PRÉSENCE VIVANTE DE LA CABALE
FEDERICO GONZALEZ - MIREIA VALLS

Mahzor italien, 1441. Jérusalem,
Institut Schocken, Ms. 13873, folio 67

CHAPITRE III
LA CABALE DE PROVENCE ET DE GÉRONE
 

Pour ce qui est appelé la Cabale historique, c’est-à-dire l’expression en temps chronologique de l’héritage éternel et toujours actuel de l’ésotérisme juif, la région de Provence a représenté la terre fertile qui, au XIIe et début du XIIIe siècle, a recueilli les semences de cet héritage supranaturel et engendré de nouvelles formes de véhiculer et transmettre la moelle d’une doctrine qui se trouvait alors très atténuée, en partie à cause de l’affaiblissement dû à la diaspora du peuple d’Israël (donc en raison de conditions cycliques inhérentes à toute manifestation), et avait besoin d’être régénérée. De plus, ne l’oublions pas, ces régions du Languedoc ont été le confluent de diverses expressions d’ésotérisme de traditions différentes, comme dans le cas de la présence des Templiers, ces moines-guerriers chargés de garder et transmettre l’ésotérisme chrétien, ou l’existence d’organisations initiatiques fondées sur un modèle de chevalerie s’inspirant de la symbolique des Cours d’Amour, ou de guildes de maçons qui s’appuyaient sur le métier de constructeur à des fins d’édification intérieure et spirituelle, ainsi que de cercles d’initiés de l’Islam ou encore d’adeptes solitaires qui suivaient leur chemin de réalisation intérieure à la belle étoile ; tout cela constituait une conjoncture où le flux ésotérique coulait avec force et, bien que les apparences lui prêtassent différentes vêtures, il n’était au fond recherché et éprouvé qu’une seule et unique Vérité.

Cette ardeur intérieure eut également des répercussions dans le domaine exotérique : ainsi, de nombreux centres d’enseignement, principalement de médecine mais aussi d’autres arts et sciences traditionnels, avaient fleuri dans des villes comme Montpellier, Narbonne, Lunel, Posquières, Carcassonne, Béziers ou autres. Ces écoles avaient reçu de grandes quantités de manuscrits en arabe sur des textes grecs (de sages néoplatoniciens, néo-pythagoriciens, gnostiques, etc.) qui furent traduits en hébreu puis en latin, permettant ainsi que ces connaissances (de médecine, mais aussi d’alchimie, de mathématiques, d’astrologie, de musique, de magie, et d’autres sciences encore) arrivent entre les mains des initiés des divers courants mentionnés, lesquels se sont nourris de ces enseignements et purent ainsi actualiser la doctrine ésotérique.60

En ce qui concerne les hébreux qui vivaient dans cette région du pourtour méditerranéen, l’on sait qu’ils jouissaient d’une bonne position sociale (bien que non exonérée de luttes ni de tensions), occupant diverses charges publiques et postes de confiance, outre une participation active à la vie culturelle, artistique et commerciale, ainsi qu’à l’enseignement et la diffusion d’innombrables branches du savoir. Beaucoup avaient apporté avec eux les connaissances acquises au cours de leurs pérégrinations à travers les terres d’Alexandrie, de Byzance, de Perse, d’Afrique du nord, etc. ; en outre, ils dominaient souvent plusieurs langues, ce qui leur a permis d’apporter une contribution fondamentale à la traduction de beaucoup des livres et écrits parvenus dans cette région.61

Au sein de ce substrat fécond, de petits groupes de sages ou d’initiés juifs concevaient la vivification de leur ésotérisme, et la Cabale vivait une période que l’on pourrait qualifier d’embryonnaire. Les historiens ont retenu les noms d’une saga spirituelle, qui fut la promotrice ou le ciment de cette réélaboration, Abraham ben Itzhak de Narbonne à sa tête.

L’on dit de ce cabaliste que, président de la cour rabbinique de Provence et talmudiste éminent, il avait hérité l’essence de sa tradition –reçue en partie, selon G. Scholem, de Yehoudah ben Barzilaï de Barcelone62– mais ne l’avait jamais révélée dans ses écrits, l’ayant toutefois transmise oralement dans son entourage proche, en particulier à son fils, Abraham ben David, au sujet duquel M. Eisenfeld nous explique :

Il dirigeait et entretenait, en partie avec son propre pécule, une académie talmudique mentionnée par le voyageur Benjamin de Tudèle, à laquelle venaient des étudiants de lieux très éloignés. Là s’était intensifiée, prenant un nouveau tournant, la pratique de la kawwanah, –une forme de concentration et d’orientation spirituelle– et selon toute probabilité se transmettaient oralement des traditions très anciennes liées à la divinité et à ses mystères. Ces activités étaient accompagnées de la lecture d’un livre qui fait son apparition dans ces régions méridionales : le Bahir.63

Et, pour nous donner une idée du climat d’investigation et d’ouverture intellectuelle qui entourait ce cabaliste et son groupe, il ajoute :

À l’initiative d’Abraham ben David, il y eut la première traduction en hébreu de l’œuvre célèbre de Bahyah ibn Paqudah, Les Devoirs du Cœur. Avec ce livre, il pénètre l’influence mystique du soufisme et confirme celle du néoplatonisme, qui circulait aussi à travers les écrits du Pseudo Denys l’Aréopagite. Les idées néoplatoniciennes provenaient également du monde juif, se faisant présentes par le biais d’astronomes et astrologues comme le barcelonais Abraham bar Hiyya64. Yehoudah ibn Tibbon traduit également de l’arabe le livre d’un autre médecin, le Kuzari de Yehoudah ha-Levi, dont les interprétations de la prophétie, le tétragramme et le Livre de la Formation seraient absorbées par les premiers cercles de cabalistes provençaux.

