PRÉSENCE
VIVANTE DE LA CABALE II LA CABALE CHRÉTIENNE FEDERICO GONZALEZ - MIREIA VALLS |
CHAPITRE IV LA CABALE EN ITALIE |
Agostino Giustiniani et Petrus Galatino Giustiniani est professeur de langues orientales à Paris, où il publie une traduction latine du Guide des Égarés de Maïmonide et 107 questions sur la Genèse de Philon. Ses scolies sont également très importantes, consultées et conservées par de nombreux cabalistes de son époque, parmi lesquels Conrad Pellican. F. Secret nous en dit:206
Petrus Galatino (1460 ?-1540 ?), qui était franciscain, a lui aussi travaillé sur les scolies, et écrit des traités révolutionnaires intitulés Église instituée, destituée et restituée où il décrit ses révélations prophétiques et se déclare Pape angélique. Il dédicace à Charles V son Commentaire sur l’Apocalypse, croyant que ce monarque doit contribuer à la restructuration indispensable au redressement d’Occident. Il est également l’auteur de l’une des œuvres les plus connues et diffusées de la Renaissance, De arcanis catholicae et veritatis, où il défend Reuchlin, tâche qui lui échoit comme pénitentiaire apostolique. Il travaille beaucoup sur les textes cités par Giustiniani dans les scolies et réalise une étude du Tétragramme tout en se permettant de défendre le Talmoud ainsi que l’importance de le traduire en latin, car il connaissait parfaitement cette langue, ainsi que le grec et aussi l’hébreu, qu’il avait étudié à Rome avec Elias Lévita. Ces deux auteurs, Galatino aussi bien que Giustiniani, sont très lus et cités dès les commencements de la Cabale en Italie, tout comme d’autres que nous verrons, non tant pour la production d’œuvres cabalistiques à proprement parler, que pour avoir joué le rôle de compilateurs de cette littérature. Telle sera leur contribution à la diffusion de ces textes dans des lieux et milieux divers, ce qui n’exclut pas d’ailleurs que la doctrine cabalistique ait eu une profonde influence sur l’approche de leurs propres textes, clairement chrétiens, comme c’est le cas de ceux de Galatino. Son œuvre, c’est-à-dire la succession de ses écrits, est vraiment très longue: en 1506, il publie De optimi principis diadamate; l’année suivante paraît Expositio dulcissimi nominis tetragramaton. En 1515, son Oratio de circuncisione dominica, prononcée le premier jour de l’année en présence de Léon X. De arcanis catholicae veritatis, publié à Ortona en 1518, se compose de 12 livres et connaîtra par la suite des éditions à Bâle, Paris, Francfort, etc. En 1519 voit le jour Libellus de morte consolatorius ad Leonem X, composé à l’occasion de la mort de Laurent de Médicis, duc d’Urbino et neveu du souverain Pontife. De republica cristiana suivra deux ans plus tard, dédicacé cette fois à Léon X et qui traite de la réforme de l’Église; De septem Ecclesiae tum temporibus tum statibus revient sur les arguments du livre précédent. Nous avons déjà mentionné De Ecclesia destituida et De Ecclesia restituida, datant d’avant 1524, où il se lance dans l’interprétation des prophéties bibliques et médiévales et du sens mystique des Psaumes et de l’Apocalypse. Il y discute de nouveau de l’état calamiteux de l’Église et de sa réforme prochaine au moyen d’un retour aux origines. Dans cette ligne d’interprétation symbolique des écritures sacrées, il produit un commentaire sur l’Apocalypse en 1524, dédicacé, comme nous l’avons indiqué, à Charles Quint. Nous avons ensuite une Vaticinio Romani explicatio de 1525, au sujet d’une prophétie prononcée à Rome en 1160, et en 1526 De Sacra Scriptura recte interpretanda, qui lui valut une réputation de prophète; réputation que gagneraient d’ailleurs d’autres auteurs que nous verrons, comme Postel, ou Bruno lui-même, question se rapportant non pas tant à la prédiction de se qui doit arriver, qu’à la vision verticale de celui qui, situé dans l’éternel présent, prend part à la conception simultanée des possibilités indéfinies de l’être, idée qui s’incarne à chaque instant, tantôt dans une individualité, tantôt dans une autre, sans interruption. À cet aspect, Postel, que nous avons cité récemment, indique, dans des notes biographiques:
