René Guénon, circa 1920
René Guénon, circa 1920
 
SYMBOLOS Nº 23-24 (2002)
 "RENÉ GUÉNON II" 
Éditorial

Il y a sept ans, lorsque nous avons publié le premier volume de ce numéro monographique consacré à notre guide intellectuel, René Guénon, voici ce que nous disions, ce qui est aussi en soi une excuse pour débuter cette note par un écrit antérieur, puisque nous voulons dire à présent exactement la même chose que ce qu'exprimait notre Editorial d'alors:

« Les kabbalistes ont dit (parmi leurs nombreuses manières de travailler) qu'un écrit peut être lu non seulement d'après l'organisation normale des lettres, mais aussi dans les espaces laissés entre les mots, qui constitueraient également un code; c'est un peu la même chose pour l'œuvre de René Guénon ainsi que ses paradoxes, car même si le message central est clair et simple, ses dérivés sont multiples suivant la position polaire où se place l'auteur, ainsi que ses propres contradictions ou apparentes contradictions, qui elles aussi forment un discours que chaque lecteur interprétera selon ses limites, son point de vue et à sa manière, comme une voie d'accès à ce qui était la raison de vivre de l'ésotériste français: c'est-à-dire la Connaissance, aussi bien cosmogonique qu'ontologique ou métaphysique; ces ‘portes’ sont également mentionnées dans la Kabbale et constituent des points de conjonction où l'on peut se relier à d'autres espaces de la conscience individuelle ainsi qu'à l'Universel, dans la mesure où ces opérations puissent être définies comme des rites, c'est-à-dire comme des invocations fondamentalement adressées, dans ce cas, au dieu Hermès, fils, messager, et époux de la déesse Sophia.

« La raison en est que notre point de vue est celui de la Tradition Hermétique, et par conséquent celui de la Cosmogonie, l'Alchimie et le symbolisme constructif auquel sont consacrés les travaux de la Franc-Maçonnerie.

« Guénon écrit pour l'Occident, pour un public d’Occidentaux, c'est-à-dire pour son milieu natal et rendre ainsi possible la réalisation (intellectuelle-spirituelle) de ce milieu; l'on pourrait sinon se demander pour qui écrit-il. Il écrit en recourant aux doctrines et aux symboles d'autres traditions afin de démontrer l'Unanimité Traditionnelle; il donne d'ailleurs constamment des indications et des règles pour que les hommes de ce siècle, en particulier les Européens et les Américains, puissent commencer à reconstruire leur culture propre, reflet et projection de plusieurs courants de pensée, Gnosticisme, Christianisme, Kabbale, Tradition Hermétique et autres dérivés de la Tradition Polaire, donc Unanime puisque de là toutes les formes acquièrent un Unique sens. L'on a reproché à Guénon de ne pas s'occuper plus amplement de la pensée classique (grecque et romaine), voire du néoplatonisme ainsi que d'autres éléments de la culture indo-européenne. Les allusions à ces doctrines sont cependant nombreuses dans son œuvre, qui n'est en aucune façon encyclopédique ou systématique, mais offre au contraire subtilement les éléments et les règles qui permettent d'affirmer la Culture Occidentale et les courants qui la constituent en tant que véhicules de la Connaissance et voies de réalisation spirituelle, laissant aux soins du lecteur –ou de l'apprenti– la tâche de reconstruire et d'expérimenter, comme s'il s'agissait d'un puzzle, sans laisser de vide, la Philosophie Pérenne, ce qui équivaut à la rendre effective, c'est-à-dire à la sortie du labyrinthe et l'accès au centre, image de l'Axe.

« En raison des circonstances propres de temps et d'espace durant lesquelles notre groupe connut la pensée de Guénon, et des caractéristiques de notre formation, notre lecture de son œuvre est en général différente de celle de nombreux soi-disant ‘guénoniens’, en particulier de ceux qui se prétendent catholiques, comme des adhérents à n'importe quelle religion. Pour ce motif, nous devons souligner certains traits et circonstances, sans doute mineurs, qui ont marqué notre façon d'envisager la Voie Symbolique comme une manière de nous rapprocher de la Connaissance. Et ce n'est pas seulement parce que la plupart de nos collaborateurs, ayant absorbé presque intégralement la Symbolique de la Tradition Hermétique –que la lecture de Guénon illumina totalement, nous attrapant dans la magie de son discours– connaissent aussi bien les tendances néfastes de ‘l'occultisme’ (en définitive un matérialisation du spirituel) que la différence entre Métaphysique et Religion, une confusion –ou imposture– qu'ils ont également vécue pour s'être livrés dans leur jeunesse à l'orthodoxie catholique, au sein de laquelle ils ont été éduqués.

« Voilà plus de quinze ans qu'un groupe d'amis travaille sur l'œuvre et les idées de Guénon, bien que certains de ses membres connaissent sa pensée depuis plus longtemps. Ce groupe ne s'est cependant pas formé autour de Guénon sinon, comme nous l'avons dit, autour de la Tradition Hermétique et de la Symbolique, et ce n'est qu'à l'apparition de SYMBOLOS, c'est-à-dire en voulant étendre leur travail intérieur à un groupe plus ample, que Guénon fut reconnu comme leur guide intellectuel, car son œuvre tout entière est un continuel chant à l'Unité, à la Transcendance; une constante invocation depuis l'Immanence.

« Il existe plusieurs raisons à cela: la première est que cela correspondait à la nature des choses vu l'importance, et surtout l'influence, de sa pensée sur eux, bien qu'il faille préciser que ce n'est pas seulement l'œuvre du grand métaphysicien français qui a influencé ou appuyé leur processus de Connaissance, sinon que celui-ci a été soutenu par un grand nombre d'auteurs, de méthodes et de pratiques propres à l'ésotérisme en général, y compris des grandes traditions religieuses ou chamaniques, étudiées bien au-delà d'une simple lecture littérale ou érudite. Ce qui a également permis de situer et d'évaluer à sa juste valeur la place de l'immense synthèse guénonienne au sein du panorama de la Cosmogonie, Sophia, ou Gnose pérenne, dont Guénon a été en occident l'émissaire le plus complet et le plus révélateur au cours de ce siècle. En second lieu, il faut aussi souligner que cette décision a été adoptée afin d'offrir à nos lecteurs un point de vue toujours plus ample et stable dans le cadre didactique de notre revue, et en même temps diffuser l'œuvre d'un métaphysicien de cette envergure. Il y a eu d'autre part le besoin de remettre les choses en place et de mettre en avant un auteur qui a eu des adeptes de deuxième, voire troisième catégorie, qui sont malheureusement parvenus à dénaturer sa pensée au point de la trahir; et cela sans considérer ses ennemis qui peuvent se compter dans n'importe quelle conjoncture du monde moderne, bien que par ailleurs nous ne niions pas toute critique valable qui puisse être faite à son œuvre ou à sa pensée, pour des motifs nombreux et variés.