Mais le personnage le plus connu de cette famille est sans conteste le descendant d’Abraham ben David, Isaac, surnommé l’Aveugle65, pas autant pour une carence de vision du monde perceptible par les sens (ce qui ne pourra jamais être vérifié) que parce que ses expériences d’ordre cosmogonique lui avaient permis d’acquérir une telle richesse de lumière intérieure qu’il en avait été aveuglé, ouvrant ainsi la porte sur l’incommensurable réalité de l’au-delà du Cosmos, de la métaphysique dont sont imprégnés tous ces écrits et nombre des enseignements qu’il a légués à ses disciples. Isaac naquit probablement à Posquières ou à Narbonne, et mourut vers 1235. L’on ne connaît guère plus de sa vie individuelle, comme cela est assez habituel chez les initiés juifs qui menaient une existence en marge de la communauté et entièrement consacrée à la contemplation66, à l’étude de leur tradition et à la transmission de la doctrine à quelques rares adeptes qualifiés. Ces sages étaient appelés perusim, ce qui signifie écartés ou séparés, ce qui ne veut pas dire qu’ils vivaient étrangers au monde, mais qu’ils savaient profiter des conditions propices à la concentration que leur donnait ce mode de vie et se libéraient ainsi des entraves et de l’esclavage de l’éphémère et de l’urgence, et pouvaient donc se plonger dans les plus profondes investigations sur l’être humain et l’univers, ou sur le Monde au sens le plus large. Ainsi que le déclare Isaac dans l’un de ses manuscrits, le premier pas, et le principal, sur ce sentier de Connaissance, est de s’y consacrer sans restrictions mentales d’aucune sorte :

Et en accord avec leur affirmation… ils se prosternent : la prosternation est comment celui qui laisse de côté ses qualités et ne s’occupe que de la pensée, se lie à la Pensée, exalte la pensée et soumet le corps afin de renforcer l’âme.

Bien qu’il n’ait pas été très partisan de laisser par écrit les arcanes qu’il déchiffrait, et encore moins de les faire connaître aux profanes, un extraordinaire Commentaire du Sefer Yetsirah67 écrit de sa main a été conservé, un autre de son Job, et environ soixante-dix fragments dispersés qui, dans un langage parfois très cryptique et énigmatique, sont la synthèse des spéculations opérées dans l’âme de ces initiés qu’illuminait non seulement la transmission horizontale de leur chaîne traditionnelle, mais également la verticale, puisque l’on dit de plusieurs d’entre eux, parmi lesquels Isaac lui-même, qu’ils avaient reçu l’influx du prophète Elias, ainsi que nous le verrons plus loin.

G. Scholem a consacré une partie de son étude sur Les Origines de la Kabbale à des recherches sur ce cabaliste et son entourage, soulignant surtout les aspects doctrinaux où se profile et se précise le modèle de l’Arbre séfirotique. Il nous déclare :

L’idée qu’expose le Bahir sur les sefiroth cristallise complètement dans les écrits d’Itzhak. Dans son commentaire sur Yetsirah 4, 3, l’on utilise pour la première fois le verset du Livre Ier des Chroniques 29, 11 comme une référence biblique aux nombres et à la séquence des sept sefiroth inférieures, en particulier les cinq premières : ‘À toi, ô Jéhovah, la Magnificence (Guedoulah) et le Pouvoir (Guevourah), la Gloire (Tiferet), la Victoire (Netsah), et l’Honneur (Hod), car les choses (kol) qui sont dans les cieux et sur la terre sont tiennes. Á toi, ô Jehovah, le règne car tu es souverain par-dessus  tous’.68

Il précise, dans un autre livre :

Son commentaire sur le Sefer Yetsirah est la première œuvre qui explique le livre sous l’éclairage d’une théorie systématique des sefirot selon l’esprit de la Kabbale. A la tête des qualités divines, il place la « pensée » (mahashabah) d’où surgissent les paroles divines, les « mots » au moyen desquels le monde fut créé. Au-dessus de la « pensée » se trouve le Dieu caché, qui reçoit pour la première fois le nom de En-sof (« l’Infini ») […] Avec la théorie des sefirot, il développa le concept de la mystique du langage. La parole de l’homme est connectée à la parole divine, et tout le langage, céleste ou humain, provient d’une seule source, le Nom divin, 69

