PRÉSENCE VIVANTE DE LA CABALE
FEDERICO GONZALEZ - MIREIA VALLS

Première page de la Haggadah de Sarajevo, Espagne, v. 1350-60.
Lire de droite à gauche: 1. L’Esprit de Dieu se meut au-dessus les eaux de l’abîme. 2. Premier jour de la Création : la séparation de la lumière et des ténèbres.

CHAPITRE IV
LA CABALE DE CASTILLE
(suite)

Le Zohar
     Cette ouvre marque le faîte de la Cabale espagnole, bien qu'il y ait eu comme nous l'avons vu d'autres textes contemporains, c'est-à-dire du XIIIe siècle. Nous avons déjà traité de quelques cabalistes de cette période, en particulier ceux de Catalogne, mais plusieurs auteurs de Castille aussi bien que d'Aragon ou d'Andalousie mériteraient d'être étudiés.136 En fait, il semblerait que beaucoup de leurs manuscrits, encore inconnus aujourd'hui, n'ont jamais été publiés et dorment probablement au fond de bibliothèques, d'archives ou même de collections privées. Mais revenons au Zohar. La paternité en est attribuée à Moïse de Léon (1240-1305), dont le nom en hébreu est Moshe ben Chem Tov de Léon, qui est également l'auteur de nombreux autres ouvrages ; nous citerons ici, d'après Charles Mopsik137, quelques-uns de ses titres : Or Zarou'a, « La Lumière Semée » ; Chochan Edout, « La Rose du Témoignage » ; Sefer ha-Rimon, « Le Livre de la Grenade » ; Nefech ha-Hakhama, « L'Âme Intelligente » ; Sefer ha-Michqal, « Le Livre de la Balance » ; Chequel ha Qodech, « Le Sicle du Sanctuaire » ; Michkan ha-Edout, « Le Tabernacle du Témoignage » ; Cha'ar Yessod ha-Merkaba, « Le Portique du Fondement du Char » ; Maskiyot Kessef, « Les Garnitures d'Argent » ; « Traité Sans Titre » ; Che'élot ou-Techouvot, « Questions et Réponses » ; Sod Esser Sefirot Belima, « Le Secret des Dix Sefiroth  Mystérieuses » ainsi qu'une suite de textes pseudépigraphiques.

En effet, non seulement plusieurs des spécialistes et connaisseurs de la langue qui ont étudié ses manuscrits sont de l'avis qu'il fut l'auteur du Zohar, mais Gershom Scholem croit que les analyses linguistiques et stylistiques ne réfutent absolument pas cette possibilité, et l'avéreraient plutôt, ainsi que son opinion quant à l'influence gnostique qu'il octroie à nombre des contenus, ainsi que nous l'avons vu dans le cas du Bahir. Dans l'un de ses ouvrages, intitulé Zohar, le Livre de la Splendeur, où il présente une soigneuse sélection138 de textes de ce corpus sacré, il nous dit, dans son introduction :

C'est certainement aux environs de 1280 que ces parties du Zohar furent intégrées en une seule composition en Espagne, par un cabaliste qui n'avait pas vu la Palestine. Revêtant sans cesse de nouvelles formes, pleine de distinctions littéraires et stylistiques, c'est là l'ouvre d'un auteur qui semble avoir vécu une profonde conversion au cabalisme. Mais, malgré tous les masques qu'il aime utiliser, la forme intérieure et le style personnel sont toujours identiques.

L'on ne peut nier que, dès sa parution, certaines factions traditionnelles taxèrent l'auteur du Zohar d'imposteur, de falsificateur littéraire et de profanateur139, ce qui fit que ce livre ne fut pas exempt de polémique et, nous le verrons plus loin, est encore aujourd'hui l'objet de controverses. Comme le déclare encore Scholem dans son opuscule :

Graetz nous a sans doute laissé croire que Moïse de Léon avait ambitieusement falsifié le Zohar afin d'en tirer bénéfice, pour soutirer de l'argent à de candides riches après que les livres où il apparaissait en tant qu'auteur aient cessé de lui apporter des gains suffisants. Cette espèce de personnage factice, de coquin audacieux, serait inacceptable pour la critique historique même si l'on possédait des preuves concluantes de l'existence de la partie la plus importante du Zohar avant 1286, date à laquelle Moïse de Léon écrivit son premier livre entièrement basé sur le Zohar. Cela bien entendu n'exclut pas la possibilité que Moïse de Léon ait lui-même écrit le Zohar des années plus tôt.

Cet érudit, ainsi que Charles Mopsik, a comparé le Zohar à d'autres textes de Moïse de Léon, et tous deux concordent entièrement sur le fait que les rapports entre toutes ces ouvres ne sont aucunement superficiels ni casuels, bien que l'on puisse déceler quelques années de différence dans leur rédaction, ce qui porte Scholem à conclure ainsi :

Moïse de Léon fut-il effectivement l'auteur de ce Zohar ainsi que le soupçonnaient ses contemporains ? Nous pouvons à présent affirmer avec quelque certitude philologique que Moïse de Léon doit être considéré comme le véritable auteur du livre.140

Quoi qu'il en soit –et nonobstant les discussions et les convulsions qui entourent fréquemment l'apparition des textes sapientiels, promoteurs en soi de ruptures de niveau–, il est fait dans ce texte, qui est un midraschim, de constantes références à la Torah, et à ses sages, dont il est un commentaire détaillé. Ce plan de l'ouvre se réfère à tout Le Livre de la Splendeur auquel, bien qu'il porte sur la Torah (les cinq livres du Pentateuque), viennent s'ajouter également d'autres livres bibliques141 et divers traités indépendants, certains desquels ont été considérés comme des apocryphes mais font partie intégrante du corps d'enseignements cabalistiques connu sous le nom de Zohar.142 Afin d'éclairer un peu la complexité de désignation des diverses compositions de cette ouvre volumineuse, nous préciserons les noms en hébreu de chacun des livres du Pentateuque qui y sont commentés et qui sont les suivants : Genèse (Berèchit), Exode (Chemot), Lévitique (Wayi-qra), Nombres (Bemidbar) et Deutéronome (Devarim) ; ceux-ci sont à leur tour divisés en nombreuses sections qui sont l'objet des commentaires et des recréations mythiques et littéraires.

Autant sont courts le Livre de la Formation et le Livre de la Clarté ainsi que les brefs traités de Provence et de Gérone, autant le Zohar est volumineux : sa récente édition française traduite par Charles Mopsik et publiée par Verdier dépasse les mille cinq cents pages.143 C'est avec celle-ci que nous avons travaillé pour cette étude, ainsi qu'à l'aide de la version en castillan de Léon Dujovne144, qui était venue combler un vide puisqu'il n'avait pas été publié dans cette langue ; en réalité, il n'y a que peu de versions de ce livre en quelque langue que ce soit et toutes ont été remarquées et sont devenues célèbres dans les pays où elles ont été éditées.