« D'un autre côté, le besoin a été ressenti d'établir une connexion entre notre petite publication et d'autres développant des thèmes et des concepts analogues. Tout comme sur le chemin qu'implique la Connaissance chacun doit effectuer son travail par lui-même, et nul ne peut le faire pour un autre, ainsi chacun le fait avec ses propres images, qui correspondent à celles de son conditionnement familial, social, économique et aux siennes propres, au caractère de chaque personnalité ou individualité, qui marquent la trajectoire de chaque cheminement. Cependant cette fragmentation en des points de vue distincts entraîne d'innombrables frictions, voire des conflits véritablement explosifs entre divers groupes, ainsi qu'entre plusieurs personnes ou individus. De fait, si l'on étudie la pensée ésotérique, ou plutôt la Science Sacrée, aux lumières de l'Histoire, l'on pourra observer que son message, exprimé dans ses symboles, rituels, mythes et doctrine, et manifesté par la révélation, s'est toujours transmis de cette manière, les différents peuples ou communautés ayant constamment lutté les uns contre les autres pour les formes prises par leur Tradition. C'est là rien de moins que l'une des origines de toutes les guerres, en particulier des guerres religieuses, tribales ou groupales. Et le plus curieux est que le fond, ou l'essence, est la même, ce que nous appelons aujourd'hui la Cosmogonie, l'Ontologie et la Métaphysique, c'est-à-dire l'Origine de leur Culture révélée de façon identique, de modes se référant tous à l'Etre Universel voire même, au plus haut degré, au Non-Être et à la Non-Dualité.

« Cela est dû à ce que l'histoire répète à sa mesure la grande bataille cosmique, perpétuellement actuelle, qui marque l'Univers, c'est-à-dire la lutte permanente entre les opposés qui, curieusement, se complètent pour produire le miracle de l'Équilibre Universel.

« D'après ce qui est dit plus haut, il est plus facile de comprendre les antagonismes qui se produisirent du vivant de Guénon –et qu'il provoqua lui-même pour une grande part– et ceux qui suivirent après sa mort, et beaucoup d'entre nous sommes aussi stupéfiés par les tentatives de transformer ce guerrier plutôt révolutionnaire en une entité d'orthodoxie officielle comme par son utilisation par des groupes néo-occultistes, qu'il a combattu toute sa vie; plus précisément dans les sphères de langue castillane, en Espagne et en Argentine.

« En effet, les luttes entre divers groupes ésotériques ou même celles de quelques individualités ou différences de religion, ou de critères, n'est autre, comme nous l'avons déjà souligné, que la dynamique des déséquilibres cosmiques, la bataille astrale, qui peut donc obtenir la conjonction des contraires et ainsi recréer l'Univers et ses lois en les conservant perpétuellement actuelles, c'est-à-dire présentes dans la possibilité d'être revivifiées par le biais du sacrifice et par l'intermédiation lucide du symbole, expression de l'analogie et de ses correspondances.

« Nous avons précisé à plusieurs occasions ce que nous pensions de ‘l'infaillibilité’ de Guénon et de ‘l'infaillibilité’ en général, la considérant comme une forme de la littéralité, et même impossible dans le discours (faillible-infaillible), un circuit fermé qui ne dépasse pas la dualité.

« Nous croyons que c'est ce qui a conduit certains à se convertir en êtres de stricte obédience guénonienne, bien plus ‘orthodoxes’ que Guénon lui-même –bien que ce soit lui qui ait introduit le terme dans son œuvre–, atteignant une sorte de ‘guénolâtrie’ inquisitoriale, aussi vide que stérile.

« Soulignons enfin le langage de Guénon, c'est-à-dire son articulation et sa rénovation du discours linéaire au moyen de la restitution de leur origine étymologique à de nombreux termes, de la sélection de mots dénotant des concepts affaiblis par l'usage et qui se recréent, s'illuminent, ainsi que le style poétique de tout ce travail, particulièrement manifeste dans l'utilisation de la mathématique et de la géométrie, y compris dans la précision du langage quotidien et du bon sens.

« Il y a un Guénon secret, toujours actuel, qui dit des choses inattendues et susceptibles de lectures diverses se référant à la Tradition Unanime et beaucoup de ses ramifications, en particulier des messages à l'Occident, et qui n'ont pas été suffisamment explorés, tâche qui revient à une nouvelle génération ésotérique dont l'intérêt est de connaître les Origines de la Science Sacrée. »


Et dans le numéro 11-12 de l'année 1996, nous continuions notre discours en précisant:

« La Tradition Hermétique, c'est-à-dire l'ésotérisme occidental, est demeurée vivante depuis ses origines égyptiennes et grecques, et forme part de la colonne vertébrale de notre culture.

« La longue liste d'initiés, depuis les textes en témoignant dans les hiéroglyphes égyptiens et les écrits grecs, y compris Orphée, Pythagore et Platon, sont les maîtres de cette Tradition directement rattachée à la divinité Thot-Hermès et à sa projection philosophique en Alexandrie au IIIe siècle, et hermético-alchimiste au Moyen Âge et à la Renaissance, et perdurant jusqu'à nos jours. La Tradition Hermétique est, avec les autres valeurs culturelles qui constituent la pensée occidentale y compris les religions coexistant avec elle, la voie initiatique par excellence de tous ceux qui sont nés et vivent en Occident et possèdent les structures de son empreinte culturelle. La Tradition Hermétique, dont la caractéristique est la versatilité en regard de la rigueur et du légalisme d'autres traditions dogmatiques, est la possibilité d'incarner les Petits Mystères, soit la réintégration de l'Homme Véritable et de ses possibilités supra humaines, tel qu'il fut à l'origine, dans un Paradis antérieur à la chute.

« Nous livrons ce volume au lecteur, conscients du don que signifie pouvoir offrir en quelque sorte une image de ce trésor légué par nos ancêtres, qui pourrait être incarné, ou vécu dans quelque mesure que ce soit, par ceux qui y seraient appelés.

« Nous dédicaçons cette publication aux ‘solitaires’, à ces personnes qui, pour différentes raisons, ont reçu le Message et ont pu percevoir la Voix du Noûs en eux-mêmes et par eux-mêmes, c'est-à-dire aux Adeptes de la Tradition Hermétique. C'est ainsi, en effet, que se propage cette Tradition et il faut souligner l'importance du livre véhiculé –l'écriture et l'iconographie– en tant que facteur déterminant de transmission.

