait rien sans l’existence de ces fêtes, ou espaces, particulièrement marquées du sceau de sa projection, de son souffle, le mouvement, pour pouvoir le comprendre ou l’invoquer. Lors de ces « stations » du mouvement, le temps se réintègre, et est tout à la fois réintégré par le rituel humain à son Origine Archétypale. Car il n’y a pas de plus grande réussite de synthèse que de vivre le Temps comme un Espace ; un unique espace, vide et absolu. Car si le mouvement dont témoignent les calendriers est la projection spatiale du temps, l’absorption de celui-ci dans l’intemporel est semblable à « achever le discours sans avoir bougé la langue », comme le déclare le texte zen bouddhiste.

Pour tous les peuples, ces stations fondamentales où le Soleil semble arrêter sa course annuelle ont toujours été au nombre de deux. Elles marquent deux points extrêmes d’une circonférence : nous nous référons aux solstices, mot dont l’étymologie implique cette « station », cet « arrêt », ce signal invariable et périodique qui sépare l’année en deux parties ; puis en quatre, avec les équinoxes comme points intermédiaires, la stabilisant, l’encadrant, et structurant toutes les fêtes successives.

La rotation de la Terre sur elle-même, celle de la Lune autour de la Terre, celle de la Terre autour du Soleil (annuelle et zodiacale), et celle de la précession équinoxiale (l’année solaire), nous fournissent les unités fondamentales anthropocentriques grâce auxquelles nous pouvons appréhender l’univers et le flux indéfini de l’existence : jours, mois, années et grandes années, nous définissent le cadre où la vie humaine est possible, c'est-à-dire son organisation et fixation dans l’espace amorphe. A tout cela viennent s’ajouter les révolutions des étoiles, les constellations et leurs conjonctions, et les courses parfois excentriques des planètes, en particulier Vénus, Mars et Mercure. Inutile de rappeler que ces planètes sont des dieux et que ceux-ci « sanctifient », rendent sacré le cours du temps, chose évidente dans les significations des jours de la semaine, qui se répètent indéfiniment sous les mêmes permanents patronages. Ils signalent également les jours de marché, nécessaires à la communication et à la vie sociale, et, sur des périodes plus étendues, les mois et certaines dates réitératives pour les activités agricoles (elles aussi sacrées) de semailles et de moissons indispensables à la vie des peuples.

Par ailleurs, c’est dans le cours du Temps que se produit la révélation, et c’est par lui, par sa succession et les pauses qui le caractérisent, que l’on comprend la simultanéité d’un unique geste créatif, dont les ondes se répandent dans un espace indéfini, créant des mondes et générant perpétuellement de nouvelles possibilités.

C’est pour cela que l’origine et toujours comprise et vécue comme ce qui est « derrière », constituant le passé ; mais ce passé n’est pas chronologique, mais méta-historique, il n’est pas vraiment linéaire, mais vertical, essentiellement mythique, et appartient donc à un autre « temps » et un autre « espace », intimement liés aux « réminiscences », c'est-à-dire à la Mémoire en tant que Cœur du Temps, introductrice à un monde ou plan différent de l’Être Universel.

Le calendrier révèle par conséquent le rite cosmique et les cycles respectifs (la manifestation de l’éternité et la simultanéité au sein du mouvement temporel).
C’est également pour ce motif que l’astronomie devrait être une aide précieuse à l’initiation de celui qui aura pénétré la mécanique céleste ; et aussi le calendrier, Art et Science de la Mémoire Cosmique, Science des Cycles et des Rythmes. De même, l’Astronomie Judiciaire, ou Astrologie, qui relie l’Univers au microcosme.

Tout cela est caractérisé par trois niveaux qui se transposent à l’être humain et sont liés au chemin initiatique : le premier correspond à l’état psychophysique profane en ce qu’il a de plus grossier ; les deux autres représentent respectivement l’initiation solaire et l’initiation polaire, et sont de plus en plus subtils et « informels », plus intemporels et « ralentis ».33 D’un autre côté, comme nous l’avons déjà observé, l’initiation se produit dans le Temps, il s’agit même d’un travail avec le Temps, si l’on peut s’exprimer ainsi.
Pour beaucoup de disciplines initiatiques, la connaissance de la loi cosmique et de ses différents niveaux de réalité, c'est-à-dire de la cosmogonie, est le premier pas vers la reconnaissance de l’être dans le monde, la relation de l’être individuel avec l’Être Universel. Par conséquent, la Connaissance de l’Être en soi, c'est-à-dire l’ontologie en tant qu’intégration de tout ce que la loi ordonne et support de la métaphysique (c'est-à-dire pour ce qui est au-delà de la loi cosmique), ce dont on peut avoir l’intuition à n’importe lequel des niveaux que nous avons mentionnés, vu que ce qui est remarqué est ce qui compose la Manifestation mise en évidence dans le modèle de l’Arbre de Vie, par lequel les Muses descendent aussi, à la fois émissaires et filles du son de la lyre d’Apollon.

Pour terminer, nous voudrions seulement répéter que, sur le chemin initiatique d’ascension de l’Arbre de Vie, plus élevée est la planète, plus elle est lente ; par exemple : Saturne et le grand âge comme expression de la sagesse (y compris biologique), tandis que Mercure est rapide, vif et impulsif. Plus le mouvement est lent, plus il est intemporel, et vice versa : plus il est rapide, plus il est véloce et assujetti à la relativité de l’instant. De fait, toute ascension (monter à une tour) est lente et difficile ; en revanche, la descente (se jeter de cette tour) est rapide et progressivement de plus en plus véloce, au point de s’achever en destruction, c'est-à-dire la mort, conclusion cyclique de tout organisme vivant

CH. IV ART, SYMBOLE ET MYTHE DANS LES CULTURES TRADITIONNELLES

Pour un homme traditionnel ou archaïque, tout est sacré, et l’univers est un ensemble pérenne de relations mystérieuses et symboliques, pleines en soi de significations évidentes. Il vit dans un étonnement permanent et est en même temps parfaitement intégré à son environnement, participant constamment des effluves du ciel et de la terre.

C’est alors un médiateur et comme tel il trouve sa place dans le monde, ce qui correspond à sa verticalité. Il doit donc reproduire ces mystères, à l’imitation du grand geste créateur d’un constructeur originel, fécondant la possibilité d’une culture. De même, la nature et toute la manifestation, en particulier les animaux, ont part à cette médiation, car ce sont les symboles d’autres mondes secrets dont celui-ci n’est qu’un reflet.

L’analogie établit des lois de correspondance entre macrocosme et microcosme, entre univers et homme, visible et invisible, apparent et réel, passager et éternel, naturel et surnaturel, les deux faces de la même médaille, que les peuples primitifs et/ou archaïques ne distinguent pas de façon limitée ou excessivement différenciée. Le symbole est le révélateur de ces correspondances ainsi que le véhicule capable de les relier ; le symbole, par conséquent, se fonde sur les lois de l’analogie et les correspondances naturelles entre la totalité des êtres, phénomènes et choses ; sympathies et rejets que tous les peuples ont connus ; énergies qui se regroupent en ensembles qui se relient à d’autres, et ces derniers avec d’autres encore, de manière indéfinie, s’enchaînant et générant des codes symboliques qui obéissent au même type de structure (telle  la mythologie de tous les peuples), et qui constituent leur propre cosmovision dérivée d’une Cosmogonie Pérenne, d’un modèle universel, valable pour tout temps et tout lieu.

Et cela même si elle adopte des formes adaptées à diverses circonstances et différents lieux, comme peut le constater tout investigateur en symbolique, ou tout spécialiste en anthropologie ou sociologie, car cette possibilité de générer des codes symboliques (qui englobe la totalité de l’être d’une société traditionnelle) est inhérente à l’homme, puisqu’il est un univers en miniature et, comme tel, a la possibilité de recréer les lois cosmiques, concevant ainsi les cultures particulières de peuples innombrables.

Mais un authentique symbole n’est pas simplement le signe capable d’être l’intermédiaire entre une image et un concept au niveau psychologique, sociologique ou horizontal : c’est la réalité manifestée d’un processus vertical dont il constitue per se le signifié et le signifiant, puisqu’il révèle à l’échelle humaine les secrets d’une Superstructure, toujours présente, image de l’Esprit Divin, qui ordonne en permanence les relations et analogies qui donnent lieu au monde perçu par les sens, et aux lois et mécanismes mentaux des humains, marqués par une dualité devant être transcendée.

Ce besoin de neutraliser les opposés pour connaître l’ordre cosmique, ou le modèle universel, et s’y insérer consciemment, est donc obtenu à partir du symbole, lequel conjugue en son sein, de manière unitaire, l’expression connue et l’origine inconnue, ce qu’il manifeste dans le même temps que l’émanation de l’immanifestation qui lui a donné sa forme propre, son identité ; il concrétise toute les possibilités de Connaissance, et donc d’être, et se constitue ainsi en élément indispensable à la synthétisation de toute réalité ou vérité, à commencer par la nécessité de sa propre médiation, toujours propre à révéler le supranaturel par le déploiement de tous les potentiels de la nature.

Ce ne sont rien d’autre que des facteurs supra-humains chez l’être particulier, l’affirmation d’une négation, ou mieux, une négation affirmée. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que les symboles, comme les mythes, ne doivent pas être considérés de façon individuelle, mais par rapport à d’autres symboles et mythes auxquels ils sont liés, formant ces ensembles ou structures qui sont, d’une part archétypales, c'est-à-dire inamovibles, et simultanément mobiles, comme leurs projections dans l’espace-temps, et leur adaptation à différentes géographies et circonstances historiques.

La culture est un jeu de symboles, une symbolique dont non seulement participe le corps social, ou individuel, mais qui constitue en outre l’origine de la pensée, les structures et images des processus mentaux de la tribu, ou de l’individu. Par conséquent, toute culture historique est nécessairement « mythique » à ses origines, c'est-à-dire intemporelle, quand elle n’a pas généré ses prototypes symboliques et que le mythe lui-même n’a pas encore fixé en exemple les paramètres culturels découlant de sa puissance, et extraits de la Connaissance d’une Cosmogonie révélée par les symboles universels, qu’il s’agit d’interpréter et de traduire en un langage adapté aux besoins, images et expériences d’un peuple ou d’un individu.

Il nous faut également tenir compte du caractère initiatique du symbole et du mythe en tant que transmetteurs de Connaissance, de leurs pouvoirs transformateurs et génératifs, de leur réalité métaphysique et magique, c'est-à-dire agissante, et donc de la vénération populaire qui les accompagne toujours, ou du moins les a accompagnés.