Or toutes ces dénominations auxquelles Scholem porte un intérêt éminemment systématique ne représentent pas pour Isaac l’Aveugle un but classificatoire et paralysant mais, comme les symboles qu’elles sont, constituent plutôt les véhicules pour nommer ce qui peut être dénombré, pesé ou mesuré, et donc être connu, de l’Innommable. Les mots sont des évocations de réalités supérieures ou plus intérieures, d’où l’emploi par ce cabaliste d’expressions universelles présentes non seulement dans l’idéologie du peuple juif, mais aussi dans celle de nombreuses autres traditions de la terre, tel que le symbole de l’arbre comme modèle du Cosmos, ou celui du feu, des flammes et des braises qui est assimilé à l’Esprit d’où surgit tout et où tout retourne, ou encore celui de la montagne qui entoure le Tout et son Principe, et dont les entrailles sont creusées de veines et de tunnels, symbolismes qui correspondent aux sentiers unissant les sefirot et où circulent les vibrations qui animent l’Univers. Toutes ces images possèdent un grand pouvoir et provoquent chez le chercheur de trésor occulte la nécessité impérieuse de plonger à l’intérieur et téter directement à la source et la racine de l’existence. Le mot « téter » est un terme clef dans la didactique d’Isaac qui l’emploie pour évoquer la succion et l’ingestion d’un liquide nutritif qui n’est autre que l’Esprit qui se donne et se reçoit lui-même, donc l’unique qui nourrit, emplit et rassasie. Il déclare, résumant ce mystère en quelques lignes :

Les sentiers des merveilles sont comme les veines du tronc d’un arbre, et Hokhmah en est la racine. Ce sont des essences internes et subtiles que nulle créature peut contempler sauf celle qui les tète, [cela étant] un mode de contemplation à partir de l’allaitement, et non au moyen de la connaissance.

Poursuivant cette méditation sur le véritable savoir (car, ainsi que le fait observer Isaac à la fin de la citation précédente, il ne faut pas le confondre avec une connaissance rationnelle et limitée), le cabaliste s’interroge constamment et recherche les réponses au fond de son cœur ; et à travers ce questionnaire vital il trace un itinéraire dans les régions de la Pensée et tisse un discours qui ne prétend pas à la perfection de la forme, ni à embrasser les possibilités indéfinies de tout ce qui pourrait être dit, mais à déchirer les voiles occultant la Réalité pour que celle-ci affleure, et pouvoir réaliser simultanément le processus de réunion de tout ce qui est dans la virtualité du Principe. Avant tout, cette rédaction du commentaire du Sefer Yetsirah est pour Isaac l’Aveugle un rite, c’est-à-dire un acte sacré où il rassemble la conception révélée de la structure organique du Cosmos (cristallisée dans les dix sefirot et les trente-deux sentiers) et l’itinéraire qui doit être suivi pour sa recréation permanente, ce qui convertit l’être humain en mage ou théurge, dans toute l’acception du terme. Peu à peu, cette glose inspirée déroule l’écheveau dont le fil lumineux est un guide sur le sentier initiatique :

C’est pour cela que l’on dit dix et non pas neuf, car la pensée ne peut pas appréhender la mesure de ce qu’il y a au-dessus d’Hokhmah, ni à l’intérieur d’Hokhmah sauf au moyen de la compréhension, ainsi qu’il est dit, comprendre en Sagesse. Comprendre pourrait être seulement un infinitif, mais si c’est un impératif il n’est que pour les adeptes. Il ne dit pas « comprendre la Sagesse » ou « connaître la Sagesse » mais comprendre en Sagesse, car la Sagesse arrive au moyen de la compréhension et la compréhension est comprendre en Sagesse, pas comprendre la Sagesse, mais comprendre la compréhension qu’il y a dans la Sagesse. Et comme est cette compréhension ? Comprend en Sagesse et sois sage en compréhension, car il y a des essences cachées qui ne portent pas d’inscription ; elles ne peuvent pas se comprendre, mais la chose qui en émane si. Qu’est-ce que la compréhension pour cette chose ou pour l’adepte qui la comprend ? À partir des essences inscrites il y a une compréhension de celles qui ne sont pas inscrites, et à partir de l’appréhension interne de leur Pensée il y a une compréhension de leur Cause dans ‘En Sof. 

Sonde-les, sonde Binah en elles, car le terme sonde s’applique seulement dans quelque chose. Une personne ne dit pas « j’ai sondé dessus » mais « je l’ai sondé », dans la cause. L’on sonde en faisant usage d’une autre chose qui peut sonder Binah dans Hokhmah. Et scrute-les, le mérite et la faute, car il est écrit à leur propos que « elles ne sont pas scrutées (Is. 40, 28) ». Ainsi il ne dit pas « scrute en elles ». L’explication de « scrute-les » est de construire le cadre qui est appréhendé à travers la perception, et l’évaluer en accord avec les dimensions des causes, qui en émanent et sont construites par elles. Ce parcours spirituel va du perceptible au totalement invisible, du limité à l’illimité ; l’on part de la carapace du symbole pour accéder à son essence informelle et incréée, et même plus profond encore, jusqu’à la région métaphysique :

Sa mesure est dix. Chaque chose est une dimension et ce qui est au-dessus est ce qui l’emplit, car la dimension est un pouvoir qui émane de la dimension du médiateur, de l’essentialité de la dimension et de l’émanation de l’essence dans ‘En Sof. La profondeur est Haskel vers ‘En Sof. Le Principe est l’émanation du pouvoir de la profondeur, qui est Hokhmah, et la profondeur est depuis ‘En Sof, et tout est un. Et puisque la pensée ne l’appréhende pas [Haskel], elle dit dix et non pas onze. La profondeur est la fin de l’appréhension de la pensée dans la direction de ‘En Sof. La fin est Binah, qui est un principe appelé heh, comme la fin du [divin] Nom. Les essences et les sentiers n’ont aucune inscription appréhensible dans Hokhmah, et pour cela nous disons que ce sont les têtes des dimensions, le principe du commencement des causes des entités séparées, car ces dimensions que nous avons mentionnées sont dans ‘En Sof. Dans notre langage l’on ne trouve que les têtes des dimensions. Leur simplicité est sans séparation, car ce sont les principes des causes des entités séparées.