« Il est évident que le processus alchimique ne se produit que dans l'intimité de la conscience, où le sujet de la transmutation voit sa matière altérée et adopte la séquence chromatique correspondant aux images qu'il possède et aux symboliques par lesquelles il transite. La doctrine est bien entendu son guide et nombreux sont les chemins –les méthodes– à suivre, les arts libéraux témoignent de la majeure partie d'entre eux.

« Néanmoins, l'on a actuellement de l'Initiation des idées aussi fausses que variées. Certains imaginent un peu puérilement une suite de cérémonies magiques qui octroieraient de la même façon une personnalité superlative, d'autres l'assimilent à un certificat ou un diplôme qui régulariserait leur situation face à leur milieu et les justifieraient à leurs propres yeux, la plupart ont pressenti le pouvoir et c'est là tout ce qui les intéresse, enfin quelques-uns veulent suivre un chemin sûr où ils puissent opter officiellement pour la voie bureaucratique du dieu religieux qu'ils espèrent trouver après la mort; en définitive, tous la conçoivent comme extérieure à eux-mêmes, comme s'il s'agissait de modifications obtenues par des objectifs en réaction à divers stimuli, et de fait l'on ne pense jamais que tout ceci est interne et que l'être humain est le sujet de l'accession qui débouche sur la Connaissance et lui octroie l'authentique Etre.

« Cette possibilité est ouverte en permanence aux Adeptes de la Tradition Hermétique qui travaillent à leur régénération par rapport aux coordonnées spatio-temporelles, c'est-à-dire avec l'incarnation psychique et intellectuelle des symboles de la cosmogonie, des Idées qui constituent l'Archétype ou le Modèle Universel, ce qui revient à une véritable spiritualité.

« Ces apprentis ‘solitaires’ et leurs initiations se trouvent généralement en marge des religions ou des organisations traditionnelles lorsqu'elles ont cessé d'exister, ou que pour différentes raisons elles ne peuvent assouvir les besoins intellectuels-spirituels de qui y a recours. C'est là le cas présent, où des organisations pseudo spiritualistes ont pris la place des authentiques Traditions et où ces mêmes Traditions et les Religions se trouvent être corrompues et en voie de désintégration accélérée à cause de facteurs liés à une fin de cycle. »


Et en 1997, dans notre numéro 13-14, nous déclarions ce que nous voulons également répéter à présent:

« Nous consacrons ce double numéro de SYMBOLOS à l'étude de la Franc-Maçonnerie, société initiatique occidentale, et par conséquent au symbolisme constructif en tant qu'image de l'architecture de l'Univers ainsi qu'à l'homme en tant que sa réplique en miniature. La Science Sacrée est fondée sur la Connaissance de la Cosmogonie qui fait de tout maître maçon un mage, au sens de son intégration avec les normes, les nombres et les mesures, employés en accord avec les cycles et les rythmes propres aux lois naturelles qui constituent le modèle, ou archétype, du monde. C'est-à-dire le théurge en tant qu'homme de Connaissance, et surtout en tant que créateur et exécutant d'un projet surgi du néant, analogue au cosmos, mais produit de la concentration et du travail d'un petit démiurge humain.

« C'est en ce sens que la Maçonnerie est Universelle et ses ateliers sont autant de temples de l'Église Secrète. Là s'exprime la Volonté Pérenne du Constructeur, appelé Grand Architecte de l'Univers, au moyen du Symbole et du Rite, et l'on y apprend à connaître l'Œuvre du Créateur, et par-dessus tout la Pensée qui l'a organisée.

« Donc être franc-maçon n'est pas simplement l'appartenance à une institution quelconque pour ésotérique qu'elle soit, sinon la prise en charge, l'incarnation de son corps doctrinaire manifesté dans la totalité des mondes physique, animique et spirituel. Il faut pour cela un travail qui agisse de manière opérante sur les postulants et les conduise à appréhender non seulement la majesté des concepts abordés, mais aussi la féroce dignité de ce labeur d'accession à la Connaissance, principe et moteur de tout travail, y compris matériel et profane; cette dignification du travail va de pair avec toute notion d'Ordre propre à la Construction, et se trouve présente dans la Maçonnerie (un Ordre) depuis l'époque des corporations médiévales jusqu'à nos jours.

« En réalité, la tâche du maçon est de polir la pierre brute et l'amener à la perfection. En cela son travail ne diffère pas de celui de l'alchimiste –ou hermétiste– qui mène à bien la transmutation, c'est-à-dire qu'il complète un cycle concret et réel dans un monde perpétuellement inachevé, quasi illusoire. Il est important de préciser que ce polissage de la pierre, commandé par le Grand Architecte de l'Univers aux frères maçons, ne s'éteindra qu'à la fin des temps, c'est-à-dire le moment où le temps, vivant, toujours présent, absorbera la totalité de l'espace.

« En cette fin de cycle, la Maçonnerie se présente comme le dépositaire d'une doctrine vivante et traditionnelle qui offre même la possibilité d'une réalisation intellectuelle (spirituelle), c'est-à-dire de l'Initiation à la Connaissance.

« De là cette renaissance de l'Ordre à laquelle nous assistons, surtout si l'on tient compte que la Franc-Maçonnerie (noachite) a reçu son héritage doctrinal et expérimental d'un cycle antérieur à celui du déluge biblique, selon la Tradition. »


Ce qui était de nouveau affirmé dans le numéro 15-16:

« Aujourd'hui, l'apparition de signaux dont le phénomène de El Niño est un si bon exemple (inondations, désertisation et incendies), ajouté aux tremblements de terre, pestes, maladies, guerres, famines et diverses manifestations jusqu'alors inconnues, et à des conflits sociaux ou familiaux, et toute sorte d'anomalies au sein de la vie culturelle des peuples, nous est devenue habituelle et l'on peut en voir partout: il suffit de prendre un journal quelconque ou d'allumer la télévision. Ces catastrophes naturelles et leurs séquelles économiques et politiques ne sont cependant rien comparées à la perversion de l'homme actuel qui a tué tout symbole et tout espace sacré au point d'en être devenu un robot vide de sens survivant dans un monde sans signification. Les crimes écologiques, le réchauffement global, la folie cybernétique et le clonage en font foi. Surtout cette dernière aberration, si terrifiante qu'elle en fait trembler, représente la plus horrible grimace de l'humour noir, puisqu'elle met en jeu des gens qui croient descendre du singe, se clonant eux-mêmes, indéfiniment.

