CHAPITRE VI
(GUÉNON DANS LE CŒUR)

ADDENDA

Écrits de Guénon où il fait la différence entre l’Être et le Non-Être
(Les notes correspondantes sont rapportées)

— « Nous ajouterons encore une remarque dont l'importance est capitale: non seulement la métaphysique ne peut pas être bornée par la considération d'une dualité quelconque d'aspects complémentaires de l'être, qu'il s'agisse d'ailleurs d'aspects très spéciaux comme l'esprit et la matière, ou au contraire d'aspects aussi universels que possible, comme ceux que l'on peut désigner par les termes d' ‘essence’ et de ‘substance’, mais elle ne saurait pas même être bornée par la conception de l'être pur dans toute son universalité, car elle ne doit l'être par rien absolument. La métaphysique ne peut pas se définir comme ‘connaissance de l'être’ d'une façon exclusive, ainsi que le faisait Aristote: ce n'est là proprement que l'ontologie, qui est sans doute du ressort de la métaphysique, mais qui ne constitue pas pour cela toute la métaphysique; et c'est en cela que ce qu'il y a eu de métaphysique en Occident est toujours resté incomplet et insuffisant, ainsi d'ailleurs que sous un autre rapport que nous indiquerons plus loin. L’être n'est pas vraiment le plus universel de tous les principes, ce qui serait nécessaire pour que la métaphysique se réduisit à l'ontologie, et cela parce que, même s'il est la plus primordiale de toutes les déterminations possibles, il n'en est pas moins déjà une détermination, et toute détermination est une limitation, à laquelle le point de vue métaphysique ne saurait s'arrêter. Un principe est d'ailleurs évidemment d'autant moins universel qu'il est plus déterminé, et par là plus relatif; nous pouvons dire que, d'une façon en quelque sorte mathématique, un ‘plus’ déterminatif équivaut à un ‘moins’ métaphysique. Cette indétermination absolue des principes les plus universels, donc de ceux qui doivent être considérés avant tous les autres, est une cause d'assez grandes difficultés, non dans la conception, sauf peut-être pour ceux qui n'y sont point habitués, mais du moins dans l'exposition des doctrines métaphysiques, et elle oblige souvent à ne se servir que d'expressions qui, dans leur forme extérieure, sont purement négatives. C'est ainsi que, par exemple, l'idée de l'Infini, qui est en réalité la plus positive de toutes, puisque l'Infini ne peut être que le tout absolu, ce qui, n'étant limité par rien, ne laisse rien en dehors de soi, cette idée, disons-nous, ne peut s'exprimer que par un terme, de forme négative, parce que, dans le langage, toute affirmation directe est forcément l'affirmation de quelque chose, c'est-à-dire une affirmation particulière et déterminée; mais la négation d'une détermination ou d'une limitation est proprement la négation d'une négation, donc une affirmation réelle, de sorte que la négation de toute détermination équivaut au fond à l'affirmation absolue et totale. Ce que nous disons pour l'idée de l'Infini pourrait s'appliquer également à bien d'autres notions métaphysiques extrêmement importantes, mais cet exemple suffit pour ce que nous proposons de faire comprendre ici; et d'ailleurs il ne faut jamais perdre de vue que la métaphysique pure est en soi, absolument indépendante de toutes les terminologies plus ou moins imparfaites dont nous essayons de la revêtir pour la rendre plus accessible à notre compréhension. » (Introduction Générale à l’étude des doctrines hindoues, Ie Partie, ch. VIII: « Pensée métaphysique et pensée philosophique », fin).

— « Une autre remarque s'impose encore, au sujet de l'emploi que nous faisons du mot ‘être’ lui-même, qui, en toute rigueur, ne peut plus s'appliquer dans son sens propre quand il s'agit de certains états de non-manifestation dont nous aurons à parler, et qui sont au-delà du degré de l'Être pur. » (Les États Multiples de l’Être, Avant-Propos).