De nombreux autres opuscules naissent sous la plume de Galatino, mais nous n’hésitons pas à mentionner celui qui paraîtra en 1539 dans la même ligne que ce que nous exposions. Il s’agit du De angelico pastore qui assigne maintenant à la figure du Pontife (c’est-à-dire celui qui établit ce rapport axial avec tous les mondes et plans du cosmos) la tâche de redresser l’Église, sous les auspices de plusieurs de ces révélations. Enfin, il consacrera les derniers moments de sa vie à De teologia, un répertoire demeuré incomplet après cinq parties qui comprenaient déjà près de 50 livres. Il est intéressant de signaler que ce réseau de cabalistes et hermétistes qui se connaissent et se fréquentent, entre eux ou par personne interposée, qui se lisent mutuellement et diffusent leurs œuvres et traductions dans leurs cénacles, les recommandant à des tiers supposés qualifiés, constitue la véritable trame de la Cabale de la Renaissance, comme un organisme qui aurait englobé tout d’abord les villes et les cours italiennes avant de s’étendre par la suite à toute l’Europe. À cette tâche participent aussi bien des cardinaux que de simples moines, des philosophes et des théosophes, des mages et des poètes, des théurges, des savants et des artistes qui, dans leurs rapports entrecroisés, ouvriront les canaux et vases communicants qui feront vivre l’organisme schématisé par l’Arbre Séfirotique, dans l’Europe de cette période que nous appelons Renaissance, c’est-à-dire la projection de la pierre alchimique dans le milieu et les vibrations théurgiques du temps et de l’espace que nous avons parcourus et qui, d’une façon ou d’une autre, sont parvenus jusqu’à nos jours. |
NOTAS | |
205 | Converti au christianisme dans sa vieillesse, Pablo de Heredia (l’on ignore les dates précises de sa naissance et de sa mort) nous a laissé deux œuvres: La Quête des Secrets (Iggheret Hassodot) et La Couronne du Roi (Gale Razeia) dédiée au pape Innocent VIII. Ces deux œuvres utilisent le terme de Cabale. Heredia, dans La Couronne du Roi, présente ce livre comme une traduction du Gale Razeia (Le révélateur des secrets) dont il rédige les notes. Il y est affirmé que Rabbi Siméon a écrit un livre qu’il intitule Mechkar Hassodot, c’est-à-dire La Quête des Secrets dans lequel Siméon (Bar Yochaï) révèle beaucoup des secrets liés au Messie. D’après Scholem, cette falsification perpétrée par Heredia, écrite dans le style de la haggadah et du Zohar, ne cherchait qu’à convertir les juifs. François Secret ne croit pas que l’authenticité du Gale Razeia soit une complète invention, même si Heredia se met dans la peau de l’auteur du Zohar avec de toute évidence des intentions apologétiques chrétiennes. La Couronne du Roi, qui intercalait un texte du Zohar, a eu une grande importance, puisqu’il est arrivé entre les mains de Pierre Galatin, qui l’a étudié et incorporé à son De Arcanis Catholicae Veritatis (1518), qui fut un grand succès d’édition. C’est l’un des premiers juifs convertis à avoir utilisé la Cabale à des fins apologétiques. Il semblerait qu’Heredia ait vécu en Sicile et, en réalité, il est considéré comme un précurseur du travail de Pic de la Mirandole, qui pourrait avoir connu son œuvre via Mithridate. |
206 | La Kabbala Cristiana del Renacimiento, op. cit., p. 123. |
207 | Vie et caractère de Guillaume Postel…, op. cit., p. 65-67. |
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