Nous pourrions donc dire que ce Commentaire est une permanente louange à la non dualité entre l’Être et le Non-Être, comme on le perçoit dans ce fragment :

Et le Seigneur unique gouverne… pour toujours en haut par-dessus tout. Unique, car Il est uni à tout et tout est uni à Lui. Les gouverne toutes : c’est le gouvernement qui se compose de toutes les dimensions mentionnées auparavant dans ‘En Sof. De sa demeure sacrée : ce sont les patriciats. Pour toujours : soutien, durée, stabilité, rectitude en ce qui concerne quelque chose qui est encore, du mot ‘od, qui veut dire qu’il demeure encore.

Et dans cet autre encore :

Toutes les choses et toutes les dimensions qui semblent être séparées n’ont pas de séparation en elles, puisque tout est un, comme le principe qui unit tout. Le mot « unique », car l’unique Seigneur, évoque alors une dimension de ‘En Sof qui n’a de fin d’aucun côté.

Quant à Eyn Sof, sans-fin ou Infini –terme qui apparaît pour la première fois dans les écrits de ce sage médiéval–, il ne s’agit pas de quelque chose qu’il tenterait de définir par ce mot, car ce n’est rien dont on puisse dire « c’est ceci ou cela ; tout, peu, beaucoup ou presque rien », mais devant l’impossibilité de s’y référer et d’embrasser ce que signifie une telle réalité métaphysique, cette désignation n’est qu’une insinuation afin que l’être humain puisse prendre conscience (pas en tant qu’individualité, mais parce que son intérieur abrite le germe de l’illimité, du supranaturel et du supra-essentiel) de cet état non conditionné, non cognoscible et libre de toute détermination, qui est le but du parcours initiatique. Dans la fusion avec cet Océan sans fin, suspendu éternellement dans la vérité, il ne serait plus nécessaire de penser, de parler, de faire, ni de promouvoir ; mais c’est néanmoins une constante chez les êtres humains ayant atteint ces états spirituels que de répéter le geste gratuit du Scribe ou de l’Auteur (ce sont les termes employés par Isaac pour faire référence au Principe du Cosmos) et contribuer ainsi à la régénération des possibilités d’Être. Mais quelle est la manière de se joindre à ce rite sacré ? Pour Isaac l’Aveugle, c’est le langage, émané du Verbe ou du Fiat Lux, qui est le symbole cosmogonique par définition :

Leur racine [à savoir celle du langage et des choses] est un nom, car les lettres sont comme des branches, qui apparaissent à la manière de flammes qui étincellent, mobiles et cependant unies au charbon, ou à la manière des feuilles de l’arbre, de ses branches, dont la racine est toujours dans l’arbre… et tous les debarim se font formes et toutes les formes viennent du nom unique, tout comme la branche vient de la racine. L’on conclut donc que tout est dans la racine, qui est l’unique nom.70

Et l’être humain, univers en petit, est chargé d’actualiser la vie de l’Être Universelle par l’intermédiaire de ce code symbolique, car :

Isaac compare les lettres à l’homme, elles contiennent des « essences subtiles et secrètes » dans lesquelles se trouve à l’état latent tout ce qui en découlera dans le futur, comme l’homme qui possède en germe tous ses descendants.71

Ce parush a été un chaînon clef dans la chaîne de transmission de la Cabale naissante. Les modèles et appuis symboliques qu’il avait entrevus et suggérés –encore inachevés, pourrions-nous dire, tendres et ouverts au mûrissement qui s’opérera avec les apports de ses héritiers spirituels–72 eurent une profonde empreinte sur le développement postérieur de l’histoire de l’ésotérisme juif, comme nous le verrons dans ce qui suit.

En ce qui concerne cette gestation intellectuelle en terres provençales, il nous faudrait encore ajouter que d’autres cercles d’initiés, en particulier celui qui est connu sous le nom d’Iyyun (Contemplation)73, dont n’a transcendé, tout à fait volontairement, aucun des noms de ses membres– ou d’autres n’ayant laissé que quelques traces pseudépigraphiques, ont également participé à ce processus constructeur, encore plus secrètement, en raison du danger qu’ils voyaient dans la diffusion d’enseignements aussi intérieurs et si difficiles à comprendre par des profanes. La transmission de la moelle a toujours exigé une subtile alchimie, un équilibre paradoxalement instable entre donner-recevoir-rendre mais aussi ininterrompu, garantissant ainsi la transmission à celui qui la mérite, c’est-à-dire celui qui la cherche avec un cœur pur. Parmi ces écrits pseudépigraphiques, nous voudrons vous offrir ce fragment qui permettra au lecteur de pénétrer et reconnaître les symboliques conjuguées et harmonisées en un chant unique :

