Frontispicio de la obra de Rosenroth "Kabbala Denudata"
C.K. von Rosenroth, Kabbala Denudata, frontispice.
Sulzbach-Franfort 1677-84
I. LES LIVRES HERMÉTIQUES (VI)
FEDERICO GONZALEZ

    Poursuivant notre parcours historique sur les livres Hermétiques, nous sommes arrivés à Paracelse et à l’Alchimie, encore qu’il soit nécessaire de préciser que celui-ci fut précédé par des auteurs et des livres d’importance, comme Petrus Bonus qui écrivit en 1330 sa Pretiosa Margarita Novella, bien qu’elle n’ait pas été diffusée sous forme imprimée avant 1532, et, surtout, Nicolas Flamel, auteur du célèbre traité Le Livre des Figures Hiéroglyphiques dans lequel il rapporte ses extraordinaires découvertes en compagnie de son épouse « Perrenelle ». Il faut nommer aussi les anglais Thomas Norton (Ordinal of Alchemy, 1480-90) et Georges Ripley (1402-1490 : Les Douze Portes, Compound of Alchemy, 1471). Mentionnons également : Bernard le Trévisan (1406-1490 : La Parole Délaissée, La Philosophie Naturelle des Métaux, Traité de la Nature de L’Œuf des Philosophes, le Songe Verd) qui aurait, d’après sa réputation, obtenu la Pierre Philosophale en se consacrant à l’alchimie depuis l’âge de quatorze ans ; Geber (IXe siècle), à qui sont attribués Le Livre de la Miséricorde et le Livre des Balances ; et aussi Salomon Trismosin et sa Splendor Solis à l’influence notable en son temps, publiée en français en 1612 sous le titre de La Toyson d'Or, ou la fleur des thresors. Au sujet d’un autre curieux livre, que l’on a même attribué à Thomas d’Aquin, Aurora Consurgens, Jacques Van Lennep nous dit, dans son Alchimie : « il est antérieur au plus ancien manuscrit conservé. Il faut sans doute dater différemment ses deux parties qui sont bien distinctes, la première étant une combinaison de textes bibliques, et la seconde le commentaire. » On le voit, ce manuscrit aux belles illustrations pourrait être antérieur à celui de Petrus Bonus dont nous venons de parler.

    Rien que dans le livre de Stanislas Klossowski de Rola, Le Jeu d’Or84, et dans le catalogue de deux expositions de livres de la Bibliothèque Philosophique Hermétique d’Amsterdam, nous pouvons trouver plus de cent titres (voir Appendice 4 : « Quelques ouvrages alchimiques du Moyen Âge au XVIIIe siècle »). La quasi majorité des auteurs méritent d’être récupérés de la froide énumération, et leurs œuvres devraient être étudiées pour nombre de leurs caractéristiques. En Espagne, il y a également eu une littérature alchimique qui est conservée dans les bibliothèques85. Quant aux bibliothèques européennes, elles possèdent des milliers de volumes spécifiquement hermético-alchimiques : Bodleian Library, Oxford; Bibliothèque de l'Arsenal, Paris; Trinity College Library, Cambridge; Sainte-Geneviève, Paris; Bibliothèque Universitaire, Bologne; etc. On peut le constater, le nombre de livres est immense, comme est immense la valeur de chacun d’entre eux, autant pour la manière de répandre la doctrine que pour l’Art dans lequel elle est exprimée et les données apportées.86 Ce n’est donc pas le lieu pour traiter cet extraordinaire sujet que, si Dieu le veut, nous exposerons en détail lors d’une autre étude qui sera la continuation de celle-ci, car notre intention n’est ici que de souligner la projection intellectuelle et historique que la pensée hermétique et sa littérature ont conservée vivante jusqu’à l’heure actuelle.