Le rite est le mythe en action, et les éléments qu’il utilise, qu’ils soient sonores, visuels ou gestuels, sont symboliques. Le rite dramatise le mythe à travers les symboles. Il existe donc une unité entre symbole, mythe et rite, ce que nous avons déjà manifesté en d’autres occasions. Le geste, la parole, et la forme, actualisent les mythes, permettant leur incarnation. Pour les peuples traditionnels, de ces trois expressions de l’homme dépendait la permanente effectivité du monde, elles le régénéraient, permettant son développement normal, grâce à leur réitération.

L’une des différences entre une société sacrée et une profane, c’est que les symboles aussi bien que les rites et les mythes ont pratiquement disparu de la seconde, ou bien sont ignorés, ou pire encore, ont vu comme leur signification était dénaturée, adultérée, confondue avec l’allégorie, l’emblème, voire avec une simple convention. Dans le cas particulier des mythes, l’on devrait ajouter le fait que l’officialité collective les qualifie de fictions, sinon de mensonges, ce qui ne laisse pas d’être paradoxal si l’on songe que, pour les cultures traditionnelles, les mythes expriment toute la vérité et constituent la réalité. Il faudrait ajouter que le don de prophétie, ou de vision, bien connu de toutes les sociétés « primitives » en général, est vu de nos jours comme du pur charlatanisme, ou du moins comme une chose plus que douteuse.

Nous nous permettons d’insister : dans les sociétés traditionnelles, comme le fut par exemple la civilisation maya, tout est symbolique. La vie est un rite pérenne qui se vérifie dans toutes les tâches quotidiennes et de manière constante. Toute action, et même toute pensée, sont marquées par la présence du significatif, du magique, du transcendant, car tout survient dans différents plans de la réalité et donc également dans le monde de l’occulte, de l’invisible.

L’art, ou ce que nous appelons art de nos jours, est pour ces peuples des gestes naturels qui répètent et recréent sans cesse le cosmos à travers des symboles précis, effectués de manière rituelle, symboles qui ont été conçus, ou plutôt révélés dans ce but aux hommes par l’inspiration léguée à leurs ancêtres, afin que leur vie s’organise selon la volonté divine. Le créateur de toutes ces structures culturelles, qui ne font qu’imiter les choses du ciel, est l’exécuteur de l’œuvre, l’homme véritable, le chef, celui qui produit ou gouverne avec art. Comme on le voit, cette manière d’envisager les faits est diamétralement opposée à celle que les contemporains s’adjugent généralement en ce qui concerne le créateur et l’art.

L’artisan traditionnel répète de façon rituelle les idées de sa cosmovision qui sont parfaitement claires pour lui, il les façonne, c'est-à-dire les génère, réitérant ainsi le geste créateur primordial de l’Être Universel. A cet aspect, c’est un individu qui de rien extrait quelque chose et sa fonction s’apparente à la fonction sacerdotale et chamanique. Le chaman, dans ce cas, est lui aussi un artiste, et la dramatisation des énergies cosmiques est un mode extatique de connaissance. L’art est une forme du rite et, nécessairement, tout rite authentique, c'est-à-dire sacralisé, est à son tour fait avec art, mieux, c’est une expression artistique, malgré les préjugés qui nous empêchent parfois de le voir, grâce à la « propriété » de nos goûts, phobies et manies, c'est-à-dire de toutes ces choses relatives avec lesquelles nous nous identifions.

Ceci, qui est valable pour les cérémonies traditionnelles ainsi que pour l’architecture et les arts plastiques, l’est également pour tout ce qui concerne le verbe, porteur d’enseignement et de Tradition. D’un autre côté, le verbe est magique, puisqu’il manifeste une énergie miraculeuse qui produit simultanément le son et l’audition. Non seulement dans la civilisation maya, comme en témoignent le Popol Vuh et autres textes sacrés de ces parages, mais aussi chez de nombreux peuples précolombiens, en correspondance avec ceux du Vieux Monde, l’on retrouve la notion de génération au moyen du verbe, ce qui donne précisément un sens à la transmission orale de la connaissance et à la narration des mythes. Mais fondamentalement, ce que nous avons dit au sujet de l’art est valide pour l’ensemble de leur culture et de leur quotidien, à commencer par leur connaissance métaphysique et cosmogonique traduite en mythes et symboles qui, comme nous l’avons dit, sont les inspirateurs et les régulateurs de leur être dans le monde.

Nous voyons donc que le mythe est le paradigme culturel et que le rite, ou l’art de l’activité quotidienne −dont la pensée n’est pas exclue pour autant− et les cérémonies magico-religieuses sont chargés de le régénérer constamment, conservant de la sorte intactes les énergies qu’il représente, garantissant ainsi la stabilité de l’univers et, par conséquent, l’être et les possibilités d’existence sociale et individuelle.

S’il y a des auteurs, comme Mircea Eliade, qui font la distinction entre les mythes d’origine individuelle, d’un être, d’un phénomène ou d’une chose (par exemple, celui d’une plante ou d’un animal) et ceux relatifs à l’Univers, ces deux catégories sont néanmoins toutes deux cosmogoniques au bout du compte, puisque toute génération particulière est dépendante et intimement liée à la manifestation de l’ensemble (voir aussi le chapitre II : L’Initiation). Cela est également valable pour les rituels dits « sociaux » et les rituels « chamaniques ». De ce fait, les rites de la vie quotidienne, expression d’une culture vivante dans tous ses aspects, non seulement touchent au métaphysique et à l’ontologique en tant que potentialité cosmique mais englobent également le social, l’économique, et même toutes les institutions ou formes mineures, qui sont fondées sur la structure archétypale du mythe et s’y réfèrent toujours.

Les rites ne sont donc pas exclusivement des cérémonies magiques et religieuses, mais la somme, ou plutôt l’ensemble des expressions d’une culture (dans tous les domaines), fondées sur la connaissance du réel manifesté de manière symbolico-mythique. L’art en est le meilleur exemple et c’est là la fonction rituelle qu’il a toujours possédée, celle de fixer la Tradition dans son aspect le plus profond : exprimant, recréant les origines (d’où son originalité) par l’intermédiaire de la beauté. C’est une attitude qui subsiste encore dans la grande majorité des peuples autochtones américains, bien que les authentiques symboles graphiques se soient parfois dégradés au point de devenir « décoratifs », comme les mythes des « légendes ». Pour ne prendre qu’un exemple issu du monde maya, il nous suffit de rappeler les motifs textiles, véritables codes où les indigènes impriment leurs connaissances mythiques et cosmogoniques. Cela peut également être observé dans leurs cérémonies (même lorsque celles-ci sont des « fêtes » et pas seulement des actes liturgiques) liées à l’ordre symbolique qui préside leur structure : gestes, chants, danses, couleurs, objets, etc. ; signalons que cela devient encore plus flagrant étant donné leur caractère incontestablement sacré, bien que nous croyons que, dans une société parfaitement intégrée, il n’y a pas de différence entre le sacré et le profane ; c'est-à-dire que pour ces mentalités tout est une épiphanie que ne peuvent cesser de représenter les divers modes d’expression d’un Grand Esprit, encore que sa manifestation puisse être atroce.

En réalité, ce que toutes les sociétés traditionnelles précolombiennes ont conçu −ou mieux, ont connu−, c’est que l’homme et le monde constituent un segment de l’Etre Universel qui se manifeste au moyen d’états, de principes ou de déterminations, qui ne sont rien d’autre que quelques-unes des modalités par lesquelles l’Etre Inconnu s’exprime en permanence, concevant le modèle universel et ouvrant sur la possibilité de tout le créé. Ils coïncident en cela avec la pensée (la Connaissance) de toutes les cultures et les grandes civilisations, dont les Egyptiens, les Chaldéens, les Juifs, les Grecs, les Hermétiques, les Romains, les Chrétiens et les Islamiques, sans mentionner bien d’autres civilisations de l’Inde et de l’Extrême-Orient.

Le plus grand symbole possible est l’unité du cosmos, ainsi que la somme de toutes et chacune de ses parts indéfinies en tant que manifestations au niveau sensible, toutes les possibilités de ce qui peut être perçu et qui est toujours, en fin de compte, l’unité de l’être. Le mythe exprime ces potentialités inhérentes à ce qui est humain et, par conséquent, les mythologies sont cosmogoniques dans la mesure où elles prétendent par leur discours aller au-delà de ce que l’homme perçoit dans son état ordinaire et composent un ensemble d’enseignements révélés sur le « modèle de l’univers » afin de le dépasser en raison de ses évidentes limitations, les lois universelles, et obtenir ainsi −au moyen des initiations− la réintégration de l’être particulier dans l’Etre Universel, dans le but de transcender, par l’intermédiaire de la vérité et de la beauté, les chaînes qui l’attachent au monde illusoire.

C’est pour cela que les protagonistes des mythes sont des êtres fabuleux, des dieux ou des entités surnaturelles, des personnages héroïques ou des animaux, en opposition avec l’horizontalité de la vie quotidienne, créant ainsi une possibilité de rupture, verticale, d’avec les conditionnements propres à l’existence, inversés par rapport au mystère originel.

Nous devons cependant signaler que le mythe aussi bien que le rite chargent le symbole d’une composante émotionnelle ; dans la mythologie, l’étonnement est toujours présent ; de la même manière, dans les rites apparentés aux cérémonies religieuses, le facteur émotif est déterminant et, si les symboles, mythes et rites peuvent être identifiés, puisqu’il s’agit en définitive de trois expressions distinctes de la même réalité, l’on pourrait affirmer que le mythe est la vivification du symbole et que tous deux composent la postérieure représentation prototypique et sacrée du rite et de la cérémonie, ainsi que celle de l’art ; celles-ci sont des imitations ou des représentations des premiers. Cela pourrait apparaître comme une subordination du mythe au symbole, et du rite et de l’art à la mythologie, si l’on ne comprenait pas qu’il s’agit de la même énergie opérative sur des modes distincts ; l’on pourrait même dire que le rite (pas uniquement en tant que cérémonie religieuse) et l’art, tous deux pris dans leur sens absolu, ne sont pas autre chose que des représentations de la perpétuelle régénération du cosmos, en cela qu’ils s’identifient avec lui, formant de ce fait une unité. L’on pourrait également argumenter sur le fait que le mythe n’est pas aussi précis que le symbole numérique ou géométrique ; que par son contenu universel archétypal, ou au moins par sa structure plus abstraite, il est plus adéquat pour traduire l’Idée. S’il s’agissait de donner notre opinion, nous dirions que la fusion de ces énergies est chargée d’octroyer toute la signification sur trois niveaux de conscience, connaissance ou lecture, en correspondance avec les états cosmogoniques hiérarchisés et en même temps indissolubles qui pour les Mayas, avec de très nombreux autres peuples traditionnels, étaient les divisions de toute réalité (ciel, terre et inframonde).