— « Nous rappellerons, à ce propos, que le fait de s'arrêter à l'Être et de ne rien envisager au delà, comme s'il était en quelque sorte le Principe suprême, le plus universel de tous, est un des traits caractéristiques de certaines conceptions occidentales de l'antiquité et du moyen âge, qui, tout en contenant incontestablement une part de métaphysique qui ne se retrouve plus dans les conceptions modernes, demeurent grandement incomplètes sous ce rapport, et aussi en ce qu'elles se présentent comme des théories établies pour elles-mêmes, et non en vue d'une réalisation effective correspondante. » (Ibid.).

— « Il doit être bien compris, dès maintenant, que l'Être n'enferme pas toute la Possibilité, et que, par conséquent, il ne peut aucunement être identifié à l'Infini; c'est pourquoi nous disons que le point de vue auquel nous nous plaçons ici est beaucoup plus universel que celui où nous n'avons à envisager que l'Être; ... » (Ibid., ch. I: « L’Infini et la Possibilité », fin).

— « Si l'on demandait cependant pourquoi toute possibilité ne doit pas se manifester, c'est-à-dire pourquoi il y a à la fois des possibilités de manifestation et des possibilités de non-manifestation, il suffirait de répondre que le domaine de la manifestation, étant limité par là même qu'il est un ensemble de mondes ou d'états conditionnés (d'ailleurs en multitude indéfinie), ne saurait épuiser la Possibilité universelle dans sa totalité; il laisse en dehors de lui tout l'inconditionné, c'est-à-dire précisément ce qui, métaphysiquement, importe le plus. » (Ibid., ch. II: « Possibles et compossibles »

— « Nous pouvons encore exprimer les choses de cette façon: la Possibilité universelle contient nécessairement la totalité des possibilités, et on peut dire que l'Être et le Non-Être sont ses deux aspects: l'Être, en tant qu'elle manifeste les possibilités (ou plus exactement certaines d'entre elles); le Non-Être, en tant qu'elle ne les manifeste pas. l'Être contient donc tout le manifesté; le Non-Être contient tout le non-manifesté, y compris l'Être lui-même; mais la Possibilité universelle comprend à la fois l'Être et le Non-Être. » (Ibid., ch. III: « L'Être et le Non-Être »).

— « Dans ce qui précède, nous avons indiqué la distinction des possibilités de manifestation et des possibilités de non-manifestation, les unes et les autres étant également comprises, et au même titre, dans la Possibilité totale. Cette distinction s'impose à nous avant toute autre distinction plus particulière, comme celle des différents modes de la manifestation universelle, c'est-à-dire des différents ordres de possibilités qu'elle comporte, réparties selon les conditions spéciales auxquelles elles sont respectivement soumises, et constituant la multitude indéfinie des mondes ou des degrés de l'Existence. »