    Nous devons à présent également mentionner un courant de spécialistes contemporains s’occupant de reproduire et de commenter des textes hermético-alchimiques, ce qui est d’une immense utilité, parce qu’ils peuvent être consultés directement : le belge Jacques Van Lennep (Alchimie, Art et Alchimie : étude de l’iconographie hermétique et de ses influences), les anglais Adam McLean (The Crowning of Nature, The Rosicrucian Emblems of Cramer, The Steganographia of Trithemius, Solomon Trismosin's Splendor Solis, The Chemical Wedding of C. Rosenkreutz, etc., directeur et éditeur de The Hermetic Journal, Oxford) et Joscelyn Godwin (Robert Fludd, Athanasius Kircher, Michel Maier's Atalanta Fugiens), qui viennent s’ajouter à la grande quantité de chercheurs et d’Adeptes contemporains ayant composé des œuvres brillantes sur l’Alchimie et la Philosophie Hermétique, démontrant de cette manière sophistiquée combien l’Alchimie est vivante de nos jours, malgré que l’on puisse croire le contraire.87

    Il est en tout cas inévitable de remarquer la figure et l’œuvre de Michael Maier (voir p.1, Ap. cit.), auteur d’Atalante Fugitive, œuvre curieuse qui comprend un texte, une gravure, et une partition musicale à chaque page, ce qui est sans aucun doute une affirmation de l’ordre et des correspondances qui relient les arts en tant qu’expression de l’interpénétration et de l’harmonie Universelle ; il préfigure d’ailleurs les moyens de communication audiovisuels, si importants pour les sciences et les arts, en particulier pour leur enseignement. Michael Maier est signalé comme étant l’un des fondateurs de la Fraternité Secrète des Rose-Croix, d’une importance immense pour le développement des idées hermétiques –et dont l’héritage s’incorporerait à la Franc-Maçonnerie–, à laquelle appartenaient aussi Robert Fludd (1574-1637: Apologia Compendiaria, Tractatus Apologeticus, Tractatus Theologo-Philosophicus, Utriusque CosmiHistoria, Anatomiae Amphitheatrum (comprenant Monochordum Mundi), Veritatis Proscenium, Philosophia Sacra, Médecine Catholique, Philosophya Moysaica, etc.), disciple de John Dee (1527-1608, célèbre auteur de La Monade Hiéroglyphique et de Propaedeumata Aphoristica, General and Rare Memorials, etc.) et Johan Valentin Andreae (1586-1654 : Mythologias Christianae, Turris Babel, Cristianopolis), que l’on considère comme son mentor. Cette société ésotérique secrète, de pensée et tradition hermétiques, a publié deux manifestes anonymes, bien qu’ils soient généralement attribués à Andreae : la Fama Fraternitatis, ou L’Appel de la Fraternité du très Noble Ordre de la Rose-Croix, et la Confessio Fraternitatis, ou la Confession de l’Insigne Confrérie du Très Honoré Ordre de la Rose-Croix à l’adresse des hommes de science d’Europe, publiés en 1614 et 1615, auxquels il faut ajouter Les Noces Chimiques de Christian Rosenkreutz (1616), œuvre curieuse rédigée sous forme de roman, qui eurent la vertu de mettre en émoi et d’enthousiasmer de nombreux penseurs de l’époque. L’on ne peut non plus laisser passer sans les commenter la figure et l’œuvre de Giordano Bruno (1548-1600 : Explicatio triginta sigillorum, Sigillus sigillorum, De umbris idearum, Cantus Circaeus, Le Souper des Cendres, De la cause, du Principe et de l’Un, De l’Infini, l’Univers et les Mondes, l’Expulsion de la Bête Triomphante, la Cabale du Cheval Pégasien, Des Fureurs Héroïques, Articuli adversus mathematicus, De lampade combinatoria lulliana, De innumerabilibus, immenso et infigurabili, De triplici minimo et mensura, De monade numero et figura; ainsi que: Lampas triginta statuarum, De magia et De vinculis in genere, publiés au XIXe siècle, etc.) et l’importance extraordinaire qu’il eut au cours des siècles suivants. Infatigable pèlerin, il n’était pas seulement l’hermétiste incarnant la Tradition vivante, mais aussi un apôtre de ces idées qu’il emporta en Angleterre, où il entretenait une polémique incendiaire avec les « grammairiens » aristotéliciens d’Oxford –l’Université était alors en leur pouvoir–, des « officialistes » pédants qu’il avait opportunément démasqués.88 En raison de son caractère ardent, de son enthousiasme héroïque, de sa fermeté –qui lui interdisait de se rétracter de ce qu’était pour lui la vérité– et son adoption, à certains aspects (ce que fait également la doctrine hermétique), de la théorie héliocentrique pour laquelle le soleil –le dieu visible– est aussi le centre d’un système dans sa conception anthropocentrique, il fut condamné par l’Église de Rome, à laquelle il appartenait, et brûlé vif. Tout cela en fait une figure de premier ordre au sein de la Tradition Hermétique, bien qu’il y a peu de temps que Frances Yates mettait en relief l’Art de la Mémoire, discipline d’origine classique et médiévale cultivée et défendue par le « Nolano » (ou le Napolitain), comme il aimait à s’appeler.89 C’est une science et un art réellement extraordinaire pour les possibilités supra-mnémotechniques qu’elle implique, plus en rapport avec la magie qu’éveillent les symboles et leurs potentiels les plus hauts, liés à la métaphysique et à la « réminiscence » platonicienne. Ces « éveilleurs d’images » et leur possibilité de relier d’autres plans de l’existence Universelle étaient assez connus et appliqués à la Renaissance (bien qu’hérités du classique). D’ailleurs, la peinture et la statuaire remplissaient une fonction théurgique analogue. Plusieurs auteurs ont écrit sur le thème de la mémoire, forgeant un courant qui prenait part à ces méthodes qui eurent leur importance en leur temps, car ces techniques hermétiques de connaissance ne se sont pas popularisées par la suite ; ce qui n’est pas le cas des cartes du Tarot (également appelé le « Livre de Thot »), jeu de lames au sens multidimensionnel dont les effets magiques doivent être contrôlés par le théurge qui s’y consacre.90