Et c’est bien entendu la vibration commune, la correspondance, l’analogie, la sympathie, c'est-à-dire la magie, qui relie ces plans entre eux, même si elle prend des formes aussi intellectuelles et sophistiquées que les mathématiques et l’astronomie, bases du calendrier rituel maya, peut-être la réalisation la plus achevée de l’art de ce peuple, dont la plus grande originalité, ou le paradoxe, pourrait être le fait d’être une grande civilisation primitive, contradiction dans les termes qui n’est telle que si on leur assigne exclusivement la valeur qui leur est couramment octroyée. De fait, il semblerait que cette civilisation, même ayant atteint sa pleine splendeur, demeura à de nombreux aspects ce que l’on entend aujourd’hui par « primitive ». En cela, elle ne s’est pas non plus différenciée des Grecs, Hindous et Chinois, entre autres.34 Au contraire, dans l’actualité, l’on peut distinguer la décadence dans des expressions prises à tort comme « culturelles » et qui ont débouché sur des absurdités aussi grandes que la fausse érudition, et l’art pour l’art.

CH V L’ART ALCHIMIQUE

Suite à certaines appréciations limitées au sujet de l’Alchimie, y compris dans le champ d’étude des investigateurs ésotériques, qui étiquettent notre science et la définissent comme exclusivement minérale et métallique, externe et matérielle, nous devons clarifier ce dont traite cette discipline et ce à quoi nous nous référons lorsque nous utilisons ce terme, car la perspective et l’universalité de ce que l’on appelle Alchimie est amplement plus vaste et méconnue que ce que l’on entend généralement par là. C’est également le cas de sa condition historique et géographique : le Moyen Age et la Renaissance Occidentale ; encore que nous ne nions pas à l’alchimie métallique son caractère traditionnel et ses illustres antécédents, qui remontent aux peuples archaïques qui travaillèrent les corps minéraux.

Cette limitation devient particulièrement évidente lorsque l’on considère que l’Alchimie est la science et l’art de la transmutation et de la transformation humaine, ces deux termes étant pris dans leur sens étymologique ; par conséquent, elle décrit et permet un processus que les êtres dans le monde ont connu à toutes les époques et qu’ils ont même pris comme leur vérité essentielle : l’objet (et le sujet) de leur connaissance, et la raison d’être des initiations, des symboles et des rites.

Effectivement, la présence « d’autres » réalités, aussi bien dans le macrocosme que chez l’homme, est connue depuis toujours de tous les êtres humains et de leurs sociétés, et ils décrivent, parce qu’ils les pratiquent, les possibilités de connaître, d’être, d’incarner, ces autres modalités de l’Etre Universel, qu’ils considèrent unanimement comme ce qui est véritable et immuable.

C’est sous cet éclairage que le mot Alchimie acquiert son sens original, qu’indique d’ailleurs l’étymologie du terme qui fait référence à la couleur noire (les Egyptiens donnaient à leur pays le nom de Kemi, ou terre noire), d’où l’arabisation el-Kimia indique d’une part l’aspect obscur et souterrain des opérations de transmutation, et de l’autre son but ultime et éternel, qui vise le dépassement de la première détermination, celle du Fiat Lux, assimilable à la génération par le Verbe et donc à ce qui se trouve au-delà : le Silence Primordial, ou l’Obscurité Originelle. Et pour cela même, l’accession à d’autres possibilités toujours présentes de l’Etre Universel (du reste reflétées dans l’être particulier), qui sont la matière dont traite réellement l’Alchimie, et dont font l’expérience les sujets qui s’en approchent dans le but de se constituer Philosophes, c'est-à-dire des agents responsables du grand laboratoire cosmique où l’œuvre se trouve encore inachevée et verra sa culmination par l’intervention de « l’homme véritable », ce qui explique l’importance de l’art et justifie tout acte créatif.

Comme toute discipline, elle doit être apprise et enseignée, et compte avec une doctrine et une méthode de réalisation. La doctrine est permanente et se réfère précisément à l’objet de toute alchimie. D’autre part, l’énonciation d’une Tradition Unanime, d’une Cosmogonie Pérenne, d’une Métaphysique à jamais vivante, est transmise et s’articule dans cet apprentissage, quoique suivant certaines particularités propres aux races distinctes et aux différents continents, ce qui est également lié aux différences de méthode qui ont été utilisées par d’innombrables êtres et communautés pour l’obtention du même but, unique et identique. Chez l’homme traditionnel, il n’y a en réalité pas de différence entre théorie et pratique et, souvent, l’énoncé de la doctrine, lorsque celle-ci est comprise « dans le cœur », constitue un véritable programme pratique, sinon une méthode en soi.

De toute manière, cet art et science de la réalisation des potentialités ou virtualités de l’être humain, qui est la caractéristique essentielle de la transformation, est commune à toutes les traditions et à la pensée de l’homme en général. Cela explique la quantité de « méthodes » ou de manières d’obtenir ces connaissances, qui vont au-delà de la physique et de la psychologie (voire dans l’aspect de plus subtil de cette dernière), et qu’elles soient érigées en degrés (de cette connaissance) ou soient appelées, en d’autres contextes, états de conscience ; dans la Tradition Hindoue, elles trouvent leur exemple dans l’ouverture des chakras, articulés, comme nous l’avons dit, le long de la colonne vertébrale, ce qui est produit par le réveil de kundalinî, le serpent de Shiva qui, dans son état ordinaire, gît endormi, sans que se manifestent les énergies spirituelles qu’il renferme.

L’homme a utilisé tous les moyens à sa portée pour atteindre le but ultime, et de fait ces moyens ne font que refléter ce but −que l’hindouisme nomme la Suprême Identité− dans l’une de ses possibilités indéfinies qui, par leur irradiation, englobent tout. Si tout est en tout, la science et l’art de la transmutation est présente en tout être, phénomène, ou chose, qui peuvent à leur tour être également les supports d’une action tendant à percer leur réalité finale, les secrets exprimés par leur être, ce qu’il y a derrière l’apparence, dans quelle mesure existe ce que nous tenons pour réel, etc. Ce qui fait que la méthode de la science de la transformation, ou metanoia, étroitement liée aux circonstances, toujours contingentes et relatives, dans lesquelles se produit cette « effectivisation », marquée par d’innombrables facteurs externes, ou forces astrales, à commencer par la détermination de la naissance individuelle, est également toujours présente.

Il faut cependant souligner une constante fondamentale dans l’art alchimique, c'est-à-dire dans le commerce avec anges, cieux et noms divins (et aussi dragons), qui n’est pas seulement la convergence vers un même but ; il s’agit là de l’unanimité d’opinion et d’enseignements sur l’inversion de ce but par rapport aux possibilités de l’homme dans son état ordinaire, qui recherche toujours la multiplicité et la dispersion, alors que tout processus alchimique tend vers une synthèse, une concentration de ses possibilités, car dans l’essence ou « l’élixir », ou dans « la pierre philosophale », réside aussi bien le mystère de l’Etre Universel que ses virtualités, sources de son pouvoir, qui pourra alors être développé dans n’importe quelle direction et à tout moment.

Il s’agit donc d’une « conversion », d’un retour aux origines, ou à la source primordiale de laquelle tout a émané, ou le voyage de retour au foyer, semblable à celui qui est réalisé de la multiplicité à l’unité. Du point presque inexistant est née la Roue du Monde, et nous devons revenir à son immutabilité, y compris pour trouver un sens à ce qui bouge, pour savoir que nous sommes également cela, l’immobilité du commencement, et par conséquent sa simultanéité, et comprendre ainsi la mobilité du successif, comme apparence ou projection perpétuelle de la réalité centrale.

Du point de vue alchimique, nous sommes inversés par rapport au discours créationnel qui va constamment du plus petit au plus grand (ce qui est évident si l’on réfléchit à ce qu’une goutte de sperme est l’origine physique d’un être humain ou d’un animal, de même qu’une graine est celle d’un arbre), c'est-à-dire de l’immanifesté ou virtuel au manifesté, tandis que l’alchimique se base sur le manifesté pour remonter à l’immanifestation, l’être humain provoquant en lui-même une « régénération », une vie nouvelle, la naissance d’un autre être, car il a compris qu’il n’y a pas d’alternative possible entre la quantité et la qualité, et il sait par intuition directe que c’est dans ce qu’il y a de plus petit que se dissimule le secret et se loge le centre du plus grand pouvoir.

D’autre part, rien de cela n’indique que nous songions seulement à mésestimer l’alchimie métallique, et encore moins sa symbolique, qui est d’ailleurs universelle et se réfère fondamentalement à un but spirituel. Toute l’alchimie d’Occident, du Moyen Age et de la Renaissance en témoigne, au moyen d’ouvrages qui se comptent par milliers, la plupart étant illustrés, dont l’objet est la transformation de l’âme humaine, puisqu’elle est le véhicule, ou le plan intermédiaire, où s’effectue la transmutation à laquelle nous faisons référence. Et l’on sait que dans l’alchimie minérale cette opération est symbolisée par l’athanor, le récipient où « cuit » la matière du Grand Œuvre −et où se séparent les parties les plus subtiles des plus denses par le biais d’une succession de « coagulations » et « dissolutions »−, ce qui constitue un exemple vivant de la transformation, aussi bien du microcosme que du macrocosme, de l’âme humaine que de l’âme universelle.

L’alchimie métallique forme part de la Tradition Hermétique et nombreux sont ceux qui se sont abreuvés à sa source, offerte pour étancher la soif du pèlerin ; cela ne signifie pas non plus assimiler toute l’alchimie occidentale à l’alchimie métallique, ce qui ne serait vrai pas même historiquement, selon le sens où nous parlons, c’est-à-dire celui d’expliquer l’ampleur beaucoup plus grande de cette science, comme art de transmutation, ou de transformation. En Europe, depuis l’antiquité classique, ainsi que dans la civilisation égyptienne, l’on retrouve des témoignages de méthodes et de textes se référant à ces arts, à l’instar de tous les peuples anciens du monde, et surtout de toutes les traditions vivantes actuellement, c'est-à-dire tous ceux qui pratiquent aujourd’hui ces disciplines par le biais de diverses voies de réalisation.35 En Occident, d’autres formes de la réalisation alchimique (appelée par certains hermético-alchimique) ont existé −et existent−, et même beaucoup des textes «classiques » alchimiques ne semble pas se référer, sauf parfois de manière secondaire, à des opérations de type matériel.36.