Le Zohar parachève le processus de gestation commencé par le Sefer Yetsirah, le Bahir et les diverses influences où il couvait comme les Cabales de Provence et de Gérone auxquelles nous avons fait référence et qui, en Castille, débouchèrent sur la figure du copiste Moïse de Léon et son entourage. Ce sage, très probablement en étroite collaboration avec un petit groupe d'adeptes qui, en raison de leur unanimité de pensée, ne peuvent pas être distingués comme des individualités dans le texte, a réalisé un immense travail de synthèse doctrinale –issu de diverses sources traditionnelles– qu'il a intégrée dans un discours de forme juive, mais possédant de nettes réminiscences néoplatoniciennes et néo-pythagoriciennes, hermétiques, gnostiques et même chrétiennes. Voyons à ce sujet les investigations de Mopsik, comprises dans le prologue du tome III du Zohar édité par Verdier :

Le Zohar a certes introduit une rupture temporelle dans la chronologie de l’évolution de la pensée et de la pratique juive au point qu’il est possible de parler d’une époque pré-zoharique et d’une époque post-zoharique. En tant que phénomène religieux, il a cristallisé toute une tradition écrite et orale dont il est devenu le livre de référence principal sinon le livre canonique. Toutefois, il est d’abord le produit d’une micro-société composée de quelques rabbis castillans, plutôt marginaux, qui s’est donné pour mission, vers la fin du XIIIe siècle, de régénérer le judaïsme, de retrouver ses sources fécondes de révélations prophétiques, à partir de ses traditions ésotériques négligées ou même rejetées par des autorités rabbiniques dominantes, tout en renouvelant l’exégèse du midrach et en donnant à ce genre littéraire dépassé par le perouch ou exégèse littérale, un nouveau souffle. Toutes les énergies, toutes les forces intellectuelles qui pouvaient contribuer efficacement à ce projet audacieux ont été mobilisées.

Et d'expliquer à un autre moment :

La situation de ce livre, qui est un véritable corpus littéraire contraint celui qui se livre à son étude à ouvrir un champ de recherche vaste et diversifié. Il nous a donc fallu puiser dans l’immense littérature dont l’auteur du Zohar s’est nourri et qu’il a intégrée de façon si cohérente dans son système de pensée, qu’elle est souvent difficilement identifiable. Si les citations directes, hormis les mentions des versets bibliques commentés, sont très rares, les pages de ce livre sont chargées d’une impressionnante mémoire qui a enregistré pratiquement tout ce qui a été écrit ou traduit d’important en hébreu ou en araméen en milieu juif avant la fin du XIIIe siècle, et qui n’a pas négligé d’absorber certaines sources extérieures, arabes ou latines.

En outre, l'écrivain contemporain, faisant montre d'une grande ouverture d'esprit qui passe outre les moules rigides et les haines religieuses, affirme :

Les cabalistes, et en particulier l’auteur du Zohar, ont trouvé dans la littérature mystique ancienne parvenue entre leurs mains, des éléments, voire des fondements, qui leur ont servi de socle et leur ont donné l’impulsion décisive. Dans certains de ces écrits, ils ont pu percevoir comme un étrange écho des doctrines chrétiennes auxquelles ils étaient confrontés. Un ouvrage en particulier a joué un rôle essentiel: l’Alphabet de Rabbi Akiba. Dans ce texte dont l’origine exacte et la date d’apparition sont encore incertaines, à côté de longs passages empruntés à la littérature des Palais, de forts indices d’idées typiquement chrétiennes ou plus précisément judéo-chrétiennes, peuvent être décelés.

La majeure partie de la pensée cabalistique, de même que le système séfirotique, tels qu'ils sont parvenus aujourd'hui, sont déjà aboutis dans le Livre de la Splendeur. Selon Scholem, des questions aussi complexes et fondamentales que la théosophie de l'En Soph, le nom conventionnel pour tenter de décrire quelque chose d'indescriptible, n'avaient pas encore été élucidées dans la Cabale avant l'apparition de ce livre dont son traducteur en castillan Léon Dujovne145, que nous avons déjà cité, dit dans son introduction :

La doctrine de l'émanation dans ses quatre étapes de développement du monde et la doctrine des Séfirot sont, toutes deux, incorporées dans le Zohar, où elles sont amplement développées. En rapport aux Séfirot, la base de l'être est désignée par les mots Ein Sof (sans fin), ou, simplement, comme Ein (Néant), l'obscur fond indifférencié pour une existence déjà différenciée, mais encore immatérielle. Occasionnellement l'Ein-Sof fusionne avec Kether, qui domine alors les autres Séfirot.

Et il manifeste :

La doctrine des Séfirot (Émanations) est mise en relation avec la vie et la conduite réelle à travers ses combinaisons par un principe ainsi  formulé: Ce qui est en haut est aussi en bas et ce qui est en bas est aussi en haut. Cela implique que le monde inférieur reflète comme dans un miroir le monde supérieur et qu'il existe un contact direct entre eux, un rapport d'action réciproque. L'idée devient partie intégrante de la religion juive dans la croyance de ce que l'homme en bas peut avoir une influence dans les sphères les plus élevées et que le courant de bénédiction d'en haut doit d'abord être mis en mouvement d'en bas ou, comme le dit le Zohar, c'est le symbole de l'union des sexes. Ce symbole se fonde sur des expressions du Cantique des Cantiques. La séparation du « Roi », c'est-à-dire Tifereth, de la Reine, c'est-à-dire de la Schejinah, apporte souffrance et discorde. Leur union apporte l'harmonie à tous les mondes. (ibid.)146

Effectivement, le Zohar  a commenté de diverses manières le rite génésique de l'union, car cela n'est rien de moins que la compréhension du cour de la création, puisqu'il s'agit de l'Amour de Dieu pour ses créatures et de la nécessité qu'Il a que cet Amour soit réciproque pour Être. C'est ce dont traite la relation de Keter avec sa Chekhinah, Malkhout, par l'intermédiation du Métatron, Tiferet, c'est-à-dire du Roi avec son épouse, ou sa fiancée, –parfois sa fille–, basée fondamentalement, nous l'avons observé, sur le Cantique des Cantiques dont le Zohar  inclut un commentaire qui fait de nombreuses références au corps humain en tant que cosmos en miniature. Voyons ici un texte d'une grande beauté tiré de la traduction de Dujovne (Zohar, Exode, section Mishpatim) qui exprime cette union, dans ce cas précis celle du Principe ou Esprit universel, et de l'âme :

Quelle est la signification des mots « conforme à l'usage avec les filles » ? C'est là un secret qui est confié seulement à la garde des sages, et en voici la substance. Au milieu d'un puissant rocher, un firmament lointain, est placé un Palais appelé Palais de l'Amour. C'est là la région où sont accumulés les trésors du Roi et tous Ses baisers d'amour sont là. Toutes les âmes aimées du Saint entrent dans ce Palais. Et lorsque le Roi apparaît, « Jacob baise Rachel », c'est-à-dire que le Seigneur découvre chaque âme sainte, et les attire chacune à Lui tour à tour, les choyant et les caressant, agissant « envers elles conformément à l'usage avec les filles », comme un père traite sa fille aimée, la choyant et la caressant et lui offrant des présents. « Car l'on n'a jamais entendu ni l'ouïe a perçu, ni l'oil de quiconque a vu d'autre Dieu en-dehors de toi, qui en fasse ainsi pour celui qui croit en Lui » ; comme cette « fille », l'âme, a fait son ouvre dans ce monde, ainsi le Saint « fera » Son ouvre avec elle dans le monde à venir. (Tome III).

Le Zohar  fut écrit en hébreu et en araméen, et son nom vient de Daniel XII, 2 :

Les sages brilleront comme la splendeur du firmament et ceux qui auront enseigné la justice à la multitude seront comme les étoiles, éternellement et à toujours.