    Frances Yates, dans le livre qu’elle a consacré à ce sujet, nous avertit (« L’Art de la Mémoire, chapitre V) :

    « Pour la période dont nous avons dû nous occuper durant les deux chapitres précédents, le matériel effectif dont nous disposons est maigre. Pour la période dans laquelle nous entrons à présent, les XVe et XVIe siècles, c’est le contraire. Le matériel devient trop abondant et nous devrons faire une sélection parmi une foule de traités sur la mémoire, si nous ne voulons pas rendre notre histoire brumeuse par trop de détails. »

    Cela signifie que, dans ce segment correspondant seulement au thème de l’Art de la Mémoire (auquel l’auteur consacre quatre cent quarante-quatre pages), il advient la même chose que dans les œuvres de la Tradition Hermétique en général, nous ne mentionnerons par conséquent que quelques auteurs et ouvrages : manuscrit anonyme, De Memoria Artificiali, XVe siècle ; Oratoriae Artis Epitome, Venise, 1482, qui comportait un appendice sur Ars Memorativa, de Jacobus Publicius ; de Pierre de Ravenne, le Phoenix, Sive Artficiosa Memoria, Venise, 1491, qui ont été traduits et édités en plusieurs langues ; de Johannes Romberch, son Congestorium Artificiose Memorie, 1520 ; de Cosma Rosselli le Thesaurus artificiosae memoriae, Venise, 1579. Il nous faut faire une mention à part pour parler de Giulio Camillo (1480-1544 : De l'humana deificatione, Sermoni della cena…), le « divin » Camillo, inventeur d’un Théâtre de la Mémoire, apparemment une construction en bois emplie d’images ésotériques peintes dans divers petits tiroirs placés à des niveaux différents qui indiquaient un lieu, un espace déterminé dans les opérations de l’esprit, l’ensemble étant également lié à divers aspects de la manifestation cosmique ainsi qu’aux Principes et aux planètes tels qu’ils sont révélés dans le Corpus Hermeticum. Cependant, le Théâtre tel qu’il l’avait imaginé dans tous ses potentiels ne put exister, mais ses idées eurent une immense importance dans la Renaissance italienne.