« Cela posé, si l'on définit l'Être au sens universel, comme le principe de la manifestation, et en même temps comme comprenant, par lui-même, l'ensemble de toutes les possibilités de manifestation, nous devons dire que l'Être n'est pas infini, puisqu'il ne coïncide pas avec la Possibilité totale; et cela d'autant plus que l'Être en tant que principe de la manifestation, comprend bien en effet toutes les possibilités de manifestation, mais seulement en tant qu'elles se manifestent. En dehors de l'Être il y a donc tout le reste, c'est-à-dire toutes les possibilités de non-manifestation, avec les possibilités de manifestation elles-mêmes en tant qu'elles sont à l'état non-manifesté; et l'Être lui-même s'y trouve inclus, car, ne pouvant appartenir à la manifestation, puisqu'il en est le principe, il est lui-même non-manifesté. Pour désigner ce qui est ainsi en dehors et au delà de l'Être, nous sommes obligé, à défaut de tout autre terme, de l'appeler Non-Être; et cette expression négative, qui, pour nous, n'est à aucun degré synonyme de ‘néant’ comme elle paraît l'être dans le langage de certains philosophes, outre qu'elle est directement inspirée de la terminologie de la doctrine métaphysique extrême-orientale, est suffisamment justifiée par la nécessité d'employer une dénomination quelconque pour pouvoir en parler, jointe à la remarque, déjà faite par nous plus haut, que les idées les plus universelles., étant les plus indéterminées, ne peuvent s'exprimer, dans la mesure où elles sont exprimables, que par des termes qui sont en effet de forme négative, ainsi que nous l'avons vu en ce qui concerne l'Infini. On peut dire aussi que le Non-Être, dans le sens que nous venons d'indiquer, est plus que l'Être, ou, si l'on veut, qu'il est supérieur à l'Être, si l'on entend par là que ce qu'il comprend est au delà de l'extension de l'Être et qu'il contient en principe l'Être lui-même. Seulement, dès lors qu'on oppose le Non-Être à l'Être, ou même qu'on les distingue simplement, c'est que ni l'un ni l'autre n'est infini, puisque, à ce point de vue, ils se limitent l'un l'autre en quelque façon; l'infinité n'appartient qu'à l'ensemble de l'Être et du Non-Être, puisque cet ensemble est identique à la Possibilité universelle. » (Ibid.).

— « En ce qui concerne les rapports de l'Être et du Non-Être il est essentiel de remarquer que l'état de manifestation est toujours transitoire et conditionné, et que, même pour les possibilités qui comportent la manifestation, l'état de non-manifestation est seul absolument permanent et inconditionné1. » (Ibid.).

Note de cette citation :

1 « Il doit être bien entendu que, quand nous disons ‘transitoire’, nous n'avons pas en vue exclusivement, ni même principalement, la succession temporelle, car celle-ci ne s'applique qu'à un mode spécial de la manifestation. »

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— « Dans le Non-Être il ne peut pas être question d'une multiplicité d'états, puisque c'est essentiellement le domaine de l'indifférencié et même de l'inconditionné: l'inconditionné ne peut pas être soumis aux déterminations de l'un et du multiple, et l'indifférencié en peut pas exister en mode distinctif. ... Dans le Non-Être, il n'y a pas de multiplicité, et, en toute rigueur, il n'y a pas non plus d'unité, car le Non-Être est le Zéro métaphysique, auquel nous sommes obligé de donner un nom pour en parler, et qui est logiquement antérieur à l'unité; ... » « En effet, l'unité primordiale n'est pas autre chose que le Zéro affirmé, ou, en d'autres termes, l'Être universel, qui est cette unité, n'est que le Non-Être affirmé, dans la mesure où est possible une telle affirmation, qui est déjà une première détermination, car elle n'est que la plus universelle de toutes les affirmations définies, donc conditionnées; et cette première détermination, préalable à toute manifestation et à toute particularisation (y compris la polarisation en ‘essence’ et ‘substance’ qui est la première dualité et, comme telle, le point de départ de toute multiplicité), contient en principe toutes les autres déterminations ou affirmations distinctives (correspondant à toutes les possibilités de manifestation), ce qui revient à-dire que l'unité, dès lors qu'elle est affirmée, contient en principe la multiplicité, ou qu'elle est elle-même le principe immédiat de cette multiplicité1. » (Ibid., ch. V: « Rapports de l'unité et de la multiplicité »).

Note de cette citation :

1 « Nous rappelons encore, car on ne saurait trop y insister, que l'unité dont il s'agit ici est l'unité métaphysique ou ‘transcendantale’, qui s'applique à l'Être universel comme un attribut ‘coextensif’ à celui-ci, pour employer le langage des logiciens (bien que la notion d' ‘extension’ et celle de ‘compréhension’ qui lui est corrélative ne soient plus proprement applicables au delà des ‘catégories’ ou des genres les plus généraux, c'est-à-dire quand on passe du général à l'universel),... »

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— « Lorsque nous avons dit que le ‘connaître’ et l' ‘être’ sont les deux faces d'une même réalité, il ne faut donc prendre le terme ‘être’ que dans son sens analogique et symbolique, puisque la connaissance va plus loin que l'Être; » ... « Et c'est ici le lieu de préciser un peu, d'autre part, la façon dont il faut entendre l'identité métaphysique du possible et du réel: puisque tout possible est réalisé par la connaissance, cette identité, prise universellement, constitue proprement la vérité en soi, car celle-ci peut être conçue précisément comme l'adéquation parfaite de la connaissance à la Possibilité totale1. » (Ibid., ch. XVI: « Connaissance et conscience »).