La Cause des causes n’a ni commencement ni lieu ni limite. Lorsqu’elle voulut par sa volonté créer les mondes, ils n’étaient ni appréhensibles ni visibles. Puis vint la volonté, et de sa grande lumière émanèrent dix points intérieurs qui sont comme une lumière qui éclipse celle du soleil. La lumière du point le plus retiré n’est pas séparée de sa substance et c’est un point intelligible, neqoudah mahchavit, dont la lumière irradie un second point intelligible. Et celui-là représente le commencement des chemins de la Première Cause. De sa lumière irradie un troisième point, qui est la mère des âmes intérieures, et nos sages appellent ce point ‘araboth –ciel–. Et de sa lumière irradie un grand éclat, un point spirituel qui est le commencement du monde des esprits saints et que les sages de la Mishnah [Haghigah 12a] appellent zeboul-ciel. Et ce point est le fondement des mondes, et quand Salomon, lors de la construction du Temple, construisit le Saint des Saints, c’était à cela qu’il faisait référence, comme on le déduit de ses paroles dans I Rois 8, 13. Et au commencement du monde, qui est désigné comme monde de la Miséricorde, deux autres points furent irradiés avec lui : les mondes de la Grâce et du Jugement. Ici commence la création des âmes inférieures, nefashot, qui renaissent lorsque les corps sont créés, et pour cela les sages appellent ce monde makhon-ciel, car il est le fondement, makhon, pour asseoir tous les mondes qui de là émanent, et en lui existe et se conserve le règne du monde du jugement dernier. Et celle-ci est la figure du trône, dont il est dit : Et sur la grâce se fonde son Trône. Et après toutes ces émanations s’irradie une lumière du monde [en hébreu, cela peut également signifier : une lumière éternelle], d’où une colonne est érigée qui dans la langue des sages [dans le Bahir, section 105] s’appelle le Juste du monde, d’où s’envolent les âmes. Celles-ci proviennent de la lumière du monde, qui s’appelle « lumière des âmes », et elles sont soufflées dans les corps des prophètes. Et cette colonne est le principe formatif des corps subtils pneumatiques, desquels sont également formés les corps des prophètes, qui sont des formes de corps mais néanmoins ne sont pas des corps. Car même si le sceau est un, les formes les plus diverses sont cependant gravées en lui. Après cette émanation s’irradient deux lumières : un point pneumatique et un point physique. Du point pneumatique s’envolent les âmes qui ont été irradiées de la lumière de la Miséricorde et elles sont soufflées dans les corps des possesseurs de l’Esprit Saint ou pneuma, et c’est là la formation des corps pneumatiques qui sont semblables aux corps et cependant ne sont pas des corps [matériels]. […] Du point physique s’envolent les esprits inférieurs, qui irradient de l’éclat du monde du jugement et qui sont soufflés dans les corps des érudits supérieurs et parfaits, et en eux brillent les éclairs de l’Esprit Saint qui irradie sur le monde des âmes inférieures. Et celle-là est la formation des corps purs qui ont des attributs de corps mais cependant ne sont pas des corps même s’ils ne sont pas aussi purs que le premier et le second type [de corps supérieurs]. Et après cette émanation irradie de chaque partie de ces points-lumière une lumière qui est l’émanation du dernier point vers lequel chacun des points émane sa lumière, selon la volonté divine. Parfois [ce dernier point] reçoit de tous ; d’autres fois, seulement de quelques-uns, toujours selon la volonté du Roi Suprême. Tous y aspirent [au dernier point] et il aspire à tous, et en lui se trouve la béatitude de tous les sept premiers mondes qui sont compris dans les sept jours de la création. [...] De ce point irradie le monde des [intelligences] séparées.74

Toutes ces productions de Provence –le Bahir sacré, les spéculations d’Isaac l’Aveugle et de sa famille, et celles du cercle Iyyun– n’étaient pas demeurées enfermées dans cette région, mais avaient également étendu leur influence de l’autre côté des Pyrénées : au cours du XIIIe siècle, à Gérone (ville qui comptait une nombreuse communauté juive et possédait un important poids socioculturel et politique), émergea un noyau de cabalistes menés par Ezra, Azriel et Nahmanides (également connu sous le nom de Bonastruc Ça Porta) qui avaient assimilé la sève nourricière reçue du nord et la retournèrent multipliée. Mopsik, dans son traité Cabale et cabalistes, raconte que ce flux intellectuel ésotérique s’était propagé à la petite cité catalane de cette manière :

Rabbi Acher ben David, petit-fils de R. Abraham ben David et neveu de R. Isaac l’Aveugle, est en effet l’un des rares cabalistes connus qui ont été actifs en Provence dans le premier tiers du XIII siècle, quand les premiers écrits cabalistiques virent le jour. Son ouvrage principal, le Livre de l’unité, est le premier traité cabalistique complet qui nous soit parvenu. G. Scholem affirme que R. Acher ben David fut la principale courroie de transmission de l’enseignement des doctrines mystiques provençales à Gérone.75

Des liens étroits unissaient les deux centres, non seulement parce que la doctrine s’était transmise de manière horizontale à travers l’enseignement oral ainsi que les lettres et écrits qui circulèrent entre eux, mais aussi parce que beaucoup de leurs membres avaient reçu une influence spirituelle verticale véhiculée par Élias –qui est, dans l’ésotérisme juif, une entité intermédiaire analogue au mythique Hermès Trismégiste alexandrin, à l’Hermès grec ou au Mercure romain, déité universelle que l’on retrouve, présente sous différents noms, dans toutes les cultures et tous les peuples, et qui remplit les mêmes fonctions instructrices et initiatrices–qui les avait reliés au plus haut. Le fragment suivant, du manuscrit de Ménahem de Recanati recueilli par G. Sed-Rajna, reflète cette réalité supranaturelle si propre à la transmission ésotérique, et en même temps si incomprise, voire niée, par la mentalité rationaliste et profane :