« Mais il ne s'agit pas de donner une vision ‘pessimiste’ de ce grand événement, et encore moins catastrophiste, –bien que néanmoins pas assez hypocrite pour dissimuler des faits que la science des rythmes et des cycles annonce par ailleurs depuis des siècles–, pour en donner une version ‘optimiste’, c'est-à-dire de se cacher la tête comme l'autruche alors que dans le même temps que cet événement, analogue à la mort d'un être vivant, concrètement l'être humain, une porte s'ouvre sur d'autres états de l'Être, et supprime sa douleur, son angoisse, sa maladie, sa pauvreté et toutes les autres misères inhérentes à l'état de l'humanité actuelle, en cette fin de cycle que nous vivons.

« Les guerres religieuses, les querelles entres différentes entités ésotériques, et pas seulement entre institutions occultistes sinon entre divers groupes également traditionnels, sont aussi des symboles de la dissolution totale, aussi importants que celui de l'accélération et la solidification générale, bien qu'ils constituent en même temps la possibilité de résurrection, d'une nouvelle naissance dans un Âge d'Or, où les hommes d'aujourd'hui puissent vivre leur régénération spirituelle et psychique et forment les fondations de cet extraordinaire Éon qui approche.

« De toutes ces circonstances ainsi que de la possibilité d'une issue salvatrice naît le mythe universel de l'Arche de Noé, où l'on peut conserver les espèces pour une terre régénérée après le déluge, ce qui s'effectue, de notre point de vue, par le biais des moyens offerts par la Tradition Hermétique et la Voie Symbolique, en particulier le Symbolisme Constructif.

« La cyclologie a la vertu de nous faire comprendre que ce que nous vivons et la fin de cycle qui nous attend n'arrive pas pour la première fois mais est arrivé d'autres fois avec une intensité différente et qu'il ne s'agit pas d'une terreur apocalyptique accompagnée d'horreurs physiques comme on le peint généralement, mais des ultimes râles agitant un malade, ainsi qu'il arrive parfois aux derniers instants d'un être humain –dont le décès est pour lui la fin de son monde, c'est-à-dire la fin d'un monde, et également l'opportunité de la vraie vie.

« De là que l'étude de la cyclologie et la méditation postérieure, ainsi que la réflexion sur les authentiques prophéties de tous les peuples sont aussi une base et une méthode pour sortir de la prison de l'esprit et connaître d'autres états de l'Être Universel, tel que le symbolisent l'échelle de Jacob et, nous l'avons dit, l'Arche de Noé, qui n'est autre que le véhicule par lequel nous pouvons nous transporter d'un monde à l'autre, sans aucune concession au littéral. Cette étude nous conduit à méditer sur la Grandeur et la Majesté de qui a créé et conçu le Cosmos et les Éons, et par ce biais à communier, à ne faire qu'un avec Lui: si l'on ne fait qu'un avec le concert cosmique, l'on ne fait qu'un avec Celui qui l'a créé, et Lui ne fait qu'un avec soi. Le temps devient simultané et la réalité de tout cela surpasse toute conception profane. Pour cela les théories scientifiques modernes ne sont qu'un jeu d'enfant comparées à la conception traditionnelle de la Cosmogonie, où dans la dimension d'un dieu un siècle est une seconde.

« Mais en réalité ce sont les extrémistes religieux, les faux prophètes et la corruption et la dénaturation des signes qui caractérisent non seulement le monde profane, mais aussi l'espace ésotérique, ces mafias refusant toute possibilité d'une véritable initiation et représentant la structure des signaux les plus graves et les plus caractéristiques de cette fin de cycle.

« L'accélération quasiment totale nous fait penser à un moment terminal que nous sommes déjà en train de vivre et le paradoxe est que l'homme, reniant ce qu'il a, pleure et se lamente sur ce qu'il n'a jamais eu et que donc il ne peut perdre.

« Au sein de l'horreur généralisée, il ne reste alors que la possibilité de la réalisation particulière, qui recherche dans une loge ou un petit groupe l'appui et la doctrine pour étayer l'appel de la Connaissance, loin des escroqueries et des manœuvres politiques et immorales auxquelles nous ont habitués certains mouvements qui, travestis sous divers aspects innocents tentent de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, la religion et le fondamentalisme pour la Métaphysique et la Science Sacrée; cela devient tout particulièrement flagrant chez ceux qui, tout en se prétendant traditionnels, ne font qu'essayer d'apporter à leur moulin toute l'eau du mécontentement que suscite le monde moderne, et ce à des fins équivoques.

« Il reste toujours la possibilité, que les mêmes conditions cycliques d'aujourd'hui ne rendent pas improbable, de la grâce de l'autoréalisation, puisque Dieu est au Centre de tout être humain sans qu'il soit besoin d'une religion (bien qu'il se révèle souvent par son intermédiaire), sans l'obligation du dogme, des cérémonies, de la bureaucratie administrative et de la ‘légalité’.

« L'on peut en tout cas affirmer sans crainte de se tromper que notre situation et, en général, l'objectif de notre vie change si nous acceptons comme définitif le fait que nous en soyons à une étape avancée du Kali Yuga, que par conséquent la chute est d'ores et déjà inévitable et que toute action de type social devient inutile par le simple fait que nous ne pouvons rien faire de plus que d'opérer sur l'individu ou dans un petit –très petit– groupe. Accepter ce fait –qui nous a été enseigné– est bien entendu très douloureux, en ceci que cette humanité se condamne elle-même et qu'il n'en restera rien. C'est cependant un soulagement de reconnaître que cela forme part du plan divin, et que nous n'en sommes aucunement responsables.

« Et à présent que la ‘post-modernité’ a donné lieu à la ‘pré-apocalypse’, il semble adéquat de citer la phrase bien connue de René Guénon, qui termine son livre Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps: "si l'on veut aller jusqu'à la réalité de l'ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la ‘fin d'un monde’ n'est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d'une illusion." »


L'année suivante, notre lettre disait:

« En fait, nous souhaitons réitérer les termes de l'éditorial de notre volume précédent publié sur le même sujet, auquel nous renvoyons ceux qui s'y intéressent.