    Enfin, nous voulons citer un Adepte auquel l’on ne donne généralement pas non plus l’importance qu’il avait : il s’agit d’Elias Ashmole (1617-1692), antiquaire anglais qui fut l’un des premiers à donner une valeur réelle à l’archéologie et à l’étude intégrale de l’homme et de son monde, au lieu de celle de simples « curiosités ». Fondateur à Oxford du premier Musée de Sciences Naturelles du monde, il fit don de ses collections, de plantes, d’animaux et de minéraux, et en particulier d’archéologie et d’art, et convainquit de nombreux de ses amis pour qu’ils fassent de même, l’importance des objets accumulés étant telle que le musée fut divisé en deux, son nom étant donné à la section d’Art et Archéologie après sa mort. Il s’agit du célèbre et excellent Ashmolean Museum, à Oxford, qui aujourd’hui expose ses collections au public. Mais il n’a pas seulement réuni des œuvres de l’antiquité, sinon aussi des textes et des livres hermétiques qui peuvent à présent être consultés. Il a également écrit (The Way to Bliss 1652, Institutions, Laws and Ceremonies of the Order of the Garter, 1672) et publié : Theatrum Chemicum Britannicum (1652) qui comprend les oeuvres des alchimistes anglais les plus importants.91 Ce personnage peu étudié prend un intérêt accru lorsque l’on sait qu’il a été un grand dignitaire maçon des premiers temps de l’Ordre (avant Anderson et Desaguliers). Comme on le sait, la Franc-maçonnerie possède un rapport étroit avec la Tradition Hermétique et sa symbolique, et peut être vue comme la transposition de l’Art Alchimique, fondé sur le feu et la transmutation métallique, au symbolisme de la Science Constructive, reflet de la Construction Cosmique. L’importance de la Maçonnerie en tant que transmetteur de l’Initiation et, plus précisément, des idées de la Tradition Hermétique qu’elle a toujours fomentées, a été fondamentale, aussi bien dans ce siècle que par le passé. L’Hermétisme se prolonge dans la Maçonnerie, en de nombreux groupes et individus qui, quoique toujours minoritaires, sont difficiles à situer historiquement avec certitude en raison des réserves qu’ils se sont eux-mêmes imposées, en partie parce que leur mode de pensée a sans cesse été persécuté (ils croient que ce que la majorité considère comme la plus élémentaire réalité n’est qu’illusion) par l’ignorance du plus grand nombre.

    Dans la plupart des cas, nous devons par conséquent nous contenter de suivre le sillage de la pensée hermétique seulement grâce aux livres écrits par quelques Adeptes et les quelques rares documents sur leurs vies. Cependant ce matériel grappillé ici et là, accompagné de textes trouvés en différents temps et lieux (dont beaucoup sont de plus en plus étudiés pour l’intérêt qu’ils possèdent), est suffisant pour nous donner une notion de la transmission initiatique de ces idées et leur influence spirituelle sur toute la culture de l’occident. Les projections variées et dissimiles prises par l’extraordinaire pensée présente dans le Corpus Hermeticum à partir du XVIIIe siècle et dont le rayonnement continue d’illuminer l’actualité ont également été étudiées ; il suffit de citer le nom de Karl Kerényi (Hermes, Guide of Souls, Spring Pub., États-Unis, 1996) ou ceux, parmi bien d’autres, d’Antoine Faivre et Jean-Pierre Laurant.

    Quant à nous, nous terminons ici ce parcours autour de quelques idées exprimées dans les livres hermétiques, véritables trésors de sagesse et témoignages documentaires de la Philosophie Pérenne, toujours présente et vivifiante ; un genre de littérature qui ne cessera jamais d’être actuel en raison des caractéristiques Universelles de ses thèmes et la vigueur que lui transmettent une minorité d’adeptes qui, aujourd’hui comme hier, se consacrent à ce travail, en dépit de l’atmosphère de plus en plus dense qu’il leur est donné de respirer.