Note de cette citation :

1 « Cette formule s'accorde avec la définition que saint Thomas d'Aquin donne de la vérité comme adæquatio rei et intellectus; mais elle en est en quelque sorte une transposition, parce qu'il y a lieu de tenir compte de cette différence capitale, que la doctrine scolastique se renferme exclusivement dans l'Être, tandis que ce que nous disons ici s'applique également à tout ce qui est au delà de l'Être. »

*

— « Or, quant à la Possibilité universelle envisagée au-delà de l'Être c'est-à-dire comme le Non-Être, on ne peut pas parler d'unité, comme nous l'avons dit plus haut, puisque le Non-Être est le Zéro métaphysique, mais on peut du moins, en employant toujours la forme négative, parler de ‘non-dualité’ (adwaita). » ... « ... il suffit ici, pour passer du Non-Être à l'Être, de passer de la ‘non-dualité’ à l'unité: l'Être est ‘un’ (l'Un étant le Zéro affirmé), ou plutôt il est l'Unité métaphysique elle-même, première affirmation. mais aussi, par là même, première détermination. » (Ibid., ch. XVIII: « Notion métaphysique de la liberté »).

— « ... la liberté absolue ne peut se réaliser que par la complète universalisation: elle sera ‘auto-détermination’ en tant que coextensive à l'Être, et ‘indétermination’ au-delà de l'Être. Tandis qu'une liberté relative appartient à tout être sous quelque condition que ce soit, cette liberté absolue ne peut appartenir qu'à l'être affranchi des conditions de l'existence manifestée, individuelle ou même supra-individuelle, et devenu absolument ‘un’, au degré de l'Être pur, ou ‘sans dualité’ si sa réalisation dépasse l'Être. » (Ibid., ch. XVIII, fin).

— « Ce qu'il faut retenir, c'est que des termes tels que ‘théologie’ et ‘théosophie’, même pris étymologiquement et en dehors de toute intervention du point de vue religieux, ne pourrait se traduire en sanskrit que par Îshwara-Vidyâ; au contraire, ce que nous rendons approximativement par ‘Connaissance Divine’, quand il s'agit du Vêdânta, c'est Brahma-Vidyâ, car le point de vue de la métaphysique pure implique essentiellement la considération de Brahma ou du Principe Suprême, dont Îshwara ou la ‘Personnalité Divine’ n'est qu'une détermination en tant que principe de la manifestation universelle et par rapport à celle-ci. La considération d'Îshwara est donc déjà un point de vue relatif: c'est la plus haute des relativités, la première de toutes les déterminations, mais il n'en est pas moins vrai qu'il est ‘qualifié’ (saguna), et ‘conçu distinctivement’ (savishêsha), tandis que Brahma est ‘non-qualifié’ (nirguna), ‘au-delà de toute distinction’ (nirvishêsha), absolument inconditionné, et que la manifestation universelle toute entière est rigoureusement nulle au regard de Son Infinité. » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. I: « Généralités sur le Vêdânta », fin).

— « Si l'on donnait à ce mot ‘Dieu’ le sens qu'il a pris ultérieurement dans les langues occidentales, le pluriel serait un non-sens aussi bien au point de vue hindou qu'au point de vue judéo-chrétien et islamique, car ce mot, comme nous l'avons fait remarquer précédemment, ne pourrait s'appliquer alors qu'à Îshwara exclusivement, dans son indivisible unité qui est celle de l'Être Universel, quelle que soit la multiplicité des aspects que l'on peut y envisager secondairement. » (Ibid., ch. VII: « Buddhi ou l'intellect supérieur », en note au bas de page).