Ainsi, nous ne sous-estimons d’aucune manière les opérations métalliques ou minérales, et nous croyons qu’à travers leur observation et la participation à leur processus génératif −analogue à toute création, à commencer par celle du cosmos− l’on peut s’élever au point que l’âme de « l’opérateur » et l’opéré ne soient plus qu’une seule et même chose.37 Mais nous savons aussi qu’il n’est pas exclusif du processus minéral de pouvoir servir de base à une transformation de l’âme (encore que, soit dit en passant, il nous semble peut-être le plus curieux que nous connaissions) ; en effet, d’autres arts de transmutation sont bien connus des hermétistes, liés aussi bien à la Spagyrie (Paracelse) qu’à la Magie Naturelle (Cornelius Agrippa), à la prière ou l’invocation (Marsile Ficin), à l’art de la mémoire (Giordano Bruno) et à des systèmes complets de jeux de relations, analogies, symboles, mythes et rites (beaucoup desquels partagent les alchimistes minéraux), la cyclologie, sans mentionner la kabbale chrétienne, les exégèses, les herméneutiques, les philosophies, les écrits, etc., qui, au sujet de l’Alchimie pure, ou Science Sacrée, ne se sont pas exprimés sur le mode métallique, ni suivant la nomenclature astrologique.

D’autre part, l’on connaît divers types d’alchimie selon les règnes qui servent de support à ses travaux : minéral, végétal, animal. L’ingestion de substances provenant de ces règnes forme également part de la méthode de nombreux processus alchimiques, et la même tradition peut les utiliser indistinctement, ou à différents moments de son développement. L’on sait que les empereurs de Chine ingéraient des quantités de jade (qui est vénéneux) et aujourd’hui encore certaines médecines utilisent beaucoup d’éléments minéraux et de sels dans leurs préparations. Quant à l’alchimie végétale, elle est connue de tous les peuples archaïques pour lesquels de très nombreuses plantes sont sacrées, car considérées comme magiques, éveilleuses de la conscience, ou émissaires célestes, en même temps que la propre transformation des végétaux témoigne des processus génératifs.38.

Les champignons « hallucinogènes », l’amanita muscaria, le peyotl et le cactus de San Pedro ou autres cactacées, l’ayahuasca, le cannabis indica et d’innombrables plantes et sucs sacrés −y compris le tabac et l’alcool− entrent dans cette catégorie en ce qui concerne leur action, bien que la mycologie pourrait peut-être davantage être considérée comme étant du règne animal, auquel appartiennent également certains vers ou autres bestioles qui se mangent et forment part de cérémonies déterminées, tout comme le sang d’animaux, la tête de crapaud, etc.

L’une des formes les plus fréquentes, ou connues, de l’Alchimie dans le monde est peut-être celle qui est liée à la respiration, ou plutôt celle qui prend la respiration comme point de départ, ou préparatoire si l’on veut, du processus de la Connaissance. À cet aspect, toutes les disciplines respiratoires, depuis le Hatha Yoga jusqu’à la réitération des mantras dans l’hindouisme, qui trouve son équivalence occidentale dans les oraisons jaculatoires, les rosaires et autres pratiques, ainsi que tout rituel où interviennent le chant, la psalmodie et la danse, doivent être intimement connectés à ces processus respiratoires, où s’alternent inspiration et expiration, ou, en termes alchimiques, coagulation et dissolution.

En effet, lorsque l’on inspire, l’on reçoit le souffle vital qui est « coagulé » afin de perpétuer la vie. Au contraire, lorsque quelqu’un meurt, l’on dit qu’il expire et, à son échelle, il n’y a pas de plus grande « dissolution » que l’abandon de l’état humain. Toute l’œuvre alchimique s’effectue suivant cette dialectique et il n’est pas difficile de remarquer que toute « coagulation » peut se rapporter au froid, et la « dissolution » à la chaleur (la métallique, par exemple). En réalité, toutes les opérations alchimiques se réalisent par le feu qui, on le sait, brûle quand il est très fort et, quand il est très faible, ne transforme pas. C’est la raison pour laquelle il est unanimement recommandé aux opérateurs −ou adeptes− qu’ils sachent contrôler la flamme de leur athanor, ou de leur énergie ignée (comme une passion contenue), car à l’euphorie succède une dépression, même si l’on ne pourra jamais éviter la dialectique d’un phénomène universel qui s’exprime par une étape restrictive suivie d’une autre, expansive. C’est pour cela que le chaman des cultures archaïques, vivant aujourd’hui dans les cultures précolombiennes, entre autres, doit les connaître toutes les deux et se balancer à leur rythme, conservant la chaleur interne −pratique courante dans l’hindouisme et le bouddhisme−, ce qui lui permettra de conjuguer harmonieusement les dieux célestes et ceux de l’inframonde.

Et de la même façon que toute naissance mène à la mort et que celle-ci est continuée par une renaissance, −quel que soit le point de vue adopté, puisque la création est pérenne−, ces états se succèdent chez l’être, assujetti à l’espace, au temps, et à la mémoire. C’est pourquoi le chaman auquel nous venons de faire référence vit dans son processus alchimique d’indéfinies morts et résurrections. Et l’on pourrait également noter que c’est effectivement sa profession. Nous devons cependant aussi observer que, de façon accordée, se démarquent en Alchimie diverses étapes significatives du processus général, qui se réalise de manière échelonnée dans la projection temporelle, étapes qui sont liées aux cycles qui, bien que se succédant universellement sans solution de continuité, ont une signification claire dans le sous-cycle d’une existence particulière, où la dimension d’une vie humaine reconnaît les signes ténus et subtils d’une transformation qui, toute légère et vaporeuse qu’elle semble, devient subitement transparente et s’enracine profondément au cœur de l’athanor, ou ce qui revient au même, de l’âme humaine, permettant ainsi à l’opérateur de poursuivre son développement pour affronter de nouvelles tâches de sa science évolutive, grâce à l’intuition intellectuelle, directe, qui n’admet ni doutes ni démonstrations, complètement superflus face à la certitude.

L’on peut donc comprendre que ce processus de l’adepte −ou du chaman, qui a reçu des initiations successives, ou appréhendé différents stades de l’Etre Universel− qui obtient progressivement pour soi les couleurs de l’œuvre est une véritable immersion dans le temps, puisqu’il constate la simultanéité de tout le possible (qui est donnée grâce à la projection temporelle, à savoir graduellement), et reconnaît des états non humains depuis une perspective différente, où il voit tourner la roue des événements et des phénomènes avec détachement, tel l’alchimiste métallique qui observe de manière impartiale les substances en combustion −qui coagulent et se dissolvent− dans son athanor. Dans tout cela, la mémoire joue également un rôle décisif ; c’est la matière dont est tissé le temps et par conséquent l’homme, puisque ce dernier est autant ce qu’il connaît que ce dont il se souvient, et dans tous les cas, s’il est quelque chose en soi, il l’est par sa mémoire : imprécise et fragile substance qui change avec les moments et les jours et s’actualise constamment.39

Il y a des gens, connaissant des tas de manuscrits et d’éditions alchimiques extrêmement rares et ayant appris parfaitement la nomenclature des divers auteurs −qui sont parfois, on le sait, diamétralement opposées en raison des différents points de vue−, qui s’enorgueillissent de posséder un laboratoire dans une pièce de leur demeure, qu’ils entourent du plus grand secret, et qui cependant ignorent complètement le but de leur art et l’objet de leur science, qu’ils confondent avec « l’érudition », leur excentricité psychologique et le goût d’une certaine atmosphère paranormale. C’est une activité propre à ceux que l’on appelle les « souffleurs », dont la plupart sont fabricants de poudre aux yeux et pullulent malheureusement dans le milieu ésotérique, bien qu’ils devraient plutôt s’enrôler dans les files officielles.

Dans ce rapide coup d’œil sur les diverses « méthodes » alchimiques, ou de transmutation, nous ne voulons pas oublier de nommer la kabbale hébraïque et les calendriers méso-américains, qui sont tous deux des mines initiatiques −et donc poétiques− inégalables. La première à travers une métaphysique du langage, en particulier alphabétique, et les correspondances entre lettres et nombres, ce qui est appelé et constitue la « science des noms ».

Les seconds parce que, étant des systèmes totalisateurs qui englobent le mouvement et l’espace de tout le créé, ils définissent en soi des images et organisent des espèces, des genres et des concepts, se fondant sur les analogies et les correspondances en tout genre qu’ils relient à l’Univers, où le nombre tient un rôle prépondérant, et constituent la Cyclologie. Nous voulons préciser ici que, quelle que soit la voie choisie, elle doit toujours tendre au niveau le plus haut, lié au métaphysique ; comme le Jnâna Yoga de la Tradition Hindoue.

Les pratiques sexuelles en tant que formes de réalisation spirituelle ont toujours été des méthodes d’apprentissage. Comme nous l’avons déjà dit, les possibilités du Tantra Yoga et de l’alchimie chinoise sont les plus connues, bien que tous les peuples en aient utilisées ainsi ou d’autres manières, qui peuvent être extrêmement variables et revêtir des formes apparemment étranges pour la mentalité actuelle, comme la chasteté, ce qui pourrait sembler paradoxal à certains.40 En Occident, l’énergie sexuelle est sublimée jusqu’à s’unir à l’émotionnel et on l’appelle amour, une évocation de l’Amour, qui unit tout. Il est logique de penser, pour les raisons mentionnées plus haut, que ce type de sentiment se trouve aujourd’hui intimement lié à une version élémentaire de l’immédiat et à la possession, c'est-à-dire le contraire de ce que cette énergie est véritablement, puisqu’il s’agit en réalité d’un message généreux dû à la présence d’autres réalités au sein de soi-même. Dans le cas que nous commentons, la négation des possibilités humaines n’est jamais aussi claire que dans cette adultération.

Dans les mythes génésiques gnostiques, c'est-à-dire se rattachant à la naissance d’un être (due à une conjonction d’opposés, homme-femme), c’est en définitive l’être lui-même qui se donne naissance.

La raison en est que la vie intérieure est inversée par rapport au monde extérieur, exactement de la même façon que le sont la vie sacrée et la vie profane.

Le feu, appelé soufre en Alchimie, est nécessaire pour que le mercure soit fécondé et donne naissance à l’enfant alchimique. Mais sans la présence du mercure, qui le soufre féconderait-il ?

L’archange Gabriel annonce le prodige à Marie, et elle répond :

            Qu’il m’advienne selon ta parole.

Sans cette acceptation, le rite non plus ne se produirait pas.

Dans d’autres traditions, Vénus-Aphrodite, l’amour, l’énergie capable de tout unifier, naît de la semence produite par le démembrement d’Uranus (le Ciel) et est appelée la femme « née des ondes ». De toutes manières, ces naissances sont « antinaturelles » dans la mesure où la fécondation est « anormale » par rapport aux simples genèses ordinaires. Ce sont en définitive le feu et le ciel qui fécondent, et cela, absolument interne, constitue un fait toujours stupéfiant, mais bien plus réel que tout ce qui est connu −voire pressenti− jusqu’à présent. Ce n’est pas un hasard, et dans toutes les traditions sont nécessaires un long pèlerinage et de grands travaux pour l’obtenir, comme dans le cas très clair de Héraclès-Hercule.