« Mais il est intéressant d'observer que l'un des ‘mythes’ modernes les plus importants diffusé par le cinéma, la télévision et même par l'Internet dans le monde entier est celui de l'enfoncement du Titanic, car il est clair qu'il représente le naufrage du navire, l'engloutissement du bateau du monde moderne avalé par les eaux de la confusion et du chaos. Et, entre désespoir et violence, d'innombrables rats apparaissent et se propagent, parmi lesquels les plus agressifs et corrompus, les rats de Fin de Cycle, sont ceux qui conservent encore certains vestiges traditionnels, quelques noms et rites dégradés, certains symboles renversés, excréments qui représentent leur ration spirituelle, leur ‘religion’, et qu'ils confondent avec le sacré. Un autre ‘mythe’ analogue, également propagé par les média et qui constitue pratiquement une réalité pour de nombreux enfants et de gens mentalement peu dotés, est celui des dinosaures, dont la disparition à un certain moment est considérée comme inhérente à une époque cyclique déterminée, au cours de laquelle une catastrophe naturelle provoqua leur extinction. Il faut ajouter à cette dernière perception celle des objets volants non identifiés qui pourraient déclencher des calamités sur la Terre. En ce qui concerne des formes bien concrètes du chaos –à chaque coin de rue–, quant à la dissolution de structures socio-économiques, le Secrétaire des Nations Unies lui-même avait prévenu le public en général contre l'impact de ‘l'effet 2000’ (Y2K) sur les ordinateurs. Il est également curieux qu'une autre expression en vogue de nos jours, le recyclage de papiers, verres, boîtes de conserve et bien d'autres éléments de consommation quotidienne, soit aussi largement diffusée, puisque cette notion est en rapport direct avec un plus ample recyclage dont le macrocosme est le protagoniste, à la fin de ce cycle éminent.

« Pour en terminer avec ces signaux qui apparaissent de toutes parts autour de nous –comme le passage de comètes inévitables et ponctuelles–, nous voulons clore cette lettre avec une citation de René Guénon qui fera sans aucun doute réfléchir nos lecteurs:

« Nous ne sommes certes pas de ceux qui sont disposés à nier ‘l'intervention du démon dans les choses de ce monde’, bien au contraire; mais qu'on la cherche là où elle est réellement; il est vrai que ce serait un peu plus difficile et plus dangereux que de suivre tout simplement les fausses pistes sur lesquelles le dit démon ou certains de ses représentantont estimé avantageux de lancer les ‘chercheurs’ plus ou moins naïfs, pour empêcher précisément qu'ils ne risquent de découvrir la vérité… » Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, Tome I, octobre 1936.


Sur la lancée et continuant d'indiquer une voie, d'esquisser un profil et surtout un point de vue, ce qui a distingué notre revue, nous disions:

« Dans les numéros Fin de Ciclo I et II, nous avons longuement fait le compte-rendu de divers signes qui caractérisent l'époque actuelle, tels que maladies, fléaux, malformations, sécheresses et inondations, constants tremblements de terre, changements climatiques, extinction biologique, etc. etc., et malgré notre optimisme de base, nous ne pouvons pas ne pas voir ce qui nous entoure. Ce qui dénote une monstrueuse multiplication ainsi qu'une constante accélération de l'oubli des valeurs les plus élémentaires, ce qui débouche sur le dénigrement de la vie humaine, c'est-à-dire de l'espèce et donc également de l'environnement et des autres espèces. Il faut y ajouter l'injustice dans tous les domaines, la fraude et la délinquance, le sectarisme, et surtout la trahison, selon qu'il est décrit dans l'Évangile chrétien. De même, l'apparente normalité de la notion de robotique, jointe au clonage, tous deux hors de proportions et porteurs de conséquences si inimaginables que, si ce n'était précisément pour la fin du temps et le pieux rayon qui en terminera une bonne fois avec ce monde, ils pourraient constituer une innommable monstruosité dont nous nous repentirions; un cauchemar qui se déroule déjà et qui ne peut être étranger à la compassion des dieux. Toute cette confusion est exécutée par des gens qui sont les acteurs de rôles propres au monde moderne, à sa philosophie (?), sa science et sa technique, rôles assumés au préalable, caractéristiques d'une civilisation décadente qui touche à sa fin, puisque, ainsi que nous l'avons dit, le post-modernisme a laissé place à la pré-apocalypse, immédiatement suivie de l'apocalypse elle-même, que nous sommes déjà pratiquement en train de vivre, car quelques décades de plus ou moins ne sont rien dans la vie humaine.

« Bien que nous soyons chrétiens, il nous faut dire que ce que nous soulignons est particulièrement notoire dans la religion actuelle (c'est-à-dire l'expression officielle des traditions abrahamiques), qui est encore sous ses formes les plus hautes, sans mentionner l'ignorance et la cruauté des intégrismes et fanatismes contemporains, soit le rationalisme théologique ou l'expérience mystique émotionnelle, est la version d'un dieu personnel, qui n'atteint que rarement le niveau du Noûs-Démiurge, et se trouve donc assujettie à la psyché; chez quelques fidèles peut-être atteint-elle l'ontologie et l'unicité de l'Être Universel, mais jamais la Métaphysique (à moins qu'elle ne soit confondue avec ce que l'on désigne ainsi dans l'actualité) ou l'Identité Suprême, ou Non Dualité, véritable essence de toute initiation. Ceci produit l'inversion des valeurs et place la Métaphysique au service de la Religion, ou de l'Ontologie (dans le meilleur des cas), qui part du principe que ce que perçoivent les sens est réel, et par conséquent l'on constate la notion d'une foi matérielle, ce qui constitue un véritable matérialisme spirituel. Ainsi, la Maçonnerie devrait être liée à un exotérisme religieux hors duquel ne pourrait avoir lieu aucune initiation, et voire même soumise à cet exotérisme, comme si la verticale dépendait de l'horizontale, inversant ainsi tout processus génératif, ce qui est le plus flagrant signal de la contre-tradition.

« Nous avions déjà formulé, dans nos numéros précédents, notre refus total de cette confusion entre Religion et Science Sacrée et nous ne souhaitons pas en rajouter à ce sujet. Quant à l'ésotérisme proprement dit et à son représentant le plus fidèle de ce siècle, René Guénon (quoique certes pas le seul), il faut signaler la malversation de son œuvre aux mains de soi-disant disciples et acolytes, véritables maîtres de la confusion, comme c'est le cas de Frithjof Schuon et de Jean Reyor, à qui est venu s'ajouter depuis quelques années le "théologien" Jean Borella, exemples parfaits de ce à quoi nous faisons référence, qui sont d'autant plus dangereux et contre-traditionnels qu'ils se trouvent proches des authentiques valeurs de la Tradition Unanime, toujours verticale et non pas de simples énoncés ‘traditionalistes’.