Élie est apparu à Abraham b. David, président du tribunal, et lui a enseigné la science de la kabbale. [Abraham b. David] l’a transmise a son fils, le RABAD, auquel Élie est également apparu, ainsi qu’à Isaac l’Aveugle qui n’a jamais eu la vue de sa vie et à qui Élie s’est également révélé. Et Isaac l’a transmise à ses deux disciples, à R. Ezra, commentateur du Cantique des Cantiques, et à R. Azriel. Et après eux [cette tradition] fut transmise au RMBN.76.77

Dans l’édition du Sefer Yetsirah traduite et annotée par Myriam Eisenfeld, l’on dit à propos de ces sages :

L’on ne possède pas beaucoup de données biographiques sur les membres de l’école de Gérone ; cependant, les quelques sources existantes indiquent une grande proximité aussi bien spirituelle que familiale, car plusieurs d’entre eux sont parents. Leur force ne résidait pas dans leur nombre, car former un vaste mouvement populaire n’avait jamais été un de leurs objectifs.78

Leur fonction se centrait fondamentalement sur la maturation et l’ampliation des nuances des enseignements cryptiques et secrets qu’ils avaient reçus des maîtres de Provence, comme celui qui recueille le précieux trésor occulte et le restitue peu à peu, afin que sa lumière et son éclat intérieur se dévoile graduellement et que sa beauté puisse être contemplée par d’autres favorisés, chez qui naîtront de nouvelles suggestions, de nouvelles possibilités de pénétrer les facettes de ce joyau inépuisable, car c’est là le symbole des infinis reflets manifestés par ce qui est totalement Illimité.

Ainsi que nous l’avons déjà signalé, Azriel et Ezra ben Chelomoh (son beau-frère ou son beau-père, le lien de parenté qui les unit selon les sources) étaient des disciples d’Isaac l’Aveugle et deux des plus grands représentants de la Cabale de Gérone, le premier étant principalement le promoteur d’une tendance à l’ouverture en ce sens qu’il souhaitait répandre la doctrine intérieure au-delà du monde des initiés juifs. Jacob ben Sheshet avait également adhéré à ce courant et s’intéressait à conjuguer l’essence de la doctrine hébraïque avec celle d’autres formes traditionnelles79. À ces trois personnes, il faudrait ajouter Nahmanides80, talmudiste prestigieux qui avait été le patriarche de la ville, et qui avait néanmoins préféré donner son enseignement exotérique par écrit, réservant l’ésotérique, le cabalistique –auquel il fait partiellement référence dans ses textes– à l’instruction orale. Nahmanides a également contribué au développement de la Cabale à Barcelone, avec ses disciples Salomon ben Adret, Isaac Todros et David ha-Cohen qui, suivant la ligne de leur maître, léguèrent les enseignements ésotériques à un petit groupe d’adeptes et ne laissèrent que très peu de témoignages écrits.81 D’autre part, une autre fonction très importante dans la Cité Comtale a été celle d’Aboulafia, qui, comme le mentionne Moshe Idel dans son article « la Cabale à Barcelone »82, avait vécu quelques-unes de ses années d’études dans cette ville –où il eut l’opportunité de suivre les enseignements de Baroukh Togarmi et de connaître plusieurs commentaires sur le Sefer Yetsirah– en tant que promoteur de la Cabale dite extatique ou linguistique, très critiquée par les autres auteurs mentionnés.

Ces tendances qui commencent à se profiler au sein de la Cabale, loin de signifier des voies divergentes comme l’affirment de nombreux historiens et érudits contemporains, répondent en fait à l’exploration entreprise par les différents sages ou initiés qui cherchaient et suivaient des voies distinctes pour appréhender les mystères de leur tradition, les vivant parfois de manières apparemment contradictoires, avec les tensions, les attractions, refus ou conjonctions propres au processus vital et organique par lequel l’Être Universel et unique se régénère en permanence et exprime ses infinies modalités de manifestation, bien qu’au fond tout émane et retourne au même point. Sans la compréhension de cette unité essentielle au sein de la Cabale, tout serait perçu comme une division et une fragmentation, mais en partant de l’unité dans le Principe, ce n’est alors que l’expression d’une richesse sans fin. Ainsi tous ces érudits, pris non pas comme des individualités mais comme les composantes d’une entité universelle, ont été, avec ceux de Castille, les prédécesseurs de la Cabale proprement dite qui atteindrait son apogée avec la publication du Zohar.