Dans le Livre de la Révélation, l’opposition entre l’ange et le dragon est très claire ; pour nous, le premier est en relation avec l’air et exhale le souffle suave par la bouche, le second est identifié au feu et lance des flammes furieuses. L’on pourrait comprendre que ces deux symboles n’en font qu’un en deux modalités, si l’on s’en tient à la pensée archaïque. D’autre part, il faut signaler que chacun d’eux admet à son tour en lui une dualité : l’ange de la mort est un ouragan coléreux, le dragon ailé un animal presque familier. Cependant, l’ange boit de l’eau, le dragon du vin.

CH VI L’ART THÉURGIQUE

Si l’Alchimie est l’art et la science des transformations et des transmutations, la Théurgie poursuit les mêmes buts et se base sur des principes identiques, c'est-à-dire sur les analogies et les correspondances. Mais l’Alchimie traite davantage de l’être individuel que de l’être universel, du microcosme plus que du macrocosme. En réalité, l’Alchimie comme la Théurgie opèrent sur un mode similaire et doivent être distinguées de l’hyperchimie (matérielle et métallique) et de la magie mal nommée « cérémonielle », dans la mesure où celles-ci recherchent exclusivement des succès vérifiables fondés sur le rapport de cause à effet, toujours personnalisés et individualistes par opposition avec la magie naturelle et l’authentique Alchimie, dépersonnalisées, toujours attentives aux principes et à l’ordre dialectique de la Création. Ce qu’il y a d’intéressant à ce sujet, c’est qu’aussi bien la Théurgie que la Magie utilisent par ailleurs des procédés similaires, ce qui fait que leur différence ne repose peut-être pas tant sur le type de chorégraphie rituelle que dans l’âme des participants, dans leurs intentions, et surtout dans la connaissance directe de l’univers d’énergies invisibles qu’exprime et reproduit la cérémonie.

A la base de n’importe tel rite, y compris le rituel magique, se trouve la notion d’Univers en tant que Tout indissoluble et indivisible. Cette harmonie est donnée grâce à l’opposition continue de deux facteurs devant se complémenter, soit par la guerre, à savoir en attaquant et repoussant, soit par la paix, en assimilant par sympathie. Dans les deux cas, l’on procède par correspondances ou analogies inverses.

Exercer une action sur quelque chose c’est exercer cette action sur un ensemble de choses innombrables dans un monde conçu en enchaînements ; de même, le faire sur un être humain implique de le réaliser sur toute l’humanité ; l’économie de la Théurgie fixe ses propres limites sans les imposer. Ses buts sont imprécis, ses moyens doivent être exacts : paradigmatiques, mythiques et parfaits, c'est-à-dire spécialement adaptés à la situation spatiotemporelle dont est marqué le rite, même s’ils semblent totalement paradoxaux à l’opérateur lui-même qui ne sait dans sa démarche définir clairement −et n’en a nul besoin− où et comment les différents événements de sa propre divine comédie pourraient être traduits au sein d’une Révélation Permanente.

L’homme est le cœur de l’Univers. En effet, le microcosme remplit la même fonction dans le cosmos que le cœur dans le corps humain, et à travers sa dualité, assujettie à ses deux natures, divine et humaine (systole et diastole), il est capable de recréer perpétuellement la vie à laquelle il est indissolublement uni, puisqu’il forme un tout avec elle, tous deux se correspondant de manière parfaite et identique au point qu’ils constituent, ont constitué et constitueront, une seule et même entité. Le monde entier est animé et parfaitement vivant aujourd’hui (et toujours), comme un animal ou un être gigantesque dont les parties ou les organismes s’articulent et se moulent constamment les uns aux autres sous l’impulsion des mouvements de leur cœur, l’être humain, centre de l’Univers. Et cet être étant une part essentielle de la création, il régénère le cosmos en permanence, ne serait-ce que par sa seule présence.

Dans un tel monde, tout est magique, et chaque geste, signe ou mot, est un acte génératif capable de produire à son tour d’infinis reflets de ses propres caractéristiques.

Cela est réaliser perpétuellement la création et c’est une réalité que l’homme a toujours connue, même de manière inconsciente, et dont il a fait partie comme le prouvent des légions de sages égyptiens, chaldéens, sibériens, de mages hermétiques et aussi, à leur niveau, des artistes divers, des politiciens, des illusionnistes et des vendeurs ambulants.

D’autre part, qu’y a-t-il de plus opératif et magique que l’oraison du cœur qui, en raison d’une concentration au sein de l’être humain qui prononce la prière ou l’invocation, se dirige au cœur de l’Etre Universel avec lequel elle cherche, et parvient à s’harmoniser ?

Comme l’on peut le constater, cette science n’a rien en commun avec quelque cérémonie magique de type « positiviste » et d’élémentaire rapport de cause à effet, au style toujours immédiat, utilitaire, et personnalisé. L’Art Théurgique est impersonnel, et ses rites sont adaptés à la cadence et à l’harmonie de la magie naturelle, qui génère en permanence les phénomènes et substances de la création au moyen d’archétypes immuables qui, paradoxalement, changent constamment de mode. Cette dernière vertu permet à l’individualité du chaman de s’ajuster au rythme universel, de ne faire qu’un avec, et donc de générer sa propre création en ayant préalablement détruit toutes les formes comme étape nécessaire à la reconstruction de tout ordre, que ce soit sa personnalité, son cadre de projection, ou l’espace qui lui a été assigné.

En réalité, toute interprétation de cet art effectuée par des yeux profanes, c'est-à-dire avec la programmation contemporaine, sera nulle et corrompue puisqu’il sera impossible de comprendre un type de mentalité dont la cosmovision, les us et coutumes, et surtout l’actualisation permanente de la réalité de l’invisible et de l’inconnu, organisent la vie et le comportement. Pour ce genre de personnes, la vie est un perpétuel jeu d’ombres et de lumières, d’espaces constamment renouvelés, une représentation suffisamment mimétique pour sembler véritable. La possibilité est la base de la Théurgie, la création son infini champ expérimental. Par nature, l’Univers est magique ; cela vaut également pour le microcosme. Mais il ne faut pas oublier que le rite impersonnel finit par se personnaliser, que l’invoqué devient forme et image, se matérialise de différentes manières ; et que toute tentative pour exposer de façon plus ou moins rationnelle ce qui ne suit pas ce discours est en soi un acte frustré par rapport à la somme de l’inconnaissable et à l’authentique présence de l’ineffable mystère. En somme, pour le chaman-mage, cette autre réalité, cet autre monde, invisible et cependant si réel qu’il est la source −selon lui− à l’origine de n’importe quel phénomène ou chose, est beaucoup plus importante que toute autre apparence, toujours illusoire.

Dans la Théurgie, les buts ne sont pas particuliers mais prototypiques et symboliques : dans ce sens, ils sont en général exemplaires, comme les mythes, leurs structures et leurs personnages.

Il est nécessaire de préciser que la Théurgie n’attend pas de résultats concrets, et de même, le chaman ou le mage n’est souvent qu’un symbole par lequel se transmettent les énergies, ou vibrations, qu’il canalise indépendamment de son approbation ou désapprobation personnelle. Le fait que l’intéressé lui-même soit conscient ou inconscient de ses pouvoirs, ou plutôt la mesure dans laquelle il en est conscient, n’affecte pas non plus leur irradiation multiple, qui peut se transformer en d’innombrables possibilités parfois libérées par sa seule participation. A cet aspect, le chaman est une théophanie en soi, ou le devient pendant son activité magique, ce qui constitue le noyau central de tout rite.

La Théurgie est toujours actuelle, aucun participant à l’un de ses rites n’a jamais eu l’idée de vérifier le « résultat » de ses cérémonies. Quand le chaman allume le feu, il génère la vie, au moment où il verse de l’eau sur la terre, il pleut, l’univers est étroitement lié aux hommes, qui le composent. Nous sommes des signes dans un monde de signes, et le mage est un générateur, effectuant ses rites ancestraux, renouvelant le monde à perpétuité. Ses cérémonies ne sont pas vaines, au contraire, elles sont indispensables pour que le Soi-Même se reconnaisse au sein du soi-même ; elles sont donc aussi archétypales que nécessaires, et leur action immédiate, et surtout médiate, est fondamentale, elles peuvent fructifier sous d’innombrables formes et chacune s’organisera en ensembles et ceux-ci en structures précises qui finiront par se manifester concrètement. D’où l’énorme importance octroyée à la Théurgie, science qui accompagne les rythmes du cosmos comme le fait la nature, et qui comme elle réalise son geste désintéressé et gratuit pour préserver la vie du monde, tout comme celle de l’homme et, par conséquent, celle de l’espèce. Ainsi l’objectif ultime de la Théurgie est de se relier à la chaîne d’union intérieure, à l’Eglise Secrète, au Collège Invisible qui opère et se manifeste en nous et dans notre environnement, nous donnant ainsi le pouvoir d’exprimer la Science Sacrée.

En réalité, l’art magique et théurgique consiste à rendre effectives la pensée et la doctrine cosmogonique traditionnelles au sein d’une réalité toujours changeante de gestes, de milieux, de voix et de structures qui se succèdent sur le ruban du temps.

Cette adaptation des circonstances qui conditionnent la vie de l’homme constitue une actualisation permanente des principes, auxquels la cosmogonie se réfère toujours, et une constante vivification des lois universelles, que l’opérateur magique connaît et applique −parfois sans objectif apparent− à son milieu sous la forme d’une circonstance anecdotique, historique, toujours changeante.

Dans la réalisation de l’œuvre Théurgique, il y a une certaine théâtralité, qu’il s’agisse ou non de cérémonies proprement dites. Cela est parfaitement logique si l’on considère que l’adepte est totalement sorti de son conditionnement, puisque ses valorisations sont alors autres, au point que la programmation qui lui avait servi jusqu’alors n’est pas valable pour des espaces mentaux différents et des temps internes distincts. Cela provoque une contradiction, un drame (ou une comédie), dans la psyché du chaman, un authentique psychodrame qui comprend parfois d’étranges comportements ou des attitudes inhabituelles, non seulement pour les autres, mais aussi pour le mage lui-même, immobilisé par la stupéfaction. Lors de l’entraînement dans l’art de percevoir la constante théâtralité de la vie, l’on pressent et l’on commence à parcourir la superstructure qui la comprend et qui néanmoins n’en est pas distincte, bien qu’elle constitue un espace autre.