    Ainsi que nous avons pu l’observer, la transmission par le livre joue un rôle fondamental dans la Tradition Hermétique, au point que c’est Hermès, le scribe des dieux ou le dieu écrivain, qui en est le patron. Et s’il est vrai qu’ont existé, et existent encore, de petites organisations fondées sur l’hermétisme, généralement centralisées autour d’écrivains ou de groupes liés à leur manière de voir les Principes de cette Tradition, exposée dans les textes cités plus haut, la Révélation (Réalisation) Hermétique s’opère individuellement, en chacun des Adeptes en qui le Noûs se révèle, pour quelque motif que ce soit. Il s’agit donc de l’influence spirituelle d’Hermès, ou de la Pensée Hermétique, ce qui équivaut à recevoir son héritage et y adhérer, car c’est par sa véhiculisation que nous nous relions à ce que nous recherchons, puisque connaître c’est être. Par conséquent les livres sont fondamentalement les initiateurs à la Tradition Hermétique (sinon, pourquoi auraient-ils été écrits ?)92 et nombre d’entre eux nous content directement la Révélation d’Hermès Trismégiste, c’est-à-dire la Révélation Hermétique93 ; les enseignements ne sont pas forcément oraux, comme dans les Traditions orientales, et il n’y a ni ashrams ni tarîqas. Il n’y a pas même de religion, ni de normes, ni de dogmes, ni d’engagements particuliers, si ce n’est envers la Connaissance. Il n’y a donc pas de temples (exception faite du cas de la Franc-maçonnerie), ni d’images, c’est à ciel ouvert –justement, lorsqu’une Loge n’est pas inscrite dans une Obédience, l’on dit qu’elle « travaille sous les auspices de la Voûte Céleste »– et il y a en cela, comme en d’autres choses, des correspondances avec le Taoïsme. C’est pour cela que cette Tradition est également aussi rude, aussi peu protégée, voire exposée aux intempéries, sans chercher de « refuge » ; mais en même temps, si l’on examine la qualité des auteurs et des personnalités qui y ont contribué, la nature lumineuse de ses textes, la beauté et la profondeur de ses symboles, etc., l’on ne peut manquer d’en être stupéfait et d’y reconnaître un lien direct avec l’Origine, avec la Tradition Primordiale, par l’intermédiaire de la Cosmogonie Pérenne, le Plan Intermédiaire et les Sciences de la Nature.94 Il faut également considérer les gravures symboliques des livres alchimiques comme des supports rituels de méditation et des véhicules de Connaissance ; l’on peut d’ailleurs remarquer que beaucoup de ces livres comportent des images analogues ou identiques à d’autres, comme si elles avaient été copiées en tant que base de travaux hermétiques de type rituel, tâches propres à l’Apprenti qui peut ainsi se remémorer sans cesse la structure cosmogonique et donc en favoriser la sortie. Nous ajouterons que cette possibilité de s’incorporer à la Tradition Hermétique est spécialement significative pour la femme, car s’il est déjà pratiquement impossible aux mâles d’appartenir à un groupe qui soit réellement attaché à la Connaissance, que dire des femmes, dont le rôle actuel dans toutes les religions est d’être rejetées ou considérées comme quantité négligeable.95

    Au XVIIIe siècle, A.-J. Pernety96 définissait ainsi l’hermétisme dans son Dictionnaire :

    « La science hermétique a en Hermès son propagateur, certains le considèrent comme le premier qui s’y soit distingué de manière qu’elle a reçu son nom. Le grand Art, la Philosophie Hermétique, le Grand Œuvre, l’Œuvre de la Pierre Philosophale, le Magistère des Sages, toutes sont des expressions synonymes de la Science Hermétique. La physique Hermétique dépend de cette science qui fait tous les êtres sublunaires se constituer de trois principes : le sel, le soufre et le mercure, liant toutes les maladies à un défaut d’équilibre dans l’action de ces trois principes ; pour cela, la science hermétique se propose et a pour objet la recherche d’un remède qui entretienne cet équilibre dans le corps ou qui remplace ces trois principes lorsque l’un d’eux tend à dominer les autres avec une violence excessive. Le deuxième but de cet art est de composer ce qu’ils appellent l’Élixir au blanc ou au rouge, également appelé Poudre de projection ou Pierre philosophale ; avec cet élixir ils prétendent changer les métaux imparfaits, en argent avec l’élixir au blanc ou en or avec l’élixir au rouge. »

    Et il ajoutait, railleur :

    « De tous temps il y a eu des fous enclins à cette recherche, bien qu’ils s’auto-intitulaient Vrais Sages et véritables Philosophes et seuls connaisseurs de la Nature. Ils prétendent que les Philosophes de l’antiquité, Démocrite, Platon, Socrate, Pythagore, etc., étaient tous initiés aux secrets de cette science et que les hiéroglyphes des égyptiens de même que toutes les fables qui composent la mythologie ont été inventés pour enseigner cette science. »

    C’est là que nous laisserons le lecteur, 97 à qui nous offrons également la traduction annotée des onze premiers chapitres du Pymandre ( Appendice I [espagnol]).