— « C'est en tant que nirguna que Brahma est kârana [cause], et en tant que saguna qu'il est kârya [effet]; le premier est le ‘Suprême’ ou Para-Brahma, et le second est le ‘Non-Suprême’ ou Apara-Brahma (qui est Îshwara); mais il n'en résulte point que Brahma cesse en quelque façon d'être ‘sans dualité’ (adwaita), car le ‘Non-Suprême’ lui-même n'est qu'illusoire en tant qu'il se distingue du ‘Suprême’, comme l'effet n'est rien qui soit vraiment et essentiellement différent de la cause. Notons qu'on ne doit jamais traduire Para-Brahma et Apara-Brahma par ‘Brahma supérieur’ et ‘Brahma inférieur’, car ces expressions supposent une comparaison ou une corrélation qui ne saurait aucunement exister. » (Ibid., ch. X: « Unité et identité essentielles du « Soi » dans tous les états de l'être », en note).

— « Brahma est un (en tant qu'Être) et sans dualité (en tant que Principe Suprême) ». (Ibid.).

— « Pour l'ésotérisme islamique aussi, l'Unité, considérée en tant qu'elle contient tous les aspects de la Divinité (Asrâr rabbâniyah ou ‘mystères dominicaux’), ‘est de l'Absolu la surface réverbérante à innombrables facettes qui magnifie toute créature qui s'y mire directement’. Cette surface, c'est également Mâyâ envisagée dans son sens le plus élevé, comme la Shakti de Brahma, c'est-à-dire la ‘toute-puissance’ du Principe Suprême. ­ D'une façon toute semblable encore, dans la Qabbalah hébraïque, Kether (la première des dix Sephiroth) est le ‘vêtement’ d'Aïn-Soph (l'Infini ou l'Absolu). » (Ibid., cap. X, en note).

— « ‘Veille, rêve, sommeil profond, et ce qui est au delà, tels sont les quatre états d'Âtmâ; le plus grand (mahattara) est le Quatrième (Turîya). Dans les trois premiers, Brahma réside avec un de ses pieds; il a trois pieds dans le dernier’ »1. « Ainsi, les proportions établies précédemment à un certain point de vue se trouvent renversées à un autre point de vue: des quatre ‘pieds’ (pâdas) d'Atmâ, les trois premiers quant à la distinction des états n'en sont qu'un pour l'importance métaphysique, et le dernier en est trois à lui seul sous le même rapport. Si Brahma n'était pas ‘sans parties’ (akhanda), on pourrait dire qu'un quart de Lui seulement est dans l'Être (y compris tout ce qui en dépend, c'est-à-dire la manifestation universelle dont il est le principe), tandis que Ses trois autres quarts sont au-delà de l'Être2. Ces trois quarts peuvent être envisagés de la façon suivante: lº la totalité des possibilités de manifestation en tant qu'elles ne se manifestent pas, donc à l'état absolument permanent et inconditionné, comme tout ce qui est du ‘Quatrième’ (en tant qu'elles se manifestent, elles appartiennent aux deux premiers états; en tant que ‘manifestables’, au troisième, principiel par rapport à ceux-là); 2º la totalité des possibilités de non-manifestation (dont nous ne parlons d'ail leurs au pluriel que par analogie, car elles sont évidemment au-delà de la multiplicité, et même au-delà de l'unité); 3º enfin, le Principe Suprême des unes et des autres, qui est la Possibilité Universelle, totale, infinie et absolue3. » (Ibid., ch. XV: « L'état inconditionné d'Âtmâ »).