« Il ne faut pas pour autant que nous perdions l'Espoir et la Foi authentique en un monde futur, neuf et virginal, paré de la fraîcheur d'une nouvelle aurore, auquel nous devons parvenir au moyen du sacrifice qui précède toute gestation, et même de la souffrance qui caractérise toute re-génération, et où la douleur, la pauvreté, la maladie, l'ignorance et la mort ont été une fois pour toutes abolies par la miséricorde divine dans le même temps que l'accession au Paradis d'un Âge d'Or, pour nous et nos semblables. »


Et nous achevions le numéro 21-22 (2001) par ces mots:

« Merci à tous ceux qui ont rendu possible l'espace, le milieu, de SYMBOLOS, et tout notre respect à ceux qui croient encore, par les temps qui courent, à la possibilité de la Connaissance et à sa réalisation, en dépit des milliers de gestes et de postures adoptés par l'Adversaire qui loge lui aussi en notre intérieur et qui n'est pas seulement un ennemi circonstanciel, puisque c'est à cause de lui et à son rôle que la lumière s'est éteinte sur la scène universelle, vieillissant le monde, frustrant toute perspective par la mort lente de la valeur du symbole parmi les plus crues et les plus abjectes simulations, les impostures ‘traditionalistes’ les plus grotesques au sein de l'ignorance, la cruauté et l'injustice, œuvres de l'orgueil et le fanatisme de ceux qui jouent le rôle pathétique que leur a fixé le Destin, avant que ne tombe le rideau sur l'Œuvre. »


Aujourd'hui, alors que cinquante ans se sont écoulés depuis la mort de Guénon, nous voulons lui rendre cet hommage dont les sujets principaux sont bien entendu, ainsi que nous l'avons signalé, l'œuvre de Guénon, en ceci qu'elle se réfère tout spécialement à la Tradition Hermétique, à l'Arithmosophie, au Symbolisme constructif, à l'Alchimie et à l'Ésotérisme occidental en général, outre la présentation de l'intéressante correspondance entre Guénon et A. K. Coomaraswamy, et le métaphysicien français et Louis Cattiaux.

Nous ouvrons ce numéro avec les travaux des plus récents collaborateurs de SYMBOLOS: "René Guénon et la Tradition Hermétique", de Mireia Valls, et "Guénon, Dante et la Tradition Hermétique", de Patricia Serdà, qui devaient initialement être précédés d'une étude sur le Centre, de Fernando Trejos, qui a dû être suspendu pour cas de force majeure, bien qu'il sera prochainement publié dans le SYMBOLOS télématique. Ensuite, "Vide cor Tuum" de Josep Mª Gràcia, qui reprend tout naturellement le sujet d'un autre point de vue; "Brève sur le Symbolisme Constructif", d'Iñigo Correa qui remet en question le thème de l'Hermétisme et de la Construction; cette première partie s'achevant avec les articles spécifiquement maçonniques "René Guénon, Maître Maçon" de Mª Angeles Díaz, et "La Maçonnerie dans l'œuvre de René Guénon", de Francisco Ariza, et enfin "Erreurs et Manipulations autour de l'œuvre de René Guénon", de Marc García, qui termine cette première section.

Aussi bien ces notes que les articles de la première section parlent par eux-mêmes et nous recommandons à nos lecteurs de les étudier attentivement.

L'on poursuit immédiatement avec des "Gloses", retenues pour leur opportunité en tant que travaux hermétiques réalisés par un groupe et qui n'avaient pas pu être publiées dans notre premier hommage à Guénon –SYMBOLOS 9-10, 1995: "René Guénon" (I)– en raison de l'excès de matériel, comme nous l'avions mentionné. Nous nous référons à celles qui furent effectuées sur ses œuvres L'Ésotérisme de Dante, Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée, Les États Multiples de l'Être et La Crise du Monde Moderne, par Antonio Casanovas (†)1 ; La Grande Triade par Josep Maria Gràcia, L'Homme et son Devenir selon le Vêdânta et Introduction Général à l'Étude des Doctrines Hindoues par Antonio Guri, Appréciations sur l'Initiation par Marc García, Les Principes du Calcul Infinitésimal par Miguel Angel Aguirre, et finalement un ouvrage cher à nos lecteurs américains: "Les Traditions Précolombiennes dans l'Œuvre de René Guénon", de Mª Victoria Espín. Il faut ajouter à ces noms celui de Lucrecia Herrera, impliquée non seulement à de multiples reprises dans ce numéro consacré à Guénon, sinon également dans le reste des publications de SYMBOLOS.

Il ne nous a pas été possible d'inclure la seconde partie de l'étude d'Antonello Balestrieri "D'un Document Confidentiel Inédit (et des ‘ratiocinations’ de son auteur)" (aujourd'hui en version électronique) en raison de l'ampleur prise par ce second volume monographique consacré à Guénon (712 pages), tout comme d'autres notes et commentaires de livres et revues, que nous publierons lors de notre prochaine réactualisation télématique.

Guénon a bien entendu représenté une constante dans nos publications, puisque l'importance de son rôle a toujours été évidente, non seulement dans la mesure où nous l'avons souvent mis en exergue en tant que notre guide intellectuel mais aussi en raison de l'importance historique de son œuvre; car nous le considérons –et nous ne sommes pas les seuls– comme un personnage providentiel, vu qu'il est clairement pour l'Occident le plus important émissaire de la Vérité manifestée par la Tradition Unanime; c'est en tout cas le personnage le plus controversé et important de l'ésotérisme du siècle précédent, pour qui voudrait bien le voir, selon des critères historiques, de cette manière.

Rappelons que, outre lui avoir consacré un double numéro de SYMBOLOS de 440 pages en 1995, nous avons maintenu en permanence dans notre revue une section intitulée "René Guénon" dans laquelle ont été publiés de ses travaux inédits dans ses livres ("Les Dualités Cosmiques", "Quelques Pages Oubliées de René Guénon", "Discours contre les Discours"), de faible divulgation ou non traduits en castillan ("Notes sur la Production des Nombres", "Observations au Sujet de la Notation Mathématique", "L'Initiation et les Métiers", "Silence et Solitude", "Le Démiurge", "Les Arts et leur Conception Traditionnelle", etc.), ainsi que sa correspondance avec d'autres auteurs, entre autres celle qu'il avait entretenu avec le roumain V. Lovinescu, publiée pour la première fois, en quelque langue que ce soit.

L'on sait que le métaphysicien français désigne la Franc-Maçonnerie comme Institution dépositaire de la Tradition, et comme la seule apte à décerner une initiation valide à l'époque actuelle en occident; il désigne également la Tradition Hermétique comme capable de transmettre de facto une initiation aux Petits Mystères et l'on doit souligner que le Frère Guénon attribue aux Petits Mystères rien de moins que la réintégration dans l'état Primordial et Originel, et à sa doctrine la connaissance totale de l'Univers, c'est-à-dire sa cosmogonie qui rassemble la terre et le ciel, dont s'occupent l'Alchimie et l'Astronomie-Astrologie: la maîtrise des science des rythmes et des cycles, ce qui n'est pas peu de chose, pour peu que l'on se mette à méditer là-dessus.