Quant aux travaux de « l’apprenti », il faut tout d’abord appliquer la notion de rite à tous les domaines de la vie et à son quotidien personnel. Il faut ensuite savoir que cela ne doit pas être réalisé de manière littérale, de façon linéaire, mais qu’il s’agit plutôt de vivre au rythme du métronome cosmique, observant la sacralité de l’environnement physique-animique, dérivé d’un être spirituel, aussi invisible qu’intelligent. Ce n’est donc pas seulement une systématisation de gestes et d’invocations qui finissent toujours par se scléroser, mais l’intuition de la Vérité et de la Beauté réunies harmonieusement dans le corps de l’Intelligence Universelle, déité aussi précise que furtive, toujours aérienne ou radieuse.

Dans tous les cas, si beaucoup de nos travaux demeurent sans succès, ou si nous n’avons momentanément pas l’énergie nécessaire pour les mener à bien, ou simplement que nous ne sommes pas satisfaits de nous-mêmes, il ne faut absolument pas faiblir dans cette tâche, et encore moins nous auto-apitoyer, que nous adoptions pour la circonstance les valeurs de l’homme âgé, ou incarnions de furieuses réactions contre l’ignorance qui nous marginalise ; même si notre énorme effort pour réaliser un message nous semble provisoirement une chose impossible, une vaine matière, nous devons nous rappeler que dans le grand laboratoire de la création universelle les résultats sont obtenus au prix d’énormes dépenses (mais jamais de pertes) d’énergie, ce qui est la particularité de n’importe quel processus créatif. D’autre part, si notre application et nos travaux ne servaient qu’à diffuser la Tradition Unanime qui demeure vivante depuis les origines de l’homme et de l’univers, cela serait amplement suffisant, en accord avec des possibilités qui s’amenuisent de plus en plus à mesure que s’approche la fin des temps.

L’on sait déjà que le mal d’exister n’est que momentané, comme tous les maux, y compris les sacrifices qui nous sont imposés et les « maladies » ou « dérèglements » qui nous affligent si souvent au long du chemin et que nous tendons à considérer comme indignes (selon la programmation du vieil homme), alors que ce ne sont, parfois, que les symptômes évidents d’un profond processus régénérateur.

Pour terminer, signalons que l’une des pratiques théurgiques les plus importantes d’Occident, et qui a également eu une valeur primordiale à divers aspects parmi les peuples archaïques, est l’invocation des Muses au moyen d’incantations. C’est précisément ce que font en les incarnant mages, chamans, philosophes, sages et prêtres, rois authentiques, héros, bardes et trouvères. Homère nous en parle dans l’Illiade, et Hésiode dans sa Théogonie. Ce dernier les invoque ainsi :

Et il est heureux celui que les Muses aiment ! Une douce voix coule de sa bouche. Si quelqu'un, l'âme blessée d'une récente douleur, s'attriste, gémissant dans son cœur ; qu'un Aède, nourri par les Muses, célèbre la gloire des anciens hommes et loue les Dieux heureux qui habitent l'Olympos, aussitôt il oublie ses maux, et de ses douleurs il ne se souvient plus, car les dons des Déesses l'ont guéri.

Salut, filles de Zeus ! Donnez-moi votre chant qui ravit ! Célébrez la race sacrée des Immortels qui vivent toujours, et qui sont nés de Gaia et d'Ouranos étoilé, et de la ténébreuse Nyx et de l'amer Pontos.

Dites comment sont nés les Dieux et Gaia, et les Fleuves, et l'immense Pontos qui bout furieux, et les Astres resplendissants, et, au-dessus, le large Ouranos, et les Dieux, source des biens qui naquirent d'eux ; et comment, s'étant partagé les honneurs et les richesses dès l'origine, ils s'emparèrent de l'Olympos aux nombreux sommets.

Dites-moi ces choses, Muses aux demeures Olympiennes, et quelles furent, au commencement, les premières d'entre elles… (*)

En Grèce et à Rome, elles étaient au nombre de neuf, étaient placées sous la direction d’Apollon et vénérées par tous ceux qui se consacraient aux travaux de la Connaissance, à savoir la Science et l’Art ; d’ailleurs, de nombreux autres auteurs les mentionnent. Filles de Zeus et de Mnémosyne, l’on peut résumer à grands traits l’activité de ces entités spirituelles, de ces déesses : Calliope, la poésie épique ; Clio, l’histoire ; Erato, la poésie lyrique et les chants sacrés ; Euterpe, la musique des instruments à vent ; Melpomène, la tragédie ; Polymnie, la pantomime ; Thalie, la comédie ; Terpsichore, la musique en général et la danse ; Uranie, l’astronomie.
Walter F. Otto, dans son étude Les Muses, déclare :

Horace, dans la plus belle de ses odes romaines (Carm. III 4) appelle la Muse dans le ciel afin de chanter un long poème et comme il fit l’expérience de son ensorcelante proximité, il vit comment les Muses le protégèrent comme un enfant et plus tard le sauvèrent sur le dangereux chemin de la vie et il se sentit prêt à affronter allégrement toute tempête et toute gêne, seulement lorsqu’elles étaient à son côté.

Cependant, elles prennent aussi d’autres formes dans le jardin magique de l’âme. Ainsi Platon dans son Phèdre (245), parlant du délire en tant que don prophétique,
un don magnifique lorsqu’il nous vient des dieux,

…   est plus noble que la sagesse des hommes, nous explique :41

Il y a une troisième espèce de délire et de possession, qui est inspirée par les Muses. Quand il s’empare d’une âme innocente et vierge encore, il la transporte, et lui inspire des odes et d’autres poèmes qui serviront à l’enseignement des générations futures, célébrant les prouesses des héros antiques. Mais celui qui ose approcher du sanctuaire de la poésie, sans être agité de ce délire qui vient des muses, ou qui croit que l’art seul suffit à le rendre poète, demeurera fort éloigné de la perfection : et la poésie des sages se verra toujours éclipsée par les chants qui respirent l’extase divine.

On le voit, par leurs attributs ces esprits féminins ont été présents tout au long de l’histoire de l’homme, comme bien d’autres sous des formes distinctes, dans la totalité des peuples, qui ont su les reconnaître et entrer en rapport avec elles de manière unanime. Pour quel motif suppose-t-on que ces êtres spirituels, ou énergies réelles, si l’on préfère, n’existent plus de nos jours ? Peut-être seulement parce qu’on les nie ? D’autre part, qui ou quoi nous interdirait d’entrer en contact avec les déesses et les entités spirituelles qui nous attendent et nous forment ?

(*)                   Traduction de Leconte de Lisle (NdT)


CH VII L’ART MUSICAL

La naissance de la musique occidentale a lieu mythiquement avec celle de la lyre d’Apollon et sous l’égide des muses, desquelles son nom dérive, et Platon, dans Le Banquet, nous la présente comme une invention olympienne, bien que nous devions également la rapporter aux marteaux de poids différents que Pythagore entendit sonner dans une forge, adaptant par la suite cette gamme à une corde dont le son est donné par les proportions de la longueur, ce qui constitue le monocorde −image du monocorde universel− érigé en modèle permanent de la Théorie musicale postérieure, capable d’entrer en syntonie (symphonie) avec l’harmonie des sphères et leur musique céleste, car les différents sons et leurs proportions sont des expressions de la manifestation cosmique, dont ils sont le reflet. Ces relations et spéculations entre la musique, la cosmologie et la métaphysique sont propre à toute la pensée occidentale et ont continué sans interruption jusqu’à nos jours. 42 Pythagore lui-même, suivi de Platon, établit des proportions numériques et géométriques et les liens qui les unissent à la musique en tant que révélatrice de la structure et de la perfection cosmique et intermédiaire entre leurs niveaux.43

Mais ce n’est pas tout, ces proportions établissent également les normes de l’architecture et des arts visuels, le plan de la cité, le mètre poétique, et se reflètent dans tous les aspects culturels et institutionnels, ce qui a été le cas non seulement des peuples d’ascendance gréco-romaine, ou hébraïco-chrétienne (au Moyen Age, par exemple), mais aussi de nombreux autres −qu’ils soient archaïques ou civilisés−, car ces modules composent la structure de base des sociétés qui ne sont pas en décadence, qui prennent les rythmes et les proportions comme des lois reflétées par tout l’univers à sa manière, lesquelles fixent et délimitent, et par conséquent rendent possible en permanence l’exécution du concert cosmique.44

Ce type de pensée est également celui de l’école d’Alexandrie (du Ier au IIIe siècle de l’ère chrétienne, par exemple Euclide), celui de Saint Augustin (dans De la Musique), celui de Boèce, de l’école de Chartres (XIIe siècle), de la Renaissance (par exemple Marsile Ficin) et d’un grand nombre de philosophes Hermétiques (C. Agrippa, R. Fludd, A. Kircher, F. Zorzi, ainsi que Kepler, Newton, etc.). 45

Cependant, loin de rencontrer une uniformité de critère chez ses auteurs, l’on peut distinguer, au sein d’une unité de base, différentes propositions plus ou moins valables, selon notre approche du point de vue, ou plutôt de l’audition de l’auteur, liée aux éléments qu’elle rassemble, établissant les proportions entre eux.  Cela, qui vaut également pour les diverses astronomies des différentes cultures, parfois elles aussi fondées sur certaines planètes que d’autres omettent, est aussi valable pour les structures de leurs panthéons et de leurs langues, et c’est une chose normale et adaptée aux lois universelles −donc saine− et la raison pour laquelle une Tradition Primordiale est exprimée dans différentes cultures, faisant l’acquisition de différentes formes traditionnelles comme autant de rejetons d’un archétype commun, de même que l’unité se trouve présente dans la multiplicité, malgré que chaque nombre de la série soit différent et exprime des concepts dissimiles à ceux des autres.

A cet aspect, l’audition des différents peuples constitue leur musique, qui est le résultat des rapports et des proportions entre les divers sons, signes ou signaux qui constituent leur cadre culturel.

*
*   *
Une circonférence est formée par une multitude de droites indéfinies, reflets des innombrables rayons qui, comme le son, naissent, meurent et renaissent à perpétuité.

Dans le cas de la musique, architecture du logos, le rythme souligne l’altérité d’un contenu évident et les proportions numériques structurent l’espace sonore par la révélation de normes qui s’organisent et correspondent entre elles.

La manifestation de ce fait stupéfiant est l’art musical, et l’audition est le moyen dont se sert le temps pour perpétuer l’éternel présent. Dans le code de ce qui est constamment réitéré, l’idée musicale est une possibilité toujours neuve et aussi fraîche et récente que toute génération. La voix est l’instrument par excellence et le phrasé et la parole sont les gestes audibles dont tout langage est articulé. A l’origine fut le verbe, qui est simultané avec la pérennité de la création ; interpréter l’harmonie cosmique n’est pas autre chose qu’être. Dans cette perspective, le son constitue n’importe quel ordre, à commencer par la conscience de l’espace, du temps et de sa propre identité, et continue avec la totalité de la manifestation universelle qui apparaît alors comme le développement d’une organisation musicale complexe révélée par les nombres et les figures géométriques.