Nous sommes bien sûr très loin de pouvoir effectuer une analyse détaillée du Zohar, et encore moins dans notre contexte, car une ouvre de ce type et de cette taille exigerait plusieurs volumes, et encore nous ne pourrions que traiter certains points essentiels qui sont précisément ceux que nous souhaitons exprimer ici. Dans ce livre de livres se trouvent réécrites de bien des façons possibles les vérités éternelles, toujours surprenantes et saisissantes, dont le but est de sauver l'être humain de l'erreur et de l'ignorance, et de l'introduire dans la splendeur de la conscience du Saint, loué soit-il, qui possède, nous l'avons deviné, bien des coins et des recoins. Mopsik, dans son introduction déjà citée, note :

L’invention littéraire et la créativité religieuse sont les aspects les plus caractéristiques de l’ouvrage, qui le distinguent assez nettement de la plupart des productions médiévales juives dans des champs comparables. Ce dynamisme créateur s’exprime aussi bien dans les talents de mythographe et de dramaturge de son auteur, que dans son extrême liberté d’interprétation. Mais il investit également toutes les ressources littéraires à sa disposition. 147

Dans une atmosphère hors de la linéarité temporelle et un espace différent de celui que marquent les points cardinaux, un petit cercle d'adeptes se regroupe sous l'égide de rabbi Siméon bar Yochaï, surnommé « la Lampe Sainte » –sage mythique du IIe siècle qui vivait en Palestine et dont on dit qu'il est le père légendaire du Zohar. Par son intermédiation, ces rabbins reçoivent la révélation de hauts enseignements ésotériques et se reconnaissent comme intimement liés à la Torah, à l'intellection de laquelle ils se consacrent nuit et jour, devenant, selon les propres mots du Zohar, ses amants et ses transmetteurs :

La Torah peut être comparée à une belle et majestueuse damoiselle vivant recluse dans une pièce retirée du palais, et qui a un amant dont elle seule connaît l'existence. Pour l'amour d'elle, il passe sans cesse devant ses grilles et regarde en tous sens pour la découvrir. Elle sait fort bien qu'il est toujours à rôder dans le château et que fait-elle ? Elle ouvre de part en part une petite porte de son antichambre secrète, dévoile un instant son visage à l'amant, puis se retire rapidement. Lui seul, et nul autre, s'en rend compte : mais il sait que c'est pour l'amour de lui qu'elle s'est dévoilée un instant, et son cour, son âme, tout en lui se tend vers elle. (Cité par Scholem. Zohar. Le Livre de la Splendeur).

Ce climat évocateur, porteur d'une grande charge de poésie et enveloppé du mystère de la Vérité intangible, se profilera et nuancera à chaque page de ce corpus volumineux, et invitera le lecteur de tous temps à pénétrer un monde intérieur et intime, a-historique, toujours pressenti, et en tout cas perpétuellement actuel :

Rabbi Hiya entendit soudain une voix qui criait: « Faites place, faites place, car le Roi Messie arrive à l' Ecole de rabbi Siméon ». Tous les justes qui en font partie étaient des chefs d'Ecole, écoles célèbres là-bas. Et les compagnons d'étude de toutes les Ecoles s'élèvent depuis l'Ecole d'ici jusqu'à l'Ecole de l'espace. Le Messie se rend dans toutes ces écoles et appose son sceau sur l'enseignement issu de la bouche des rabbis. (Verdier, tome I, p. 44).

Dans cette École de l'espace148 sont admis ceux qui désirent véritablement pénétrer les enseignements cosmogoniques et métaphysiques qui leur seront révélés graduellement, par la grâce céleste déversée dans leurs cours et par le biais de leurs efforts soutenus dans leurs travaux de concentration et de méditation :

Au début, lorsqu'elle se révèle à peine à un homme, elle lui fait signe. (.) Lorsque enfin il est en termes proches avec elle, elle lui dévoile son visage et converse avec lui à propos de tous ses mystères secrets et de tous les chemins secrets qui sont demeurés cachés dans son cour depuis des temps immémoriaux. Ainsi un homme devient un véritable adepte de la Torah, un « seigneur de la maison », car c'est à lui qu'elle a dévoilé tous ses mystères sans en garder ni en cacher un seul. Elle lui dit : Vois-tu le signal, la piste, que je t'ai donnée au début ? Vois-tu combien de mystères elle renferme ? Alors lui se rend compte que l'on ne peut pas ajouter une seule chose aux mots de la Torah, que l'on ne peut lui ôter aucun symbole non plus, ni aucune lettre. Ainsi les hommes devraient-ils suivre la Torah, de toutes leurs forces, et devenir ses amants, comme nous l'avons vu. (Scholem. Zohar .).

Et nous voudrions à présent nous référer à certains de ces mystères, sélectionnant plusieurs fragments inspirés des différents livres du Zohar, en particulier ceux qui évoquent la réalité de l'Innommable et le déploiement de ses possibilités de manifestation.

Celui qui est dénommé: la Cause qui est par-delà toutes Causes ne connaît pas de terme qui lui serait supérieur et rien au-dessous de lui ne lui est apparenté, ce que signalent les mots: « A qui me comparerez-vous et qui m'égalerait, dit le Saint » (…) Rabbi Siméon répliqua: Que vos oreilles entendent ce que vos bouches disent ! Ne vous ai-je pas expliqué à l'instant que celui qui est appelé « la Cause des Causes » n'est pas celui qu'on nomme «la Cause qui est par-delà toutes Causes »? Quant à ce dernier, il n'existe nul second à qui il pourrait se référer, il est l'unique, l'antérieur à tout, sans associé. (Verdier, tome I, p. 129).

Et la section Berechit de la Genèse commence par cette narration :

D’emblée, la résolution du Roi laissa la trace de son retrait dans la transparence suprême. Une flamme obscure jaillit du frémissement de l’infini, dans l’enfermement de son enfermement. Telle une forme dans l’informe, inscrite sur le sceau. Ni blanche, ni noire, ni rouge, ni verte, ni d’aucune couleur. Quand ensuite il régla le commensurable, il fit surgir des couleurs qui illuminèrent l’enfermement. Et de la flamme, jaillit une source en aval de laquelle apparurent les teintes de ces couleurs. Enfermement dans l’Enfermement, frémissement de l’Infini, la source perce et ne perce pas l’air qui l’environne et elle demeure inconnaissable. Jusqu’à ce que, par l’insistance de sa percée, elle mette en lumière un point ténu, enfermement suprême. Par delà ce point, c’est l’inconnu, aussi est-il appelé: « commencement », dire premier de tout. « Les maîtres de sagesse resplendiront comme la splendeur de l’espace, et ceux qui auront enseigné la justice aux collectivités comme les étoiles, à tout jamais » (Dan.12:3). Splendeur, enfermement des enfermements, elle heurte l’air qui l’environne et parvient à ce point sans y parvenir. Alors, ce commencement se déploie et se construit un palais, pour sa gloire et sa louange. En ce palais est semée la semence de sainteté, féconde pour le monde, ce qu’exprime : « la semence de sainteté sera préservée » (Es.6:13). Splendeur, qui a semé pour sa gloire comme une semence de belle soie pourpre, qui reste cachée en son intérieur et s’y construit un palais, qui est sa louange et le mieux être de tout. C’est dans le « commencement » qu’il a créé cet enfermement inconnu, pour le palais. Et ce palais est appelé Elohim, ce qu’exprime : « Dans le commencement Il a créé Elohim » (Gen. l:l). Splendeur: c’est à partir d’elle que tous les dires ont été créés en secret par le déploiement du point de cette splendeur enfermée. (Verdier, tome I).