Notes de cette citation :

1 « Maitri Upanishad, 7e Prapâthaka, shruti 11. »

2 « Pâda, qui signifie ‘pied’, signifie aussi ‘quart’. »

3 « D'une façon analogue, en considérant les trois premiers états, dont l'ensemble constitue le domaine de l'Être, on pourrait dire aussi que les deux premiers ne sont qu'un tiers de l'Être, puisqu'ils contiennent seulement la manifestation formelle, tandis que le troisième en est les deux tiers à lui seul, puisqu'il comprend à la fois la manifestation informelle et l'Être non-manifesté. ­ Il est essentiel de remarquer que les possibilités de manifestation seules entrent dans le domaine de l'Être, même envisagé dans toute son universalité. »

Voir aussi R. Guénon, Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée Eudeba, Bs. As. (édition française de 1962), l’annexe III du compilateur Michel Vâlsan complément du ch. XXXI: « La Montagne et la Caverne ».

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— « Enfin, dans le cas où la ‘Délivrance’ doit être obtenue à partir de l'état humain, il y a plus encore que ce que nous venons de dire, et alors le terme véritable n'est plus l'Être Universel, mais le Suprême Brahma Lui-même, c'est-à-dire Brahma ‘non-qualifié’ (nirguna) dans Sa Totale Infinité, comprenant à la fois l'Être (ou les possibilités de manifestation) et le Non-Être (ou les possibilités de non-manifestation), et principe de l'un et de l'autre, donc au-delà de tous deux1, en même temps qu'il les contient également suivant l'enseignement que nous avons déjà rapporté au sujet de l'état inconditionné d'Âtmâ, qui est précisément ce dont il s'agit maintenant2. » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXI: « Le « voyage divin » de l'être en voie de libération »).

Notes de cette citation :

1 « Nous rappelons qu'on peut cependant entendre le Non-Être métaphysique, de même que le non-manifesté (en tant que celui-ci n'est pas seulement le principe immédiat du manifesté, ce qui n'est que l'Être, dans un sens total où il s'identifie au Principe Suprême. De toutes façons, d'ailleurs entre le Non-Être et l'Être, comme entre le non-manifesté et le manifesté (et cela même si, dans ce dernier cas, on ne vas pas au delà de l'Être), la corrélation ne peut être qu'une pure apparence, la disproportion qui existe métaphysiquement entre les deux termes ne permettant véritablement aucune comparaison. »

2 « A ce propos, nous citerons une fois de plus, pour marquer encore les concordances des différentes traditions, un passage emprunté au Traité de l'Unité (Risâlatul-Ahadiyah), de Mohyiddin ibn Arabi: ‘Cette immense pensée (de l'‘Identité Suprême’) ne peut convenir qu'à celui dont l'âme est plus vaste que les deux mondes (manifesté et non-manifesté). Quant à celui dont l'âme n'est qu'aussi vaste que les deux mondes (c'est-à-dire à celui qui atteint l'Être Universel, mais ne le dépasse pas), elle ne lui convient pas. Car, en vérité, cette pensée est plus grande que le monde sensible (ou manifesté, le mot ‘sensible’ devant ici être transposé analogiquement, et non restreint à son sens littéral) et le monde suprasensible (ou non-manifesté, suivant la même transposition), tous les deux pris ensemble’. »

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— « ... l'Union parfaite (Yoga), qui ne fait qu'un avec la ‘Délivrance’1 ». (Ibid., ch. XXI, final).

Note de cette citation :

1 « La Connaissance à cet égard, est donc de deux sortes, et elle est dite elle-même ‘suprême’ ou ‘non-suprême’, suivant qu'elle concerne Para-Brahma ou Apara-Brahma, et que, par conséquent, elle conduit à l'un ou à l'autre. »