NOTES
60
La tradition est constamment régénérée grâce aux synthèses et adaptations qui ont lieu cycliquement, mais ces opérations ne sont jamais synonyme de syncrétisme ou d’invention –aspects qui sont liés à la pensée rationnelle, aux opinions individuelles et aux caractères relatifs– : elles obéissent à l’intervention d’une faculté supra-naturelle appelée  intuition intellectuelle, et sont toujours inspirées par les principes universels immuables auxquels elles font référence.
61
Dans un curieux paragraphe appelé « Les Juifs du Languedoc » de l’ouvrage Ordo Laicorum ab monacorum ordine de E. R. Callaey, l’on peut trouver cette indication : « … en  la Provence, plus précisément à Narbonne, l’ancienne principauté de Septimanie, où grâce à une alliance entre Pépin le Bref et le Califat de Bagdad, est établi un vaste territoire sous le contrôle d’une communauté juive menée par Makhir, exilarque des juifs de Babylone, dont l’influence dans le Midi se fera sentir durant des siècles, même après avoir été noyée dans l’histoire avec les échos des derniers cathares. »
« L’alliance de Pépin le Bref avec l’exilarque de Babylone –descendant en ligne directe du roi David– dépasse le cadre politique. Makhir ne contrôle pas seulement la principauté de Narbonne, mais se marie avec la sœur du roi –la princesse Aude Martel, fille de Charles Martel– établissant ainsi un lien de sang entre la lignée davidique et les maisons royales européennes. Ce fait historique, si peu observé, à l’instar de l’influence juive dans le mouvement bénédictin, s’avère être un grand défi pour la compréhension de la construction du judéo-christianisme médiéval. »
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Le Dictionnaire des Auteurs Juifs (Sefarad. Xe-XVe siècle) parle de ce sage du XIe ou XIIe siècle, qui fut rabbin de Barcelone et probablement le disciple de Yishaq ben Reuben al-Bargeloni. Pour autant que l’on sache, il est auteur de deux traités juridiques, d’un autre sur le calendrier liturgique et d’un important commentaire sur le Sefer Yetsirah que, bien qu’Abraham ben Yitzak de Narbonne ne le mentionne pas de manière explicite, il semblerait avoir eu entre les mains et, comme l’affirme Scholem dans Les Origines… : « il est très possible que ce soit cette œuvre qui l’ait motivé pour s’occuper par la suite du livre Yetsirah et de la gnose de la Merkabah ».
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Azriel de Gérone. Cuatro textos cabalísticos. Introduction, traduction et notes de Myriam Eisenfeld. Riopiedras Eds. Barcelona, 1994.
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Ce dernier est un autre homme de connaissances qui, à l’instar de Yehoudah ben Barzilaï, vécut à Barcelone au XIe ou XIIe siècle, occupant diverses charges publiques d’importance (il a été astrologue et mathématicien du roi Alphonse Ier d’Aragon ainsi que Nasi ou prince de la communauté juive, entre autres fonctions) et, bien qu’il ne puisse pas être considéré comme un cabaliste, son travail a été fondamental en ce qui concerne la traduction, la synthèse et la diffusion de nombreuses disciplines par le biais de son abondante production écrite. « En philosophie, Bar Hiyya’ unit des éléments néoplatoniciens et aristotéliciens en une synthèse aux caractères très personnels. Dans la partie conservée de son œuvre encyclopédique, il traite de thèmes de géométrie, d’arithmétique, d’optique et de musique. Ses études mathématiques, traduites très tôt en latin, introduisirent en Europe des connaissances fondamentales de géométrie et de trigonométrie développées chez les Arabes. En astronomie, il présenta le premier exposé du système ptolémaïque en hébreu, suivant surtout al-Fargani et al-Battani ; il s’est également occupé de sujets portant sur le calendrier, et confectionna des tables astronomiques et astrologiques qui furent très utilisées en leur temps. Ses descriptions géographiques furent des siècles durant une source première d’information pour les Juifs européens. En collaboration avec Platon de Tivoli, il traduisit plusieurs ouvrages scientifiques de l’arabe au latin, étant ainsi un chaînon fondamental dans la transmission du savoir scientifique oriental en Europe ». (Dictionnaire des auteurs juifs…).
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On l’appelle également hasid, ce qui signifie « le pieux », au sens de celui qui tend ou adhère totalement au sacré.
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Au sujet de la contemplation, Isaac lui-même a écrit : « La sefiyah est l’intellection d’une entité à partir d’une autre, comme dans le verset ‘Je veillerai pour voir’ (Habacuc II, 1) qui se réfère à l’évidence du Verbe. La sefiyah signifie que chacune des causes dépend, s’élève et obtient la contemplation d’une autre cause supérieure à elle. Chaque dimension attire ce qui procède d’une autre dimension selon l’ordre suivant de manifestation : la statue procède de la sculpture, la sculpture du tracé et le tracé de l’invisible. Tout est inclus : un élément dans un autre qui à son tour procède d’un autre. Tout s’enchaîne : un élément avec un autre et celui-ci à son tour avec un autre. Comment se reçoivent-ils mutuellement ? Au moyen de l’élément subtil et essentiel. » Cité dans Azriel, Cuatro Textos Cabalísticos…
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Mark Brian Sendor, dans son intéressante thèse doctorale The Emergence of Provençal Kabbalah : Rabbi Isaac the Blind’s Commentary on Sefer Yetsirah, (vol. I-II), University of Michigan, Ann Arbor, 1995, offre une traduction en anglais de ce commentaire d’Isaac dont nous avons extrait les fragments que nous citerons plus loin.
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G. Scholem. Los Orígenes…. Sagesse, Intelligence et Connaissance sont signalées par les cabalistes dans l’Exode 31, 3.