Et si le Sefer Yetsirah et le Bahir ont principalement mis en relief la métaphysique du langage, nous voudrions souligner quelques fragments du Zohar  (qui abonde également dans cette symbolique) qui décrivent le Principe du Cosmos et de son émanation en se fondant sur des symboles numériques et géométriques, si semblables à ceux de la formulation pythagoricienne à propos de la genèse cosmique. Voici un court extrait, à titre d'ouverture :

Trois surgit de l'Un, l'Un en Trois prend consistance: il pénètre entre Deux et Deux allaite l'Un, l'Un allaite les multiples secteurs, alors tout est Un. (Verdier, tome I, p. 182).149

Le premier tracé géométrique, celui qui, se contemplant lui-même, donne naissance à une droite, symbolise l'émanation de la première idée, appelée la déesse Sagesse, dont il est dit qu'elle se trouvait avec Dieu avant la création du monde et que c'est par son intermédiaire que l'univers fut créé. C'est elle, qui est également appelée Pensée, qui l' « invente » et le « conçoit ». Mais la Sagesse ne se reconnaîtrait pas elle-même sans la déesse Intelligence.150 Cette facette de la déité va de pair avec la rigueur et c'est elle qui règlera ta vie (qui mettra de l'ordre dans la vie de l'initié) car c'est elle qui choisit les valeurs, c'est d'autre part l'élément d'union qui conjugue la triade primordiale, ce qui signifie que c'est elle qui réalise l'union de Kether et Hokhmah, c'est-à-dire le premier mariage qui, libéré des opposés, forme la pièce de base primordiale dont le monde est créé, encore de manière archétypale, dans la première manifestation qui constitue le mouvement génératif sur un autre plan. En outre, l'Intelligence a toujours été liée à la rigueur, puisque le discernement prend effet au fil de l'épée : en tranchant tout ce qui n'est pas, l'intelligence brille avec ce qui la reflète et, simultanément mais inversement, elle peut tout ramener à l'unité essentielle.151

Voyons maintenant un exemple synthétique du déploiement cosmique à partir de la trinité essentielle :

Puis un héraut proclame avec force: « A vous les saints supérieurs, à celui qui parmi vous laisse entrer dans ses oreilles le souffle pour l'écouter, dont les yeux sont dessillés pour voir et dont le coeur est ouvert pour comprendre: quand le souffle de tous les souffles fait s'élever la douceur de l'âme, d'où surgit la voix des voix, les puissances se dispersent aux quatre coins du monde: 1- Une monte vers un côté. 2- Une descend vers ce côté. 3- Une pénètre entre les deux. 4- Deux se couronnent avec trois. 5- Trois entrent dans une. 6- Une émet des couleurs. 7- Six d'entre elles vers un côté, et six autres descendent vers ce même côté. 8- Six entrent dans douze. 9- Douze s'éveillent dans vingt-deux. 10- Six sont intégrées dans dix. 11- Dix tiennent dans Une. » (Verdier, tome I, p. 388-389).

L'architecture universelle possède un fondement numérique : les nombres sont des dieux, des idées dont les combinaisons dans des proportions et des rythmes différents génèrent des modules et des structures en interrelations qui constitue le « corps » invisible de l'Être unique :

Rabbi Eléazar dirait : L’abîme fut fixé par quatre pierres qui plus bas s’ancraient sur une pierre unique qui est le pilier. C’est là-dessus que se tient le monde, ainsi qu il est dit : « Sur quoi ses bases sont-elles ancrées ? Qui en a posé la pierre angulaire » (Job.38:6). Et rabbi Zéra ajoutait : Sur cette pierre le monde s’est établi ; c’est sur elle qu il se tient. Elle est le Saint des Saints, le nombril du monde. Les pierres plongées dans l’abîme en émergent, puis font jaillir les eaux. Rav Aha bar Jacob affirmait que l’abîme s’ancre par trois lettres, puis se divise en trois parties qui sont les piliers de la terre. (…) Rabbi Siméon enseignait : La terre se tient sur sept piliers ainsi qu’il est dit : « Elle a taillé ses sept piliers » (Prov.9:1). Ceux-ci sont suspendus au-dessus des eaux. A leur sujet le roi David – la paix soit sur lui – prononça sept fois le mot « voix » dans le psaume suivant : « La voix de YHVH était au-dessus des eaux » (Ps.29:3). Tout tient sur sept : les piliers des cieux sont au nombre de sept ; il y a sept espaces, sept constellations, sept degrés, sept peuples en haut, sept peuples en bas, sept terres, sept mers, sept fleuves. Les jours du commencement sont sept, le septième étant le Sabbat pour YHVH, jour totalement Sabbat. (Verdier, tome I).152

En réalité, la construction du temple de Salomon, à laquelle la Tradition hébraïque accorde tant d'importance, s'appuie sur cette édification idéale émanant du Principe, et c'en est la projection à un moment déterminé tout en étant un vecteur de réalisation spirituelle pour les ouvriers qui l'érigent. Ces artisans, à l'instar de tous ceux qui se joignent à la tâche de régénération de l'univers avec d'autres supports, comme celui de l'écriture s'exprimant dans le Zohar, ne vivent pas leur existence comme une course aux mérites permettant de monter aux degrés supérieurs suivant des patrons préétablis, ni n'aspirent à être toujours « davantage » dans un monde factice de classes et de catégories, mais se joignent simplement au discours toujours vivant que la déité grave dans leurs cours, et participent au rite réitéré d'être tout ce qui est, dans un éternel présent.

Le mot behibanoto (en sa construction) indique que le Temple s’est construit lui-même; alors pourquoi parler de l’intervention de Salomon et de ses artisans? (…) En réalité, tout s’accomplit (dans le Temple) par soi-même, de façon extraordinaire et prodigieuse. Dès que les artisans commençaient à oeuvrer, l’oeuvre elle-même leur enseignait comment opérer avec elle, d’une façon qui leur était inconnue auparavant. Et cela parce que la bénédiction du Saint, béni soit-Il, résidait sur leurs mains. Il est écrit « sa construction » (behibanoto), c’est-à-dire que le Temple se bâtissait lui-même : il enseignait la procédure de construction aux artisans, la façon de commencer son exécution; le plan (rechima) de l’ouvrage ne quittait réellement pas leurs yeux, les artisans le lisaient et travaillaient, jusqu’à ce que toute la Maison fût achevée. Il est écrit encore : « Une pierre complète de la carrière (massa) » (I Rois 6:7). Le mot chléma (complète) est écrit de manière défectueuse – il manque la lettre yod –, ce qui permet de lire Chlomo, et certes, il s’agissait bien de la «pierre de Salomon ». Le mot massa (litt. transporter) signifie que les pierres furent transportées depuis (l’En-haut) et, atteignant (la terre), elles se déposèrent près des artisans, puis l’ouvrage s’accomplissait. On peut comprendre autrement : ce sont les mains des artisans qui se déplaçaient involontairement, si bien qu’ils ignoraient ce qu’ils étaient en train de faire. « Et ni marteau ni hache, ni autre instrument de fer, ne fut entendu » (Ibid.). Cela parce que le chamir [un insecte que découpe les pierres] taillait les pierres sans que aucun son ne soit entendu. Aucun autre instrument ne fut nécessaire pour exécuter l’ouvrage. Tout fut donc accompli de manière extraordinaire et prodigieuse. (…) Dès que ce (niveau) de déploiement est atteint, dès qu’est advenue la parole grâce à la force de la voix, « La maison est en construction ». Il n’est pas écrit : « Lorsque la maison fut construite », mais « est en construction », ce qui indique qu’elle est toujours en train de s’effectuer à chaque moment sans exception. (Verdier, tome I).