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— « Le Sacrifice (yajna) est une imitation rituelle de ‘ce qui fut fait par les Dieux au commencement’ ; il est donc comme un reflet du ‘mythe’, d'ailleurs inversé comme tout reflet, en ce sens que ce qui avait été un processus de génération et de division devient maintenant un processus de régénération et de réintégration. Pour pouvoir comprendre cette opération, il faut avant tout se demander ‘ce qu'est Dieu’ et ‘ce que nous sommes’ : Dieu est une Essence sans dualité (adwaita), mais qui subsiste dans une double nature, d'où la distinction du ‘Suprême’ (para) et du ‘Non-Suprême’ (apara), auxquels correspondent, à des points de vue divers, toutes les dualités dont un des termes, étant subordonné à l'autre, est contenu «éminemment’ dans celui-ci ; et nous trouvons aussi en nous-mêmes ces deux termes, qui sont alors le ‘Soi’ et le ‘moi’. Le Sacrifice a pour fonction essentielle de «réunir ce qui a été séparé’, donc en ce qui concerne l'homme, de ramener le ‘moi’ au ‘Soi’ ... » (Études sur L’Hindouisme, compte-rendu du livre Hinduism and Buddhism d’Ananda K. Coomaraswamy).

— « M. Vuillaud cite, sur ce sujet, le commentaire de Moïse de Léon: ‘Après avoir rappelé que le Saint, béni soit-Il, inconnaissable, ne peut-être saisi que d'après ses attributs (Middoth) par lesquels Il a créé les mondes1, commençons par l'exégèse du premier mot de la Thorah: Bereshit2. D'anciens auteurs nous ont appris relativement à ce mystère qu'il est caché dans le degré suprême, l'éther pur et impalpable. Ce degré est la somme totale de tous les miroirs postérieurs (c'est-à-dire extérieurs par rapport à ce degré lui-même)3. Ils en procèdent par le mystère du point qui est lui-même un degré caché et émanant du mystère de l'éther pur et mystérieux4. Le premier degré, absolument occulte (c'est-à-dire non-manifesté), ne peut être saisi5. De même, le mystère du point suprême, quoiqu'il soit profondément caché6, peut être saisi dans le mystère du Palais intérieur. Le mystère de la Couronne suprême (Kether, la première des dix Sephiroth) correspond à celui du pur et insaisissable éther (Avir). Il est la cause de toutes les causes et l'origine de toutes les origines. C'est dans ce mystère, origine invisible de toutes choses, que le ‘Point’ caché dont tout procède prend naissance. C'est pourquoi il est dit dans le Sepher Ietsirah: ‘Avant l'Un, que peux-tu compter ?’ C'est-à-dire: avant ce point, que peux-tu compter ou comprendre7 ? Avant ce point, il n'y avait rien, excepté Aïn, c'est-à-dire le mystère de l'éther pur et insaisissable, ainsi nommé (par une simple négation) à cause de son incompréhensibilité8. Le commencement compréhensible de l'existence se trouve dans le mystère du ‘point’ suprême9. » (Le Symbolisme de la Croix, ch. IV: « Les directions de l'espace »).

Notes de cette citation :

1 « On trouve ici l'équivalent de la distinction que fait la doctrine hindoue entre Brahma ‘non-qualifié’ (nirguna) et Brahma ‘qualifié’ (saguna), c'est-à-dire entre le ‘Suprême’ et le ‘Non-Suprême’, ce dernier n'étant autre qu'Îshwara (voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. Ier et X). ­ Middah signifie littéralement ‘mesure’ (cf. le sanscrit mâtrâ). »

2 « On sait que c'est le mot par lequel commence la Genèse : ‘in Principio’. »

3 « On voit que ce degré est la même chose que le ‘degré universel’ de l'ésotérisme islamique, en lequel se totalisent synthétiquement tous les autres degrés, c'est-à-dire tous les états de l'Existence. La même doctrine fait aussi usage de la comparaison du miroir et d'autres similaires... ».