    « Croîs jusqu’à être sans mesure, par un saut qui te libère de tout corps ; élève-toi au-dessus de tout temps, convertis-toi en éternité : c’est alors que tu comprendras Dieu. Pénètre-toi de la pensée que rien ne t’est impossible, considère-toi comme immortel et capable de tout comprendre, tout art, toute science, le caractère de tout être vivant. Monte plus haut que toute hauteur, descend plus bas que toute profondeur. Rassemble en toi-même les sensations de tout le créé, du feu et de l’eau, du sec et de l’humide, considère que tu es partout à la fois, sur la terre, dans la mer, dans le ciel, imagine que tu n’es pas encore né, que tu es dans le ventre maternel, que tu es adolescent, vieillard, que tu es mort, que tu es au-delà de la mort. Si tu embrasses par la pensée toutes ces choses à la fois, temps, lieux, substances, qualités, quantités, alors tu peux comprendre Dieu. » (Pymandre, XI. 20).



NOTES
84
    Ed. Siruela, Madrid, 1988.
85
    Voir La Alquimia en España, J. R. de Luanco, Obelisco, Barcelone, 1995 et Cinco tratados españoles de alquimia, Tecnos, Madrid, 1987; ainsi que Historia de la Alquimia en España, J. García Font, Mra, Barcelone, 1995.
86
    À titre d’exemple, nous mentionnerons que Julian Paulus nous informe de l’importance d’une bibliothèque alchimique-hermétique, récemment découverte à Hambourg, de plus de 600 titres, beaucoup desquels étaient jusqu’alors inconnus, dans Alchemy Revisited: Proceedings of the International Conference on the History of Alchemy (Actes du Colloque de Gröningen, avril 1989). E.J.Brill, Leiden-N.Y.-Copenhage-Cologne, 1990.
87
    J. Van Lennep: Alchimie, Dif. Dervy–Livres, Paris, 1985; Art et Alchimie, pour l’édition espagnole Ed. Nacional, Madrid, 1978. Œuvres de A. McLean: Phanes Press, Grand Rapids (MI) U.S.A. De J. Godwin: Atalante Fugitive, idem, 1989; Robert Fludd, Ed. Swan, Madrid, 1987; Athanasius Kircher, idem, 1986. Également les publications de Gutemberg Reprints et de La Table d’Émeraude, de Paris. En espagnol, il faut souligner les éditions de la « Biblioteca Esotérica », à Barcelone Mutus Liber, Viridarium Chymicum, El Rosario de los Filósofos, Las Doce Llaves de la Filosofía, Las Doce Puertas de la Alquimia, Naturaleza del Huevo de los Filósofos, los Manifiestos Rosacruces, Teosophia practica, De signatura rerum, entre autres, ainsi que celles de Ed. Obelisco, de la même ville: El Libro de las Figuras Jeroglíficas, Tratado de la Piedra Filosofal (Lambsprinck), Las Bodas Químicas de C. Rosenkreutz, La Entrada Abierta al Palacio cerrado del Rey, etc., et aussi celles de Ed. Indigo, idem.: La Turba de los Filósofos, Aurora Consurgens, Instrucción de un padre a su hijo acerca del Arbol Solar, El jardín de las riquezas, Tratado de la Sal de los Filósofos, El deseo deseado, etc. Voir également, de Julius Evoca, son excellent livre La Tradición Hermética (Martínez Roca, Barcelona, 1975), où il traite de certains thèmes évidents de l’alchimie, liés à la sexualité, qui ne sont généralement pas reconnus, et les compare au Tantra Yoga. L’Alchimie vue comme transformation psychologique : C. Gustav Jung : Psychologie et Alchimie, en espagnol, S. Rueda Ed., Buenos Aires, 1959 et J. Fabricius, Alchemy, The Medieval Alchemists and their Royal Art, Diamond Books, Londres, 1994. D’autres livres, avec des illustrations en couleurs, recommandés pour une vue d’ensemble : Andrea de Pascalis : Alchemy, the golden art, Gremese International, Rome, 1995, S. Klossowski de Rola: Alchimie, Ed. Debate, Madrid 1988, Alexander Roob: Le Musée Hermétique, Alchimie et Mystique, Taschen, Cologne, 1997.
88