Et pour percevoir la totale identité entre la structure macrocosmique et la microcosmique :

Ved cuán grandes son las obras del Santo, bendito sea, puesto que el moldeado y la forma del hombre es igual a la del mundo. En efecto, cada día sin excepción el Santo, bendito sea, crea los mundos: casa todas las parejas, cada una según le conviene en propiedad. (Verdier, tome I, citation française pendante).

Un autre symbole de l'univers étroitement lié à l'art de la construction sur lequel s'étend le Zohar est celui des Palais, qui sont au nombre de 7 ou 9 et correspondent aux 7 sefiroth de construction ou aux neuf émanations, sans compter Kether, qui se présentent parfois sous forme d'édifications concentriques et possèdent certaines analogies avec les planètes, les entités angéliques, les vices et les vertus, les couleurs, les pierres, c'est-à-dire avec les diverses symboliques assimilées aux paysages de l'âme au cours du voyage d'élévation ou de retour à sa véritable demeure éternelle :

Dans l’En-haut logent sept Palais formant le secret de la suprême confiance; dans l’En-bas logent sept autres Palais pareils aux premiers, mais l’un d’entre eux est caché et reste en réserve dans l’En-haut. Tous ces Palais relèvent du Secret suprême car chacun comporte une ressemblance avec l’En-haut ainsi qu’une ressemblance avec l’En-bas, en sorte qu’ils comprennent et la figure du secret de l’En-haut et la figure du secret de l’En-bas. Parmi eux se trouvait la demeure d’Adam. Après son renvoi du jardin d’Eden, le Saint, béni soit-Il, réserva ces Palais aux âmes des justes pour qu’elles y jouissent à leur convenance du rayonnement de la gloire suprême. Chacun de ces Palais est ajusté à l’En-haut ainsi qu’à l’En-bas, comme nous l’avons appris. (Zohar, Traité des Palais, Verdier, tome I).

Ou cet autre passage :

La lumière de la pensée inconnaissable heurte encore la lumière du rideau, puis elles se mettent à éclairer ensemble et deviennent ainsi neuf Palais. Ces Palais ne sont ni des lumières, ni des souffles, ni des âmes et celui qui pourrait y subsister n'existe pas. La volonté des neuf lumières, qui ensemble subsistent dans la pensée qui elle-même est du nombre de ces lumières, leur volonté à elles toutes est de poursuivre ces neuf Palais, quand elles se trouvent dans la pensée. Mais elles ne parviennent pas à s'y attacher et ils restent hors de portée. Ces Palais n'existent ni dans la volonté ni dans la pensée, on les touche mais ils ne sont pas touchés. En ces Palais résident les secrets de la confiance. Toutes ces lumières procédant du secret de la pensée suprême sont appelées Infini (Eyn-Sof). Jusqu'ici les lumières parviennent et ne parviennent pas, et elles échappent a la connaissance: là n'est ni volonté ni pensée. Quand la pensée éclaire, et qu'on ne sait pas par qui elle éclaire, elle s'habille et s'enferme dans le Discernement (Bina), puis elle éclaire qui elle éclaire et l'un pénètre l'autre, jusqu'à ce qu'ils ne constituent ensemble qu'une unité. Quand au secret du sacrifie, l'offrande étant hissée (sur l'autel), tout se noue l'un a l'autre et s'éclaire mutuellement; dès ce moment tout se tient dans l'élévation, et la pensée se couronne d'Infini. La lumière par laquelle la pensée suprême s'éclaire est appelée Infini. A partir de lui [la pensée] existe, elle prend consistance et éclaire qui elle éclaire: là-dessus tout repose. Heureux le partage des justes en ce monde-ci et dans le monde à venir. (Verdier, tome I, p. 330-331).

Mais à de nombreux autres moments, cette structure organique se révèle à travers l'image de l'Arbre qui, ainsi que nous l'avons vu plus haut, est réaffirmée dans le Zohar comme pentacle ou modèle synthétique de l'univers :

Viens et vois. L’Arbre de vie comprend plusieurs degrés distincts l’un de l’autre et qui sont tous un. Dans l’Arbre de vie il y a des degrés superposés, branches, feuilles, écorces, tronc, racines, et chacun est l’arbre. De cette façon, celui qui s’adonne à la Torah se perfectionne et s’accroche à l’Arbre de vie. Et tous les adeptes de la Foi, les israélites en totalité, sont accrochés à l’Arbre de vie, tous sont vraiment unis à cet arbre, certains le sont à son tronc, d’autres le sont à ses branches, d’autres le sont à ses feuilles, d’autres à ses racines, enfin tous sont unis à l’Arbre de vie. (Verdier, tome III).

Au centre de l'ouvre de construction cosmique, et la complétant, le Zohar place toujours l'homme, créé à l'image et ressemblance de la déité, donnant même au récit cosmogonique l'expression d'une symbolique anthropomorphique. C'est là un thème récurrent dans la Cabale, qui l'aborde dans diverses perspectives. Et nous nous demandons à quoi est due une telle réitération : tout d'abord, la narration de la Création et celle de l'être humain qui la couronne est un mythe, une expression symbolique qui insinue ou évoque un fait si majestueux et si inconcevable par la raison et la logique formelle que l'on a recours au support du langage des réminiscences. La Création au sens le plus large, qui englobe la totalité de l'Être Universel, avec ses quatre mondes ou plans si clairement indiqués sur le diagramme de l'Arbre de Vie, n'est pas une question chronologique, encore moins une fantaisie ou une spéculation de l'esprit humain, ni un support pour justifier un système mécanique, rigide et paralysant du monde, mais quelque chose de bien plus immense et transcendent. Si l'on peut s'exprimer ainsi, c'est la « décision » de l'Infini supra-conscient de prendre conscience de ses possibilités d'être et, les pensant, il « invente » la Manifestation Universelle, il lui assigne une « place », et c'est à l'être humain, la créature, qu'est octroyée la fonction d'intermédiaire, comme le lien ou la charnière qui peut expérimenter par l'intuition intellectuelle la paradoxale non-dualité entre les possibilités d'être et de ne pas être, c'est-à-dire faire l'expérience de l'Identité Suprême. Le supra-cosmique détermine dans le Principe toutes les possibilités d'être et, en un geste gratuit d'une générosité sans pareille, émane et déverse depuis sa face occulte153, inimaginable, une source de possibilités archétypales, formelles et concrètes dans le réceptacle de sa petite face154, la Création, un déploiement simultané et hiérarchique d'émetteurs et de récepteurs, d'images reflétées en d'autres images qui permettent d'avoir l'intuition de ce visage occulte sous-jacent, son origine, sa destination, qui transcende en même temps n'importe laquelle de ses manifestations. Et tout ce mystère est synthétisé chez l'être humain. L'un des symbolismes du Zohar pour évoquer de si surprenantes questions est celui des deux Visages :

La blancheur de la Tête s'étend dans treize directions : quatre vers l'avant, quatre vers le côté droit, quatre à gauche et une au-dessus de la Tête. D'où le fait que la longueur de la Tête s'étende à trois cent soixante dix fois mille mondes. Lorsqu'il est vu sous cette forme, il est appelé « Grand Visage ». L'ancien des anciens est connu sous le nom de Grand Visage, alors que vu du dehors, c'est-à-dire à travers les voiles, il est appelé le « Petit Visage ». Le Petit Visage correspond exactement à l'Ancien, le Vieil Homme, Saint entre les Saints. (El Zohar. Ed. Obelisco).155

Ou ce fragment :

Lorsque le Petit Visage regarde l'Ancien, sa figure s'élargit et s'agrandit, sans qu'il parvienne jamais à être de la même taille que l'Ancien. À ce moment tout ce qui est ici-bas s'affirme. Un filament blanc passe de la Tête de l'Ancien à celle du Petit Visage et de ce dernier passe aux innombrables têtes du monde inférieur. (Ibid. III, 128b).