Au contraire, il n'octroie aucun type de validité ésotérique à la Théologie, ni aux sacrements catholiques, et il souligne que le Christianisme rejette toute notion se rattachant à l'initiation et à l'ésotérisme, comme on le sait bien. Et il précise qu'en cette matière la religion en soi ne surpasse absolument pas les exposés profanes:

« ... la distinction de l'ordre profane (comprenant ici non seulement ce qui est dépourvu du caractère traditionnel, mais aussi tout exotérisme) et de l'ordre initiatique est, à vrai dire, la seule qui dépasse les contingences inhérentes aux états particuliers de l'être et qui ait, par conséquent, une valeur profonde et permanente au point de vue universel. » (Aperçus sur l'Initiation, p. 178: "De la Mort Initiatique").


Ce que le catholicisme intégral et la droite ont falsifié de l'œuvre de Guénon pour leurs intérêts particuliers, est utilisé aujourd'hui de la même façon par l'islamisme fondamentaliste qui tire profit de son œuvre en la tergiversant, et tout spécialement du fait que, dans sa vie privée, il ait choisi l'Islam pour religion et l’Égypte pour domicile comme n'importe quel citoyen, pour propager une version dénaturée de sa pensée, associée aujourd'hui, en dépit d'un immense paradoxe, à la gauche la plus radicale, qui apparie le mahométanisme avec les classes sociales les plus dépourvues et leur lutte contre le capitalisme, quand ce n'est pas, sous un autre aspect, l'exaltation quasiment religieuse de la pauvreté par la pauvreté, ce qui est vu comme le summum de la spiritualité et la certification de la vertu.

Ceci est d’autant plus vrai dans le cas de l’Islam qui, selon Guénon lui-même, est sûrement la Tradition où l’ésotérisme se trouve le plus éloigné de l’exotérisme :

« De toutes les doctrines traditionnelles, la doctrine islamique est peut-être celle où est marquée le plus nettement la distinction de deux parties complémentaires l’une de l’autre, que l’on peut désigner comme l’exotérisme et l’ésotérisme. » (« L’Ésotérisme Islamique », Cahiers du Sud, 1947).


Il est intéressant de souligner que le métaphysicien français écrivit cette étude après avoir vécu de nombreuses années en Égypte et avoir adopté le culte de cette religion depuis 1930, c’est-à-dire qu’il s’y était personnellement intégré.

D’après les analystes qui suivent de près ce problème, il est difficile aujourd’hui de faire la distinction entre l’Islam et le fanatisme religieux, du moins en Occident, ce qui provoque une profonde douleur chez l’authentique fidèle ou chez ceux qui auraient jadis sympathisé avec cette Tradition, humiliés par cette association Islam-terrorisme (encore que ce dernier ne soit « qu'intellectuel » comme sur Internet où de nombreuses pages et forums peuvent être consultés à ce sujet), argument fallacieux qui ne peut qu'être le produit de ce fanatisme. Les mêmes analystes soulignent également que ce rôle, au bout du compte répresseur, avait été personnalisé à l’époque de la Contre-Réforme –et pas seulement à cette époque– par l’Église Catholique au sein des Religions officielles d’Occident qui ont formé le monde moderne actuel. Ces éléments dissociateurs seraient actuellement constitués par deux camps : l’islamique religieux et le judéo-chrétien, également appelé par les mahométans les « infidèles » (dénomination sans appel qu’ils étendent au reste du monde non islamique, c’est-à-dire comprenant les Hindous et les Extrême-orientaux), ou encore les « croisés », leurs ennemis mortels contemporains. Cela revient à dire que tous ces camps ou secteurs développent en fait une fonction au sein de la dissolution générale dont ils sont partie prenante, au point de l’incarner en devenant de violents agents du jeu du Destin exprimé par la destruction à la fin d’un Grand Cycle et qui a besoin d’exécuteurs pour la partie du plan devant être réalisée par l’être humain.2 Malgré que ces fanatiques se considèrent comme des saints, bien que dans cette divine comédie ils ne jouent en réalité que le rôle de bourreaux, aussi coupables que leurs opposants du génocide et du massacre collectif que véhicule tout fanatisme implicite dans l’extermination qu’impliquent les guerres religieuses.3

Actuellement plusieurs de ces groupes islamiques – qui emploient le terrorisme intellectuel– agissent de la même façon que les sectes, qui ne sont en somme rien d’autre que des déviations ou des dégradations religieuses, dont ils ont copié le modus operandi. Ils utilisent Guénon, falsifiant son message et méconnaissant son œuvre, ne la citent textuellement qu’à grand peine, peut-être par ignorance, ou parce qu’au bout du compte elle ne leur convient pas, puisque la version intéressée, partiale et résumée qu’ils en ont leur suffit. Ils promettent l’initiation et la métaphysique pour un futur sous l’hégémonie islamique et confondent délibérément la sharyah avec le taçawwuf (ésotérisme initiatique) en prétendant que l’Islam est une tradition totalement unie se conduisant de façon unanime et dont ils sont les représentants officiels, directement rattachés à la chaîne traditionnelle qui naît rien de moins que de Mahomet et Ali, ce qu’ils laissent percevoir comme en passant, solennellement et avec une prétendue autorité, représentation théâtrale qu’ils ont jouée des centaines de fois, jusqu’à atteindre la perfection. C’est ainsi que nombreux sont les abusés qui croient qu’ils seront marginalisés ou jugés par une superstructure, voire même historique, qui les condamne. Stigmate dont ils peuvent s’affranchir s’ils se reprennent et adhèrent à cette religion et ses promesses, cessant d’aller de leur côté. Mais ils ne remarquent pas que la Religion –ainsi que l’a dit Guénon à de nombreuses reprises– est un domaine différent de la Métaphysique dont la voie est l’Initiation qui est refusée, méconnue ou dissimulée, quand ce n’est pas persécutée, par les Religions du Livre. Et ainsi l’ingénu se voit pris dans un système pour lequel les Petits Mystères sont méconnus –et les Grands Mystères encore davantage– et demeurent assujettis à un domaine strictement religieux, moral et dévotionnel, persuadé de détenir la vérité et de faire de grands progrès spirituels en combattant de toutes les façons pour cette cause qui est « sa cause », ce qui le rendra méritant face à la « superstructure », ce qui n’a rien à voir avec l’authentique Science Sacrée et la Connaissance et le conduira en peu de temps au fanatisme.

Cependant, aussi bien certains « chrétiens » que des « islamiques » ou même la minorité juive, prétendent au moyen de leurs habiles manigances nous faire croire que la sagesse passe par la religion.