Cela étant, tout être, phénomène ou chose se trouve au sein d’une gamme, sauf le non déterminé, dont l’absence correspond nécessairement au silence, ou au Non Être. Il faut cependant faire observer que ces concepts dépassent et surpassent le sensible, bien qu’en fait toute audition soit la limite où s’encadre l’illimité. C’est là le sel de l’Art Musical, capable par sa propre nature et ses valeurs intrinsèques de manifester l’hier, l’aujourd’hui et le demain, le non manifesté, la possibilité perpétuelle : ce qui, sans jamais être, constitue quand même le son paradigmatique de l’espérance.

Il n’y a pas de son sans auditeur, dans la créature réside le pouvoir que l’œuvre soit ou ne soit pas ; l’on sait qu’une grève de l’écoute annonce la fin du temps. L’on ne peut émettre sans écouter : les muets le sont parce qu’ils n’entendent pas, bien qu’ils perçoivent parfaitement l’altérité et la résonance. Dans un tel cas, le chant et la poésie succombent, et avec eux disparaît la possibilité de reproduire sans cesse le discours créatif qui surgit de l’audition intérieure de soi-même. Le temps s’achève alors, et le mouvement cesse −ainsi que la transmission−, car l’espace où il se produit est mené au bout de sa contraction, et d’un seul coup est aboli pour toujours, comme il arrive lors de tout décès qui, on le sait, se caractérise par l’impossibilité de continuer de se projeter à cause de l’absence de toute émission. Ainsi s’achève le développement musical qui a donné lieu à l’existence d’un homme −ou d’un monde− qui réintègre le silence primordial, lequel cessera de l’être dès lors qu’une image sonore fera irruption dans la nuit obscure et vide du non formel, faisant tourner une fois de plus les cycles qui se réitèrent à perpétuité et structurent le cosmos au-delà de toute prétention individuelle, qui n’est autre, dans le meilleurs des cas, qu’une correspondance active avec un état de l’être universel. Par conséquent, la musique est la manifestation d’une expression primitive qui s’épanouit en chants et danses ; c’est l’irruption du temps au sein d’un espace archétypal et l’indispensable incorporation du mouvement qui dynamise la totalité du domaine vital ; et c’est ainsi que surgit la chaleur de la voix humaine et que l’homme s’incorpore à une nouvelle cérémonie : il crie, il chante, il danse, et son corps se projette dans le devenir sous l’impulsion du rythme, clé de la vie universelle.

La musique agit également de manière secrète sur les êtres et les choses, comme la poïesis, et offre à qui s’y intéresse une voie de réalisation spirituelle, ou du moins une base pour cela, sans oublier le fait qu’elle a toujours représenté l’un des éléments transmetteurs les plus importants dans les rites et les cérémonies. Mais ce n’est pas seulement cela : la perception du discours musical est plus inaudible que sonore, et donc la véritable puissance magique de la musique réside dans sa perception originale, où l’être humain qui écoute est un instrument précis et accordé dans la symphonie de l’ensemble, également capable de créer et de transmettre l’inaudible en expressions harmoniques −même si elles détonnent parfois dans l’uniformité du phrasé courant− par le fait évident que celui qui « écoute » régénère la permanente actualité de l’art musical en étant tout à la fois le sujet et l’objet de celui-ci ; le son, comme la matière, comme le cosmos, n’est qu’un.

Ainsi, le son et l’audition constituent un fait identique, un processus les conjuguant sans fission, jusqu’au moment où intervient la dualité de l’esprit qui les divise en l’un et l’autre, en sujet et objet.

La véritable audition se réfère à l’identité avec la vibration sonore du plan subtil, incréé, mais tout aussi réel, qui constitue l’origine de l’audible, ce qui est seulement un symbole ou une image de l’authentique perception intellectuelle, assimilable à l’audition métaphysique dont l’origine se trouve dans cette entité ou déesse appelée Intelligence, capable de sélectionner des valeurs par notre intermédiaire et de se présenter devant la Sophia universelle. Savoir, c’est écouter la musique cosmique, obtenir une réponse qui s’ordonne en chacun afin d’accéder à l’audition métaphysique.

Les médiateurs de connaissance sont les symboles visible et audibles46 qui, une fois différenciés, ont commencé à se fixer dans l’âme, à s’imprimer dans sa virginité, tout en entrant en relation les uns avec les autres, produisant ainsi de nouveaux espaces, générant des phrases, et éclairant des zones de plus en plus définies, précises, claires, qui se complètent et s’articulent en un discours : leur cadence musicale. Ce processus est analogue dans n’importe quel développement ou gestation, ce pour quoi la Manifestation Universelle est l’Archétype inévitable de toute audition, c'est-à-dire le dialogue établi pour la première fois entre le « moi » et l’ « autre », qui intercalent leurs rôles de façon binaire, comme le fait la relation actif-passif, passif-actif.

Il n’y a pas de son sans audition ; à cet aspect, le récepteur sélectionne et manipule l’audition (comme la vision), la transforme, et restitue ainsi un processus où sa passivité « virginale » devient, par le biais de la fécondation et de la naissance, une nouvelle possibilité sonore, qui génère à son tour une nouvelle suite d’enchaînements marqués par les périodes, ou intervalles, entre les tons, les couleurs, ou les particularités d’une gamme qui revient sur elle-même, se réitérant. De fait, cette image de mondes dans des mondes, et donc de la réalité et la sacralité des espaces visibles qui forment le cosmos, et l’homme lui-même, donnerait le vertige par sa plurivalence et sa multidimensionnalité si elle ne présentait pas un assemblage parfait, à savoir si elle n’était pas disposée en ordre, grâce à l’harmonie musicale qui conjugue le désordre des parties.

La compréhension de ce symbolisme sonore, c'est-à-dire la possibilité métaphysique incarnée par la musique, ajoute une nouvelle dimension à l’audible : c’est aussi une manière différente de percevoir le mouvement comme un élément constitutif de l’espace musical.

Il n’y a pas de nécessité sans possibilité, et inversement, il n’y a pas de possibilité sans nécessité. Le possible est nécessaire et le nécessaire possible. Il s’agit peut-être de deux aspects d’un même plan, ou plutôt d’une même réalité, envisagée de deux points de vue distincts et opposés, tel que le libre arbitre et l’évident conditionnement du destin. Cette vérité se manifeste au niveau ontologique au cœur même de l’être, lequel, pour s’identifier, pour se connaître, doit se fractionner entre le moi et l’autre, pivot de tout dualisme. Dans le phénomène sonore, l’expansion de cette dualité se fait tout d’abord comme un son (transmis par le vent), puis est recueillie par le récepteur de cette communication. La même dualité se présente également à un autre niveau entre le son et l’écho. Ce dernier est comme un miroir, ou la superficie des eaux, ou le prisme, où la lumière est réfractée ou reflétée, se démultipliant en modules sensibles, auditifs ou luminescents, en images qui, de même que celles du temps et de l’espace, naissent, meurent et renaissent à perpétuité, comme nous le disions au commencement, se déployant toujours sous forme de triades (dans ce cas : verbe, audition, auditeur, ou également : émission, milieu sonore, réception).

Pour terminer, nous voulons juste souligner deux thèmes fondamentaux que nous avons abordés ici, et sur lesquels nous reviendrons sûrement dans le futur. Le premier traite de l’audition comme constituant l’expression du temps et la perception du mouvement dans l’espace, et le second, de la relation de la musique avec l’élément air, conducteur du son, et tout ce que ce dernier signifie pour une société traditionnelle ou une culture archaïque.

La déesse t’attend, l’essence de son nom sonore est Sophia. Enchante-la par ton art et épouse-la pour toujours.
 
Notes

 