    Voir F. Yates, Essais Réunis, tome II.
89
    Voir Frances Yates, L’Art de la Mémoire, édition espagnole Taurus, Madrid, 1974, et le travail déjà mentionné G. Bruno et la Tradition Hermétique. Voir aussi Monde, Magie, Mémoire, textes de Bruno, édition espagnole de Ignacio Gómez de Liaño, Taurus, Madrid, 1987.
90
    Voir Stuart R. Kaplan : The Encyclopedia of Tarot, 3 volumes, U. S. Games Systems Inc., Stamford (CT), 1978, 1986, 1990; Raymond Abellio: Approche de la nouvelle Gnose, chap. « Histoire, structure et symbolisme du Tarot », Gallimard, Paris, 1981; Federico González: El Tarot de los Cabalistas, Vehículo Mágico, Kier, Buenos Aires, 1993.
91
    D’autres anthologies de textes alchimiques analogues au Theatrum Britannicum ayant été composées dans divers pays entre les XVIe et XVIIIe siècles, qui ne sont pas mentionnées dans l’Appendice 4 :Ars chemica, 1566; Artis chemicae principes, 1572; Artis auriferae, 1593; Theatrum chemicum, 1602; J. J. Manget: Bibliotheca Chemica Curiosa, Genève, 1702; Deutsches theatrum chemicum, 1728-32; W. Salmon: Bibliothèque des Philosophes Chimiques, Paris, 1740; Hermetisches A.B.C., 1778-9; C. G. H.: Eines wahren Adepti besondere Geheimnisse von der Alchymie, 1757; Geheime Figuren der Rosenkreutzer, Altona, 1785-88; etc.
92
    Inutile de préciser l’importance d’Hermès en tant que révélateur alors que le mot herméneutique vient de son nom. Mais nous pourrions en revanche souligner l’analogie entre la manière d’être de l’homme, et le livre (le livre sacré, tous deux manifestations de l’Intellect à travers la Parole ou Verbe. De là le livre comestible = Apocalypse (= Révélation) comme notion d’assimilation, d’intégration et de consubstantialité par rapport aux textes écrits ; de même par rapport à la digestion d’un rouleau écrit, etc., Hermès incarne là un pouvoir de transformation, c’est le transformateur de la littérature écrite à partir des signes magiques des idéogrammes, ou des lettres ; à cet aspect, la Kabbale hébraïque et ses correspondances entre lettres et nombres est patente dans les textes sacrés de la Bible, et pas seulement dans les écrits en hébreu, sinon aussi dans les manifestations en araméen et en grec (l’on sait que dans cette dernière culture également les lettres étaient en rapport avec les nombres et le versant pythagoricien). C’est-à-dire que tout cela fait référence à l’idée d’une nourriture élaborée et digérée à partir de l’Herméneutique.
93
    « Chantons la lumière qui mène les hommes sur le chemin du retour ; / glorifions les neuf filles du grand Zeus, / aux voix lumineuses ; / chantons ces vierges qui, / par la vertu des pures initiations qui / proviennent des livres, éveilleurs d’intelligence, / arrachent aux douloureuses souffrances de la terres, / les âmes qui errent au fond des puits de la vie… » Proclus, Hymne aux Muses.
94

    Nous avons déjà fait mention de Quetzalcóatl comme Hermès Atlante, ce qui s’avère confirmé par ses attributs, qui est le principal protagoniste de leurs cosmogonies, qu’ils fixaient eux aussi dans leurs livres peints et hiéroglyphiques où elles sont inscrites, –où elles ont survécu– ainsi que sur les colonnes sauvées du déluge et interprétées par Hermès pour notre ère (présentes, nous le verrons, dans les légendes maçonniques les plus anciennes), de même que Quetzalcóatl est le patron de la Grande Ère actuelle dans la pensée précolombienne, c’est-à-dire du cinquième soleil dans leur cosmogonie, narrée dans ces livres –ainsi que dans d’autres, recueillis par des missionnaires espagnols immédiatement après la conquête d’Amérique et qui servent à éclaircir les premiers.