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G. Scholem. Desarrollo Histórico e Ideas Básicas de la Cábala. Ed. Riopiedras. Barcelona, 1994.
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Cité par G. Scholem dans Los Orígenes…
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Azriel. Cuatro textos…
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En réalité, nous ne dirions cela qu’à partir d’une première lecture de ses écrits, car comment pourrions-nous connaître les états que le sage a pu connaître ? Uniquement en passant par les sentiers ouverts par ce cabaliste, et les ouvrant dès lors en nous-mêmes, nous serons ce que nous connaissons et nous connaîtrons ce que nous sommes.
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Deux opuscules sont attribués à ce groupe : La Source de la Sagesse et le Livre de la Contemplation, outre la rédaction d’une trentaine de courts traités. Scholem, qui étudie les deux principaux dans Los Orígenes …, nous dit que le premier est centré sur l’étude du nom divin YHWH et le développement de la cosmogonie, et le second énumère les pouvoirs de la Merkabah et leurs rapports avec les sefiroth. Voir également Mark Verman, The Books of Contemplation : Medieval Jewish Mystical Sources, State University of New York Press, Albany, 1992. Nous traiterons ce sujet plus loin, dans le paragraphe « Littérature épigraphe ou pseudépigraphe », (Chap. IV).
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G. Scholem. Los Orígenes de la Cábala II. Ce texte est cité dans une lettre de Yitshak Cohen, cabaliste de Soria.
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Charles Mopsik. Cabale et cabalistes. Éditions Albin Michel. Paris 2003. Voir Daniel Abrams :R. Asher ben David: His Complete Works and Studies in his Kabbalistic Thought, Cherub Press. Culver City, Californie, 1996.
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Initiales de R. Moshe b. Nahman (Nahmanides).
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Cette citation est extraite du prologue de Sed-Rajna au Commentaire sur la Liturgie Quotidienne du maître Azriel, Leiden, 1974.
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Le Livre de la Formation. Sefer Yetsirah. À la lumière des écrits des Cabalistes de Gérone. (El libro de la Formación. Sefer Yetsirah. A la luz de los escritos de los cabalistas de Gerona. Ed. Obelisco, Barcelona, 1992.)
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Le Dictionnaire des Auteurs Juifs signale que parmi les œuvres de Jacob ben Sheshet se trouve Mesis debarim nekohim, où il développe les théories cabalistiques sur la Création et critique les postures entachées de rationalisme implantées par Maimonide ; Sefer ha-emunah we-ha-bittahon (édité à Venise en 1601), traité où il défend la possibilité d’interpréter librement la Torah et Sa’ar ha-samayim, le premier écrit cabalistique en prose rythmée, où il est fait référence aux 10 sefiroth, au thème de la Volonté et à celui de la transmigration des âmes.
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L’on dit également que ce dernier, outre avoir reçu les enseignements d’Isaac l’Aveugle, avait été disciple de Yehoudah ben Yaqar, un cabaliste né à Narbonne (XIIe –XIIIe siècle) qui s’était établi à Barcelone, y étant juge religieux dès 1175, et qui semblerait y avoir résidé jusqu’à la mort. D’autre part, selon certains auteurs (voir le Dictionnaire…), Yonah ben Abraham Girondi (1200-1263), cousin de Nahmanides et grand érudit, a lui aussi appartenu au groupe des cabalistes de Gérone et, s’étant déplacé vivre à Barcelone, a été le maître de ben Adret.
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L’on sait que Salomon ben Adret (1235-1310), successeur de Nahmanides et grand dirigeant du judaïsme catalan, n’écrivit qu’un seul poème imprimé aux réminiscences cabalistiques, comme l’assure M. Idel dans Sifrei ha-Rashba, éditions M. M. Gerlitz, Jérusalem, 1986, vol. I (en hébreu), ainsi que de nombreux textes du domaine juridique, religieux et philosophique-scientifique. D’après ce même spécialiste contemporain, dans le manuscrit anonyme Sefer Ma’arékhet ha-Elohout se retrouvent beaucoup des enseignements de Nahmanides et de son groupe, ainsi que d’autres traditions cabalistiques d’écoles différentes. Les disciples directs de ben Adret furent Yom Tob ben Abraham Asbili (1250-1330), né à Séville mais ayant étudié à Barcelone, dont les nombreux écrits ne laissent pas transparaître de reflets de ses connaissances de la Cabale ; Sem Tob ben Abraham ibn Gaon qui, après avoir vécu un certain temps en Catalogne et s’être imprégné de la doctrine intérieure, émigra à Safed, et dont les deux traités les plus spécifiquement ésotériques sont Badde ha-‘aron u-migdal Hananel et Keter Chem Tob, une glose cabalistique du Commentaire du Pentateuque de Nahmanides et, finalement, Bahyah ben Asher, qui a longtemps vécu à Saragosse où l’on dit que c’était un exégète et un cabaliste, et qui a écrit un Commentaire sur le Pentateuque où il propose quatre niveaux de lecture : littéral, homilétique, rationnel et cabalistique. Quant à Isaac Todros, dirigeant politique de l’aljama de Barcelone, l’on ne connaît de lui qu’un traité cabalistique, le Commentaire sur la Liturgie des Jours de Fête (Ms. Paris, BN 839) et d’autres textes de caractère exotérique. Bien que beaucoup moins connu, Joseph Chalom Achkénazi (fin du XIIIe siècle), qui a lui aussi vécu à Barcelone, publia un Commentaire sur la Genèse Rabbah (dont Mopsik cite un extrait dans son Cabale et Cabalistes…) où il aborde le thème des dix sefiroth et leur correspondance avec l’être humain androgyne. Tout cela nous démontre que dans la Cité Comtale également existait un groupe actif de sages juifs qui s’intéressaient et se consacraient à la vivification de l’ésotérisme de leur tradition.
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Ron Barkai et al. La Càbala. Fundació Caixa de Pensions. Barcelone 1989.