Et, synthétisant :

L'Ancien des Anciens et le Petit Visage sont une même chose ; tout ce qui a été et tout ce qui sera. Il n'est pas susceptible de transformation ; il n'a jamais changé ni ne changera jamais. C'est le centre de toute perfection. C'est l'image qui embrasse toutes les images, l'image qui renferme tous les noms, l'image qui se voit partout et sous toutes les formes, mais seulement en tant que reproduction et peinture, car personne ne L'a vu ni personne ne peut voir l'image réelle et authentique. La reproduction la plus fidèle à l'original est l'image de l'homme. Tous les mondes d'en haut et d'en bas sont compris dans l'image de Dieu. L'Ancien sacré et le Petit Visage sont la même image. Mais, te demanderas-tu, quelle est donc la différence entre l'un et l'autre ? Le tout est une balance dont le poids est la Clémence et le contrepoids la Rigueur. Forment-elles à elles deux [l'équilibre des] les deux balances ? En aucune manière ; il dépend de nos ouvres que le poids se décante d'un côté ou de l'autre. Ces mystères ne sont confiés qu'à ceux qui cultivent le champ sacré, ainsi qu'il est écrit : Le Seigneur confie Son secret à ceux qui le craignent (Psaumes 25, 14). (Ibid. 141-141b).

L'important traité Sifra di-Tzeniutha156 –une partie du Zohar  qui correspond à la Parashat Terumah, II 176b-179a– est en soi une synthèse de toute la Cabale et tout y est explicitement développé, bien qu'avec les codes et les figures, c'est-à-dire les symboles, propres à la langue des cabalistes. Comme dans le cas des Portes de la Lumière de Gikatila, commenter ce livre est assez malaisé car dans la tâche de citer ou souligner c'est tout qu'il faudrait en souligner, si grande est la richesse de son contenu dans son expression énigmatique. Cependant, nous tenterons de le faire afin d'éclairer nos lecteurs, n'indiquant que quelques-uns des passages que nous n'avons pas encore relevés dans le Zohar, ou d'autres qui offrent selon nous de nouvelles perspectives ou éclairages sur les aspects que nous sommes en train d'étudier.

Cet opuscule ô combien cryptique, compliqué à déchiffrer par la seule application de la logique rationaliste, réussit à synthétiser en cinq chapitres l'essence de l'enseignement cosmogonique de la Cabale, mettant l'accent sur une symbolique anthropomorphique de la déité (il contient de fréquentes allusions à la tête, aux yeux, au front, au nez, aux joues, à la bouche, à la chevelure, à la barbe, au cour, etc.) qui en appelle constamment à une réalité autre, supra-naturelle ou supra-humaine, transcendant tout ce qui est limité, mais immanente dans toutes ses productions. Voici un extrait qui l'illustre, correspondant au chapitre 2 :

Première forme de la tête.– Un crâne étendu de tous côtés ; une rosée abondante, légère, de deux couleurs.

Deuxième forme.– Trois cavités dans lesquelles les lettres écrites sont révélées.

Troisième forme.– Noires, des quatre, suspendues sur les ouvertures incurvées, de telle sorte qu’il ne peut pas entendre ; une droite et une gauche, là, un sentier en haut, étroit.

Quatrième forme.– Un front qui ne rougit pas de colère contre le monde. Excepté lorsque la volonté le surveille. Cinquième forme.– Des yeux de trois couleurs, pour faire trembler devant eux, ils sont lavés dans un lait pur. Il est écrit (Isaie, 3 :3, 20) : “tes yeux verront Jérusalem, cité paisible”. Et il est écrit (Isaïe, 1, 2) : “la justice y demeurera la nuit”.– “Cité paisible” désigne l’Ancien, qui est caché. Il est écrit : “Enéka (ton oeil)”. Sixième forme.– Le nez pour faire connaître la face du Petit [Visage]. Trois flammes brûlent dans ses narines. Septième forme.–Un degré profond pour saisir le bien et le mal. Il est écrit (Isaie, 42, 8) : “Moi, Yhwh, c’est mon nom”. Et il est écrit (Nombr., 32, 39) : “Moi je fais mourir et je vivifie.” Et il est écrit (Isaïe, 46, 4) : “Et moi, je porterai, et moi je me chargerai de tout.” – (Psaumes, 100, 3) : “Lui, il nous a faits, et non pas nous” – (Job., 23, 13) : “Et lui en Un, et qui ledétournera ?” – “Lui”, il est appelé [ainsi]. Celui qui est caché et introuvable ; “Lui”, Celui qu’on ne peut imaginer en Haut ; “Lui”, Celui qu’on ne peut appeler d’aucun nom.

La construction émanant du Saint, béni soit-il, se présente dans ce livre telle quelle, sans maquillage ni diminution, comme une grande guerre entre les indéfinies puissances ou forces universelles, qui s'affrontent à tout instant, luttent, vainquant les unes et les autres vaincues ; elles s'harmonisent, s'ajustent, attaquent et se défendent. Une tension qui est en réalité la conjugaison de deux polarités qui s'équilibrent dans toutes les sphères, mondes ou plans par l'intermédiation de l'énergie de l'Amour, laquelle maintient l'Univers dans une forte cohésion. La Tradition juive a toujours vu la guerre comme une symbolique sacrée, et le cabaliste la reconnaît tout spécialement comme l'une des formes d'expression du convulsif déploiement du Cosmos et c'est simultanément qu'il en fait l'expérience dans son parcours initiatique, car il sait que la conquête de l'état de conscience de l'unité n'est pas la tiède et insipide traversée de mondes idylliques et sans conflit, édulcorés ou aromatisés d'illusion et d'évanescence, mais un combat engagé contre les cohortes apparemment opposées qui, grâce à de formidables travaux d'alchimie spirituelle sont équilibrées, transmuées et transcendées. Le fragment suivant, du chapitre 5 du Sifra di-Tzeniutha donne une notion de cette bataille livrée à chaque instant, dont le seul à sortir vainqueur sera celui qui parviendra à s'identifier –puis ne faire qu'un–avec l'Un :

22.- Puissants sont ceux qui existent de toute éternité. C'est-à-dire depuis le monde suprême. Les hommes du nom, qui eux-mêmes s'exercent au nom.

23.- À quel nom ? Au Nom Sacré, où ils s'exercent eux-mêmes, et non dans les [noms] sacrés inférieurs. Et plus encore, ils ne peuvent s'exercer eux-mêmes si ce n'est au nom.

24.- L'on dit ouvertement « les hommes du nom », et non pas « les hommes du Tetragrammaton ». (Ils n'utilisent donc) Pas (le nom) par respect pour le mystère de l'Arcane. Pas même sous la forme de diminutif. Sans aucune diminution non plus. Car la prononciation correcte en est voilée et occulte.