    De fait, ces livres sont fondamentalement calendaires et possèdent une structure numérique précise qui, jointe aux mouvements astronomiques et aux activités divines, (certains sont en outre généalogiques et historiques) constituent des mystères secrets et des mancies qui signent tout ce qui peut être signé puisque ce sont les modules où s’articule leur culture au point de constituer l’esprit et l’âme, le cœur et l’essence de la Tradition des peuples méso-américains. Inutile de dire que ces calendriers étaient non seulement liés aux fêtes et activités sacrées, mais étaient surtout liés fondamentalement aux Grandes Ères desquelles il est possible de déduire n’importe quel cycle, qu’ils s’harmonisent et correspondent les uns aux autres, formant la magie sacrée, la symphonie permanente et l’équilibre essentiellement silencieux de l’être Universel.

95
    La littérature hermétique ne manque pas de livres écrits par des femmes : Marie la Juive, Théosebia (la « sœur hermétique de Zosime le Panopolitain), Hildegarde de Bingen (1098-1179, visionnaire : Sciviae, Le Livre des Œuvres Divines, Liber Compositae Medicinae, Le Livre des Subtilités des Créatures Divines, Correspondance), Mathilde de Magdebourg (1207-1282, La Lumière de la Divinité), Isabelle von HL Geist (carmélite à Cologne, 1606-1675 : Recreationem), Barbara de Gilli, Sabine Stuart de Chevalier (Discours Philosophique, 2 volumes, Paris, 1781), Maris le Jars de Gournay (1566-1645), et d’autres femmes citées dont les fonctions ne sont pas complètement claires, comme c’et le cas pour Christine de Suède (1626-1689 : Apologies, Editions du Cerf, Paris, 1994), commanditaire de bibliothèques et livres ésotériques, malgré que la femme soit un thème constant et récurrent dans l’iconographie de cette Tradition. L’on connaît d’ailleurs de nombreuses Adeptes féminines, ce qui devient évident si l’on tient compte de l’actuel intérêt de la femme pour la Tradition Hermétique ; aux dames citées plus haut il faut ajouter le nom de l’espagnole sainte Thérèse d’Avila (1515-1582 :Libro de la Vida, Meditaciones sobre los Cantares, Las moradas del Castillo interior, Camino de perfección, Libro de las Fundaciones, etc.: Obras completas (œuvres complètes) chez B. A. C., Madrid, 1986) inspiratrice de Juan de la Cruz (1542-1591: Subida al Monte Carmelo, Noche Oscura, Cántico espiritual, Llama de amor viva; idem.,Madrid, 1982), et celui de Sœur Juana Ines de la Cruz (1651-1695), mexicaine disciple de A. Kircher et auteur du Primer Sueño, dédié à la déesse Isis, et de Neptuno Alegórico. Dans son livre Femmes Pythagoriciennes… (Guy Trédaniel, Paris), Mario Meunier cite également des fragments et des lettres de ces femmes : Théanos, Perictioné, Phintys, Melissa et Myia. Dans la liste faite par Jamblique des disciples de Pythagore, l’on signale dix-sept femmes, dont deux de celles mentionnées par Meunier : Théanos et Myia. Viennent s’y ajouter Hypatie, mathématicienne, astronome et écrivain, morte en 415, fille de Théon d’Alexandrie, et les Asclépigénies de la famille de Plutarque ; sa fille du même nom fut l’initiatrice de Proclus en théurgie (au sujet de Proclus, voir note 276).
96
    (1716-1796) : Les Fables égyptiennes et grecques, dévoilées et réduites au même principe, 2 tomes, Table d'Emeraude, Paris, 1991; Dictionnaire Mytho-Hermétique, pour l’édition espagnole Indigo, Barcelone, 1993.
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    Par manque d’espace, nous n’avons pu pénétrer dans le monde des imprimeurs et des graveurs des Livres Hermétiques. Contentons-nous de citer Frobenius et sa célèbre marque d’éditeur et Théodore de Bry, chef d’une famille d’imprimeurs où travaillaient son fils Jean Théodore et son gendre W. Fitzer (ils ont publié, parmi bien d’autres choses, l’œuvre complète de Fludd avec le graveur Matthieu Merian), ainsi que Lucas Jennis qui plus tard vint à faire également partie de cette famille.