Et ils le font d’une manière si désagréable qu’il se rendent en fait détestables, à tel point que beaucoup préfèrent les pseudo vérités et les « déviances » de l’occultisme new age, qui appartiennent au bout du compte à l’orbite de la pseudo initiation, voire au pire à l’anti-tradition, au lieu de la lutte sordide pour métamorphoser la métaphysique en religion –et encore en donnant un incroyable avantage à la seconde sur la première, la choisissant même comme voie initiatique– et de confondre par intérêt leurs différents aspects, tel que privilégier l’exotérisme aux dépens de l’ésotérisme, la sainteté par-dessus la sagesse et le fanatisme destructeur et moniste face à l’équilibre (qui est offert par la conjonction permanente des opposés), ce qui les rend clairement contre traditionnels et surtout contre initiatiques, corrupteurs du message traditionnel et membres actifs de la dissolution universelle par le biais de la falsification de ses valeurs et de sa nature (dans ce cas, l’utilisation déviée de Guénon et de ce qu’il signifie), en empêchant ainsi beaucoup d’accéder à la véritable initiation à laquelle ils étaient cependant disposés.4

Il va de soi que cet hommage provient de l’hermétisme maçonnique, né officiellement au XVIIIe siècle, tout comme il y eut durant les siècles précédents un hermétisme alchimique qui se transforma par la suite en rose-croix, et toujours, depuis les premiers siècles du christianisme et le Moyen Age jusqu’à aujourd’hui, quoique fort occulte et censuré, un hermétisme chrétien qui n’a besoin de rien d’autre que des symboles évangéliques et de la révélation du cœur au sein du silence, ce qui exclue la paralyse et représente l’antidote aux terreurs secrètes de perdre toutes les références qui constituent notre être et l’exclusion de tout ce à quoi nous nous identifions.

Pour terminer, nous voulons rappeler ce que Guénon dit en se référant aux rites en général, dans Aperçus sur l’Initiation, car :

« … toute action accomplie selon des règles traditionnelles, de quelque domaine qu'elle relève, est réellement une action rituelle… » (Page 143, « À propos de ‘magie cérémonielle’ »),


complétant ses dires dans les pages 199 et 200 (« Initiation effective et initiation virtuelle ») :

« … les symboles sont essentiellement un moyen d’enseignement, et non pas seulement d’enseignement extérieur, mais aussi de quelque chose de plus, en tant qu’ils doivent servir surtout de ‘supports’ à la méditation, qui est au moins le commencement d’un travail intérieur ; mais ces mêmes symboles, en tant qu’éléments des rites et en raison de leur caractère ‘non-humain’, sont aussi des ‘supports’ de l’influence spirituelle elle-même. D’ailleurs, si l’on réfléchit que le travail intérieur serait inefficace sans l’action ou, si l’on préfère, sans la collaboration de cette influence spirituelle, on pourrait comprendre par là que la méditation sur les symboles prenne elle-même, dans certaines conditions, le caractère d’un véritable rite, et d’un rite qui, cette fois, ne confère plus seulement l’initiation virtuelle, mais permet d’atteindre un degré plus ou moins avancé d’initiation effective. »


Et dans une autre de ses études, il affirme en particulier, au sujet des rites hermétiques en tant que manifestation de la Science Sacrée :

« On pourrait dire que les symboles contenus dans les écrits alchimiques constituent ici l’exotérisme, tandis que leur interprétation réservée constituait l’ésotérisme…» (Introduction Générale à l’Étude des Doctrines Hindoues, 2ème partie, chapitre IX).


Il n’est pas inutile de souligner ici les mentions qu’il a également effectuées tout au long de ses écrits, se référant aux correspondances entre le symbolisme alchimique et le constructif, ce dernier propre à la Maçonnerie, qui le met en pratique dans ses ateliers lors de l’Initiation aux Mystères. Federico González

  
NOTES
1

De ce compagnon disparu, nous voulons rappeler son étude sur : « Le mot Tarot dans l’œuvre de René Guénon », publié dans le numéro 11-12 de SYMBOLOS 1996, en rapport direct avec le matériel de ce numéro monographique.

2 La destruction se produira sur trois plans, de bas en haut : tout d’abord le niveau de la terre, qui sera le théâtre, comme nous l’avons dit, de tremblements de terre, raz-de-marée, éruptions volcaniques, inondations, ouragans, cyclones, sécheresses, incendies naturels et désastres en général. Et aussi de certains fléaux. Le second niveau correspond à celui de l’homme et se trouve intimement lié au premier ; il comprend également les dommages écologiques infligés à la Nature : réchauffement, poisons, gaz toxiques, et les maladies et accidents contre l’espèce même provoqués par l’être humain, que ce soit par négligence ou en en ayant conscience, à divers degrés, comme la famine, l’extrême pauvreté et la misère, les injustices, les abus, le mensonge, la corruption, la trahison, le vol, l’escroquerie, les meurtres et la violence, en particulier les guerres –et le terrorisme– qui n’excluraient pas la conflagration atomique. Au troisième niveau, correspondant au ciel, la bataille cosmique a lieu dans un nouveau décor avec pour protagonistes les astres et les étoiles, où il faut tenir compte que le moindre de leurs mouvements peut représenter une catastrophe complète sur la Terre, et aussi que quelques décennies de plus ou de moins ne sont guère plus que quelques secondes dans une dimension beaucoup plus vaste, qui englobe même la précédente. La confirmation la plus claire de cela se trouve dans le livre même de la Révélation de Saint Jean (21-1) où il est clairement fait mention d’une nouvelle terre ainsi que d’un nouveau ciel. Nous insistons de nouveau sur le fait que ces mondes, ou plans, se trouvent étroitement liés et sont en interpénétration les uns avec les autres, l’homme étant ici aussi un intermédiaire. De fait, tout ceci est déjà en train d’arriver.
3 Il est intéressant d’observer que ce courant dissociateur, péremptoire, excluant et totalitaire a revêtu plusieurs formes, du national-socialisme au communisme, adoptant les façons violentes du terrorisme, aujourd’hui propre aux guerres religieuses. Nous nous permettons de souligner ici la citation suivante, que notre lecteur pourra trouver dans la correspondance entre René Guénon et Coomaraswamy, publiée dans ce numéro de SYMBOLOS : « Je suis de votre avis au sujet du Fascisme et des autres régimes similaires actuels, qui semblent vouloir s’opposer à la ‘démocratie’, mais qui, au fond, sont tout aussi dépourvus de véritables principes. » (28 mars 1937).
4 Au comble de la dégradation, et de façon ahurissante, ils constituent actuellement de véritables mafias de voyous de quartier, de résidus toxiques, autrement dit d’excréments.
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