  1. Voir René Guénon : Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée. Ed. Gallimard, Paris 1962.
  2. Dérivé du mot latin radius.
  3. Dans la tradition hindoue, ce rayon est appelé buddhi et correspond à l’intelligence, ou intuition directe.
  4. L’alchimiste, mathématicien et kabbaliste John Dee, astrologue de la reine Elisabeth I d’Angleterre et dont les instruments magiques (miroir, pentacles, boule de cristal) sont conservés et exposés au Musée Britannique, écrit au Théorème II de sa Monade Hiéroglyphique : « C’est donc par la vertu du point et de la monade que les choses ont commencé d’être, en principe. Et toutes celles qui sont affectées à la périphérie, quelque grandes qu’elles soient, ne peuvent, en aucune manière, exister sans l’aide du point central ».
  5. Dans la mosquée, la coupole correspond au ciel et au Prophète, et les quatre « fausses » coupoles dérivées qui se projettent sur la base quadrangulaire, à ses quatre descendants, ses héritiers sur cette terre.
  6. Pour souligner l’importance du symbole en tant que langage, nous voudrions simplement rappeler que la tradition chrétienne affirme que Constantin, empereur romain, vit dans le ciel une croix énorme et entendit une voix qui disait In hoc signo vinces ; cela motiva sa conversion au christianisme et la postérieure implantation de cette religion dans l’empire comme religion officielle, ce qui démontre que le pouvoir du symbole a été capable de changer −ou de canaliser− toute l’histoire d’Occident.
  7. Tous les peuples n’ont pas fait exactement cette division schématique. Plusieurs des peuples précolombiens la contredisent apparemment. Il est aussi extrêmement intéressant d’observer que ces sociétés, qui connaissaient parfaitement le cycle et la circularité, comme le démontre la perfection de leurs calendriers, n’utilisaient pas la roue de manière technique, car ils la considéraient comme « taboue », bien qu’ils aient connu son application pratique, qui se retrouve dans de nombreux jouets retrouvés par les archéologues tout au long de Méso-Amérique.
  8. A ce sujet, il faut cependant garder à l’esprit le fait que la ligne d’horizon est toujours dans le regard du spectateur.
  9. Pour l’hermétisme, c’est en outre le nombre du microcosme, c’est-à-dire de l’homme ; c’est aussi celui des doigts de sa main.
  10. Ces douze arêtes occupent une place prépondérante dans la cosmogonie précolombienne, car son image du monde se présente généralement de façon quadrangulaire et cubique ; ajoutées au centre, elles donnent le nombre treize, module vital de la vision de l’univers des précolombiens.
  11. La traduction du terme chakra est littéralement roue.
  12. Dans la kabbale hébraïque, les mondes intermédiaires de Yetsirah et de Beriah sont formés par les sephiroth dites de « construction ».
  13. Dans l’islam, cette Connaissance, cette Gnose, est assimilée à Ilmut Tauhyd (la science de l’unité), d’où dérivent toutes les sciences. Il y a également trois degrés de Connaissance : islam, iman, efibsan, correspondant à trois catégories de croyants : muslimun, mu’minun et Muhsinun.
  14. La fameuse harmonie, ou équilibre, grecque a également été obtenue en conjuguant l’apollinien et le dionysiaque, une fois compris qu’entre ces deux énergies les contradictions sont apparentes.
  15. Comme on le sait, Platon voyait ce symbole comme les deux moitiés identiques d’une sphère.
  16. Le « jeu » de Tarot, dont le nom est l’inversion du mot « Rota »,  roue, avec l’ajout d’un T final pour indiquer l’idée de circularité, combiné avec le schéma de l’Arbre de Vie kabbalistique et le secours des arts libéraux, constitue un excellent moyen d’introduction propice aux initiations hermétiques modernes.
  17. Les dites « hautes civilisations » ont aussi été des sociétés « primitives », et c’est de leur « époque mythologique » qu’est né le cœur de leur culture. Pour elles, c’était là leur Tradition, reçue de façon complète et non pas naissante ou défectueuse. Ceci explique l’apparition apparemment soudaine de grands monuments et de cités, et l’irruption dans l’histoire de systèmes consommés de pensée, communication, langage, etc.
  18. Le Gange est le sperme de Shiva, et cette semence contient potentiellement l’énergie de l’Intelligence (également associée aux lettres de l’alphabet sacré du monde, ou au son primordial de celui-ci -AUM-), ou Mère Eternelle, Nârâyâni, énergie ordonnatrice et formatrice immanente dans la manifestation, intelligence cosmique et sensible assimilable indistinctement à Pârvatî (Shakti de Shiva) et à Lakshmî (Shakti de Vishnou).
  19. A l’exception de la science plus moderne.
  20. Dans ce sens, le Temps est l’image de l’Amour Divin perpétuellement actualisé afin d’assurer la Vie Universelle.
  21. Dans certaines traditions, cette expression est carrée. Cependant ces deux figures sont analogues et correspondantes.
  22. Le Symbolisme Précolombien. Cosmovision des Cultures Archaïques. Ch. « Les Calendriers Méso-Américains ». Edition originale Kier. Buenos Aires. 2003.
  23. Et aussi frère, dans certaines cosmogonies.
  24. « Certainement, la vue, à mon sens, est la cause de notre plus grand bien, car aucun des discours actuels au sujet de l’univers n’aurait été fait si nous n’avions pas vu les corps célestes, ni le soleil, ni le ciel. En réalité, la vue du jour et de la nuit, les mois, les périodes annuelles, les équinoxes et les révolutions astrales, non seulement donnent lieu au nombre, mais ils nous ont donné aussi la notion de temps et les recherches sur la nature de l’univers, d’où nous avons obtenu la philosophie. Le genre humain n’aura jamais reçu ni ne recevra jamais de don des dieux plus grand que celui-ci. C’est pour cela que j’affirme que c’est là le plus grand bienfait des yeux. Et de tout ce qu’ils nous offrent, de moindre valeur, ce que celui qui n’est pas amant de la sagesse regretterait en vain s’il avait perdu la vue, que pourrions-nous vanter ? Quant à nous, disons que la vue a été conçue à cette fin : Dieu a découvert le regard et nous en a fait présent afin que l’observation des révolutions de l’intelligence dans le ciel nous permette de les appliquer à celles de notre entendement, qui bien que convulsionnées sont parentes des révolutions imperturbables, et que nous ordonnions nos révolutions erratiques au moyen de l’apprentissage de celles-là, par la participation à la correction naturelle de leur arithmétique et par l’imitation des révolutions complètement stables du dieu. » Platon. Timée 47.
  25. Nous nous référons à la période de 13.000 ans, l’année platonicienne ou grande année, au cours de laquelle le soleil, la lune et les cinq planètes manquantes reviennent à leur exacte position initiale.
  26. Chaque année, les jours de solstice (ou d’équinoxe) apparaissent en retard par rapport à l’année précédente.
  27. L’on assimile la terre au corps humain.
  28. Les calendriers sont le fidèle reflet de la cosmogonie des peuples qui les ont conçus, et leurs préceptes sont les modules qui ont engendré leurs civilisations ; cela est également valable pour toutes ces cultures -celles des peuples nomades, par exemple- qui ne tiennent pas le compte des cycles et des rythmes les plus larges et stables (aussi par impossibilité physique), mais de ceux qui sont nécessaires à leur économie vitale.
  29. Les planètes « intérieures » au soleil et à ses influences (Lune, Mercure, Vénus), et les « extérieures » (Mars et Jupiter, Saturne) suivent également une détermination hiérarchique ; chacune d’elles possède également deux aspects, l’un « ascendant » et l’autre « descendant », par exemple : le Mercure vulgaire et celui des philosophes, la Vénus Pandemos et la Vénus Ourania, etc.
  30. En témoignent les pyramides précolombiennes en général, parmi lesquelles nous distinguerons celle dite « de Kukulkan » à Chichen Itza, qui est une image de leur cosmogonie -neuf degrés couronnés par le Temple, orientés aux quatre directions de l’espace, et une crypte intérieure- et de leur calendrier, puisqu’elle inscrit simultanément dans son architecture, par un effet optique (un jeu d’ombres et de lumières), la descente du serpent à plumes par l’une de ses faces, exactement à l’aube de l’équinoxe de printemps. Sur quelques-unes de ces vérifications, voir l’intéressant travail de certains archéo-astronomes ; par exemple Anthony Aveni : Observadores del Cielo en el México Antiguo. F. C. E. Mexico. 1991.
  31. Ici, l’axe terrestre et l’axe céleste sont assimilables ; tous deux sont des images des pôles archétypaux et, dans l’Arbre de Vie kabbalistique, Malkhut, la sephirah correspondante à la Terre, est le pôle sud du modèle cosmogonique.
  32. Voir Federico Gonzalez : La Roue, une image symbolique du cosmos. Ch. V : « Deux modèles hermétiques : Kabbale et Tarot ».
  33. Les lunaires, ou sublunaires, ne sont pas à proprement parler des initiations, bien qu’elles favorisent, ou plutôt peuvent favoriser, le sentier de la Connaissance.
  34. Aujourd’hui encore, la pensée « scientifique » voit les quelques rares vestiges traditionnels demeurant dans les rites et les religions comme quelque chose d’« attardé » et d’ « anti-rationnel » lorsqu’ils ne sont pas suffisamment aseptisés.
  35. Il suffit de penser aux nombreux hindouistes et bouddhistes qui se consacrent actuellement au Tantra.
  36. Dans certains cas, les livres alchimiques semblent être des livres commémoratifs d’un Enseignement ou d’une réalité que l’on tient pour évidente ou sue, et dont les écrits attestent, comme c’est le cas des hiéroglyphes égyptiens ou des codex méso-américains. Dans d’autres, la notion d’enseignement pratique et individuel est plus évidente quoique obscurcie par la manière de l’exprimer. La plupart d’entre eux perpétuent cette étrange, et importante en termes de quantité, forme de réalisation, qui constitue toute une science dont ces textes font figurer des fragments ou des démonstrations, voire des cartes pour ceux qui entrent dans la Voie Symbolique. Il faut souligner l’importance des symboles graphiques qui accompagnent textes et « expérimentations » dans la réalisation intérieure.
  37. Sur l’identification des symboles alchimiques à ceux de la construction, voir F. Ariza dans « La Simbólica de la Franc-Masonería », revue SYMBOLOS : Arte – Cultura – Gnosis. Nº 1. Guatemala. 1991.
  38. Signalons la relation directe que l’on peut obtenir avec le monde végétal et la conséquente altération de la perception comparée au quotidien ordinaire et liée à des états de conscience différents, par la patiente utilisation de plantes crues, d’infusions et d’inhalations.
  39. « Voilà pourquoi il est juste que seule la pensée du philosophe ait des ailes ; elle ne cesse pas, en effet, de se ressouvenir selon ses forces des choses mêmes qui font que Dieu même est divin. L’homme qui sait bien se servir de ces réminiscences, initié sans cesse aux initiations les plus parfaites, devient seul véritablement parfait. Affranchi des préoccupations humaines, attaché au divin, il est considéré comme un fou par la foule, et la foule ne voit pas que c’est un inspiré. » Platon. Phèdre. 249. (Traduction M. Meunier, 1922)
  40. L’inverse également, rappelant la phrase de William Blake: «  Par le chemin de l’excès aussi l’on arrive au palais de la sagesse ».
  41. « Quand, pour châtier d’antiques forfaits, des maladies et des fléaux terribles fondirent de quelque part sur certaines familles, le délire survenant à propos, et faisant ouïr une voix prophétique à ceux auxquels il fallait s’adresser, trouva moyen de conjurer ces maux en recourant à des prières aux dieux et à des cérémonies. Ainsi donc, en provoquant des purifications et des initiations, le délire sauva pour le présent et le temps à venir, celui qu’il inspirait, et découvrit à l’homme véritablement transporté et possédé, les moyens de conjurer les maux qui peuvent survenir. » Platon.  Phèdre 244  (Traduction M. Meunier, 1922)
  42. Voir Jamblique. Vie Pythagoricienne. Ch. XXVI. Pour l’édition espagnole : Editorial Etnos. Madrid. 1991. Voir également à la page 159 de SYMBOLOS nº 5 l’article sur le livre L’Esotérisme Musical en France 1700-1950, de Joscelyn Godwin. Du même auteur, Athanasius Kircher : la búsqueda del saber de la antigüedad et Robert Fludd : claves para una teología del Universo. Swan. Madrid. 1987. Ainsi que les Cuadernos de la Gnosis (Symbolos 1995, 1996) numéros 6 et 7, de son livre Harmonies of Heaven and Earth. Londres. 1987. Sur Fludd, voir aussi : Escritos sobre música, édition de Luis Robledo, Editora Nacional. Madrid. 1979; sur Kircher: Athanasius Kircher, las imágenes de un saber universal. I. Gomez de Liaño. Siruela. Madrid. 1990.
  43. La Tetraklys serait aussi un modèle musical parfait.
  44. Plusieurs systèmes traditionnels étaient -et sont- fondés sur une gamme de cinq tons, ou notes. D’un autre côté, en Grèce et à Rome, la musique faisait partie des arts libéraux, concrètement du quadrivium, avec l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie, c’est-à-dire les arts cosmogoniques.
  45. Bien que ces idées et ces auteurs ne soient pas enseignés (tout au plus une légère mention historique) aux étudiants en musique actuels.
  46. La synesthésie transforme l’audible en visible, et vice-versa.
hermes