4 « Le degré représenté par le point, qui correspond à l'Unité, est celui de l'Être pur (Îshwara dans la doctrine hindoue). »

5 « On pourra, à ce propos, se reporter à ce qu'enseigne la doctrine hindoue au sujet de ce qui est au delà de l'Être, c'est-à-dire de l'état inconditionné d'Âtmâ (voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XV, 3e éd., où nous avons indiqué les enseignements concordants des autres traditions). »

6 « L’Être est encore non-manifesté, mais il est le principe de toute manifestation. »

7 « L'unité est, en effet, le premier de tous les nombres; avant elle, il n'y a donc rien qui puisse être compté; et la numération est prise ici comme symbole de la connaissance en mode distinctif. »

8 « C'est le Zéro métaphysique, ou le ‘Non-Être’ de la tradition extrême-orientale, symbolisé par le ‘vide’ (cf. Tao-te-king, XI); nous avons déjà expliqué ailleurs pourquoi les expressions de forme négative sont les seules qui puissent encore s'appliquer au delà de l'Être (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XV, 3e éd.). »

9 « C'est-à-dire dans l'Être, qui est le principe de l'Existence, laquelle est la même chose que la manifestation universelle, de même que l'unité est le principe et le commencement de tous les nombres. »

*

— « ... quant à la tradition extrême-orientale, elle envisage non moins explicitement, comme principe commun du Ciel et de la Terre1, ce qu'elle appelle le ‘Grand Extrême’ (Tai-ki), en lequel ils sont indissolublement unis, à l'état ‘indivisé’ et ‘indistingué’2, antérieurement à toute différenciation3, et qui est l'Être pur, identifié comme tel à la ‘Grande Unité’ (Tai-i)4. En outre, Tai-ki, l'Être ou l'Unité transcendante, présuppose lui-même un autre principe, Wou-ki, le Non-Être ou le Zéro métaphysique5; mais celui-ci ne peut entrer avec quoi que ce soit dans une relation telle qu'il soit le premier terme d'un ternaire quelconque, toute relation de cette sorte n'étant possible qu'à partir de l'affirmation de l'Être ou de l'Unité6. » (La Grande Triade, ch. II: « Différents genres de ternaires »).

Notes de cette citation :

1 « Et aussi, bien entendu, des termes de toutes les autres dualités plus particulières, qui ne sont jamais en somme que des spécifications de celle-là, de sorte que, directement ou indirectement, elles sont toutes dérivées en définitive du même principe. »

2 « Cette indistinction principielle ne doit pas être confondue avec l'indistinction potentielle qui est seulement celle de la Substance ou de la materia prima. »

3 « Il doit être bien entendu qu'il ne s'agit aucunement ici d'une antériorité temporelle, ni d'une succession dans un mode quelconque de la durée. »

4 « Le caractère ki est celui qui désigne littéralement le ‘faîte’ d'un édifice; aussi Tai-i est-il dit symboliquement résider dans l'Étoile polaire, qui est effectivement le ‘faîte’ du Ciel visible, et qui, comme telle, représente naturellement celui du Cosmos tout entier. »

5 « Wou-ki correspond, dans la tradition hindoue, au Brahma neutre et suprême (Para-Brahma), et Tai-ki à Îshwara ou au Brahma ‘non-suprême’ (Apara-Brahma.) »

6 « Au-dessus de tout autre principe, il y a encore le Tao, qui, en son sens le plus universel, est à la fois Non-Être et Être, mais qui d'ailleurs n'est pas réellement différent du Non-Être en tant que celui-ci contient l'Être, qui est lui-même le principe premier de toute manifestation, et qui se polarise en Essence et Substance (ou Ciel et Terre) pour produire effectivement cette manifestation. »

*

— « Tai-i est le Tao ‘avec un nom’, qui est ‘la mère des dix mille êtres’ (Tao-te-king, ch. Ier). ­ Le Tao ‘sans nom’ est le Non-Être, et le Tao ‘avec un nom’ est l'Être: ‘S'il faut donner un nom au Tao (bien qu'il ne puisse réellement être nommé), on l'appellera (comme équivalent approximatif) la Grande Unité.’ » (La Grande Triade, cap. IV: ‘Yin y Yang’, fin, en note au bas de page).