25.- Les hommes du nom sont ouvertement à part de la conception générale de l'homme.157

D'autre part, un thème fondamental déjà esquissé par Azriel et qui apparaît à plusieurs reprises dans le Zohar est celui des droite et gauche divines, qui, dans une lecture exotérique, sont assimilées au bien et au mal en permanent conflit, mais sont en réalité une autre façon d'exprimer la polarisation de la déité. Nous avons vu que cette séparation est parfois révélée comme haut et bas (hiérarchiquement supérieur), et aussi comme dextre et senestre, où la droite a de même la prééminence sur la gauche. Le Sifra déclare au chapitre 5 :

4.- L'Éden supérieur est occulte et scellé. L'Éden inférieur est né, il peut donc être transféré et manifesté.

5.- Car le Nom YHVH, Yod, He, Vau, He, comprend le nom YH, Yah, ALHIM, Elohim.

6.- ATH, Eth, ADNI, Adonaï, Seigneur, AHIH, Eheieh, la droite et la gauche, qui sont unies en un.

Et à un autre moment, au chapitre 4, il est dit :

Lorsque l’homme d’en Bas descendit selon l’image d’en Haut, il y avait (en lui) deux esprits, de deux côtés, celui de droite et celui de gauche, l’homme était composé, de droite une âme (nischmata) sainte, de gauche une âme animale (néphesch haya). L’homme pécha, le côté gauche s’étendit, et furent étendus ceux qui étaient sans corps, lorsqu’il se joignirent l’un à l’autre, ils engendrèrent, de même que d’un animal provient une multitude la par un seul accouplement.

NOTES
136
Parmi eux, remarquons les frères Yitshac et Jacob Ha-Koen de Soria (milieu du XIIIe siècle), Todros ben Yosef Aboulafia de Tolède (1220-1298), Isaac ben Latif de Tolède (1230-1270), Yehudah ben Selomoh ha-Koen ibn Matqah, de Tolède également, Moshe ben Selomon ben Sim’on de Burgos (1230-1300), Isaac ibn Abi Sahula de Guadalajara (1244 -?) et son frère, Me’ir ben Selomoh Abi Sahula, ainsi que Bahia ben Asher de Saragosse et les Andalous Abraham ben Isaac de Grenada et David ha-Levi de Séville, parmi bien d’autres. Le Diccionario de autores judíos (Sefarad. Xe-XVe siècles) et le livre de Charles Mopsik Cabale et Cabalistes (p. 52 à 65) donnent des informations biographiques sur eux ainsi que sur d’autres cabalistes de l’époque et une relation de leurs écrits les plus importants.
137
Voir Le Zohar. Genèse. Tome III. Verdier, Lagrasse, 1991.
138
La référence du livre est : Zohar. El libro del Esplendor. Dirección de Difusión Cultural. Colección de Cultura Universitaria. México, D.F., 1984. Si ce grand érudit évoque dans son introduction une série de raisons et d’intentions quelque peu superficielles par rapport au choix des extraits organisés, il est certain que sa sélection non seulement ne nous semble pas arbitraire, mais nous y découvrons un enchaînement subtil d’enseignements métaphysiques et cosmogoniques, soulignant de plus la haute fonction de la Torah et le rôle protagoniste de l’être humain et de l’âme dans le parcours initiatique.
139
Néanmoins, dans un fragment d’une autre œuvre de Moïse de Léon (Mishkan ha-édout) qu’il a écrite en 1293, le cabaliste exprime clairement ses intentions : « Une génération meurt et une autre génération lui succède, mais les erreurs et la fausseté perdurent. Et personne ne voit ni n’entend, personne ne s’éveille, car ils sont tous endormis ; un sommeil profond envoyé par Dieu est tombé sur eux, et les empêche de questionner, de lire et de chercher. Et lorsque je vis tout ceci je me sentis obligé d’écrire sur ces mystères, de les occulter et de méditer dessus afin de les révéler à tous les hommes qui pensent et pour transmettre toutes ces choses auxquelles les sages du passé ont consacré leur vie. Car ces choses sont dispersées dans le Talmud, dans les paroles des (autres) sages et dans leurs formules secrètes, précieuses et mieux cachées que les perles. Et eux (les sages) ont fermé la porte à clef sur les mots et ont caché tous leurs livres mystiques car ils ont vu que le temps n’était pas venu de les révéler ni de les publier. Comme le dit le roi sage : ‘Ne parle pas à l’oreille du sot’. Même ainsi, je suis parvenu à reconnaître qu’il serait méritoire de mettre en lumière ce qui était dans l’ombre et de révéler les secrets qu’ils ont occultés ». (cité par Scholem dans Les Grandes Tendances de la Mystique Juive, édition Las grandes tendencias de la mística judía. Fondo de Cultura Económica, México, 1996).
140
« Ses descriptions des montagnes de Palestine, par exemple, sont très romantiques et concordent beaucoup plus avec la réalité de Castille qu’avec celle de Galilée » (Scholem. Las grandes tendencias de la mística judía. Eds. Siruela, Madrid, 1996).
141
Le canon hébreu compte 24 livres partagés en trois groupes : Pentateuque, Prophètes, Hagiographes.
142
Il est intéressant de souligner que ce corpus a reçu d’autres dénominations, comme il est expliqué dans l’Encyclopaedia Judaica : « Dans certaines parties du livre l’on mentionne le nom ‘Zohar’ comme titre de l’œuvre. Il est également cité par les cabalistes espagnols sous d’autres noms, comme celui de Mekhilta de R. Simeon b. Yohaï (imitant le titre d’un des Midrashim halachiques) dans le Sefer ha-Gevul de David b. Judah he-Hasid ; celui de Midrash de R. Simeon b. Yohaï, dans plusieurs livres datant de la période des élèves de Salomon b. Abraham Adret (le Livnat ha-Sappir de Joseph Angelino, les homélies de Joshua ibn Shu’ayb et les ouvrages de Meir ibn Gabbaï) ; comme Midrash ha-Zohar, selon Isaac b. Joseph ibn Munir (voir He-Halutz, 4 (1859), 85) ; ou bien Midrash Yehi Or dans le Menorat ha-Ma’or d’Israël al-Nakawa, semble-t-il parce qu’il possédait un manuscrit du Zohar qui commençait par un commentaire sur le verset ‘Que la Lumière soit’ (Gen. 1, 3). Différentes affirmations issues du Zohar furent citées durant la première génération suivant sa parution, sous le titre générique de Yerushalmi, dans les écrits de, par exemple, Isaac b. Sahula, Moïse de Léon et David b. Judah he-Hasid, et dans la responsa (fictive) de Rav Hai dans la collection Sha’arei Teshuvah ». Entrée : « Zohar », introduction. Gershom Scholem. Encyclopaedia Judaica. Édition CD-ROM. Keter Publishing House Ltd., Jérusalem, 1997.
143
Le Zohar, Verdier, éditions de 1981,1984, et deux volumes de 1991. Il s’agit de quatre tomes offrant la traduction de toutes les sections qui commentent le premier livre du Pentateuque, c’est-à-dire celui de la Genèse. Ces quatre volumes contiennent : Préliminaires, Beréchit, Noah, Lech Lecha, Vayera, Hayé Sarah, Toldot, Vayetsé, Vayichlah, Vayéchev, Miqets, Vayigach et Vayehi, ainsi que l’incorporation de quelques-uns des autres textes apocryphes mentionnés, comme le Tiquné ha-Zohar et le Traité des Palais. En outre, Verdier a publié également, en volumes à part, quelques-uns des autres livres bibliques ajoutés au corpus du Pentateuque, à savoir : Le Zohar : Livre de Ruth ; Le Zohar : Cantique des Cantiques et Le Zohar : Lamentations.
144
El Zohar, Editorial Sigal, Buenos Aires, 1976. Cette soigneuse version castillane du Zohar contient en cinq volumes toutes les sections des cinq livres du Pentateuque, mais n’y incorpore ni les autres livres bibliques mentionnés dans la note précédente, ni les textes joints du Tiquné et du Traité des Palais. De plus, selon les chercheurs contemporains, il faut tenir compte du fait que font partie de l’ensemble des textes ajoutés au corps du Zohar l’Idra Rabba et l’Idra Zutta ainsi que le remarquable écrit intitulé Sifra di Tzeniuta (avec une version en français de P. Vulliaud et une version anglaise de MacGregor Mathers). Il faut également inclure dans le Corpus Zoharique le Parashat Pinjas, dont la référence dans la version castillane de Manuel Núñez Nava est : Sefer ha-Zohar, Parashát Pínjas, tomes I, II, III. Centro de Investigación de la Cábala. Jerusalem-New York, 1986.
145
Écrivain argentin, spécialiste et divulgateur de la culture hébraïque.
146
Un court fragment extrait du Zohar, livre de la Genèse, section Noah, de la traduction de Verdier reflète ainsi ce qu’exprime Dujovne : « Tout ce qui est effectif dans l’En-bas éveille aussi l’amour dans l’En-haut. Soit deux flammes: quand la lumière de celle qui est en haut s’éteint, la fumée qui s’élève de la flamme qui est en bas rallume. Rabbi Ezéchias dit: C’est bien vrai, le monde de l’En-haut dépend de celui de l’En-bas, le monde de l’En-bas de celui de l’En-haut ». (Tome I)
147
Un passage du Zohar dit : « Malheureux les pécheurs qui regardent la Torah comme de simples contes sur les choses du monde, et n’en voient ainsi que les vêtures externes. Mais les justes, dont le regard pénètre jusqu’à la Torah même, bienheureux soient-ils. Et tel le vin qui doit se conserver dans une outre, ainsi la Torah doit être contenue dans une vêture extérieure. La vêture est faite des contes et histoires ; mais nous, nous devons pénétrer au-delà ». (Scholem. Zohar. Le Livre de la Splendeur…)
148
Cette Utopie ou sphère invisible mais réelle, symbole de la conscience de l’Être Universel, a été connue un peu partout sous différents noms, comme le Collège invisible, l’Église Secrète, l’Olympe invisible ou, on ne peut mieux dire, la République des Lettres, etc. et y « habiter » a été l’aspiration de toute âme sollicitée par l’appel de l’Origine.
149
Dans un autre livre de sa main, Moïse de Léon exprime de cette façon la détermination du Principe : « De là émergea le Point mystérieux, tête de tous les degrés et de tous les autres Miroirs, commencement de toute l’existence. Car la Couronne suprême, que son nom soit béni, n’est pas un commencement . Nous avons déjà indiqué au début qu’il existe dix paroles. Et nos maîtres, que leur mémoire soit une bénédiction, ont dit : “Or il y en a neuf !”, à savoir: la Couronne suprême, mystérieuse et cachée, ne fait pas partie du compte et n’entre pas dans leur ensemble. Ils sont revenus à la charge et ont déclaré: «  “Au commencement” (beréchit) est aussi une parole », autrement dit: on l’appelle “parole”. Et si tu as des yeux pour voir tu pourras fouiller et creuser ce sujet, et faire un mouvement de l’intellect aussi rapide <qu’un lézard> en direction du secret de l’ardeur de ce degré et [chercher] quel est le sujet auquel [nos maîtres] ont fait allusion. » (Moisés de León. Le Sicle du Sanctuaire. Chéquel ha Qodech. Verdier, Lagrasse, 1996).
150
« L’intelligence (bina) est une chose qui survient par une contemplation détachée de toute occupation autre », et plus loin (fol. 364b- 365a): « La pensée n’est vraiment digne de ce nom que si l’esprit est limpide et pur, débarrassé (barour) de tout déchet (pessolet) et de toute préoccupation corporelle, [...] car par la mise à l’écart de tous les déchets [de l’esprit] et par son nettoyage et sa purification, la pensée n’est associée à rien de corporel et demeure pure et subtile, d’une limpidité d’éveil, elle est digne alors du nom de pensée [...]. Lorsque l’homme commence à s’occuper de questions touchant l’intelligence, et qu’il recherche et réfléchit à son objet, ce qui émerge de la mise à l’écart de tout ce déchet est la sagesse [...]; la sagesse débarrassée (ha-mitbarer) des déchets (pessolot) c’est la sagesse par laquelle l’homme s’élève. » (Verdier, tome III correspondant au livre de Moïse de Léon : Traité sans Titre).
151
Moïse de Léon dit à propos de la relation entre l’Intelligence et la Rigueur : « Puissance (Guevourah). Elle est appelée du nom de Puissance et de force de l’énergie du jugement et de son ardeur. Tel un héros prêt à partir en guerre, ainsi est ce lieu, qui est le lieu du jugement, de son énergie, et de son ardeur à brandir l’instrument de Sa colère. Et c’est la dimension de la Gauche appelée Gauche du Lieu, béni soit-il. Et comprends que bien qu’elle soit jugement et lieu de jugement, elle éveille sans cesse l’amour envers la Femelle, comme il est dit: “Sa gauche est sous ma tête” (Cant. 2:6). » (Moïse de Léon, Le Sicle du Sanctuaire, ouvrage cité).
152
Nous ne pouvons pas ne pas voir la correspondance entre ce symbolisme constructif qui attribue les nombres de 3, 4 et 7 aux colonnes qui soutiennent le cosmos et le symbole de la pierre cubique en pointe de la Maçonnerie, ainsi que l’analogue alchimique de la pierre philosophale qui invoque les trois principes : soufre, mercure et sel et les quatre éléments : feu, air, eau, terre ; rien que des symboliques qui révèlent l’ordre cosmogonique et le processus inverse de réalisation spirituelle de l’initié.
153
Cette notion est connue en hébreu sous le nom d’Arik Anpin, identique au terme grec Macroprosope, et signifie « Grand Visage » ; elle est en correspondance avec le monde d’Atsiluth, la Création incréée ou l’Ontologie.
154
Zeir Anpin ou Microprosope, c’est-à-dire « Petit Visage », qui englobe les mondes de Beriyah, Yetsirah et Asiyah qui, comme nous le savons, correspondent respectivement aux mondes de la Création, des Formations subtiles et de la Concrétion matérielle.
155
El Zohar (Sélection). Traduction de Carles Giol. Ed. Obelisco, Barcelone, 1996.
156
Nous utiliserons la traduction de Paul Vulliaud, auteur d’un livre en deux tomes intitulé La Kabbale Juive, conjointement avec celle de MacGregor Mathers, The Kabbalah Unveiled. Weiser, N.Y., 1993.
157
Version de MacGregor Mathers. The Kabbalah Unveiled. Samuel Weiser, Inc., York Beach, Maine, 1993.