CHAPITRE II
LA SYMBOLOGIE AMÉRICAINE
I
L'un des thèmes les plus remarquables dans l'étude des sociétés précolombiennes, est que presque tous les auteurs européens contemporains de la conquête espagnole, et même de siècles postérieurs, coïncident dans leur croyance que les Américains étaient d'origine juive,1 avaient déjà été christianisés, ou par quelque moyen obscur leurs connaissances et traditions leur venaient du Vieux Monde. Ces opinions étaient basées sans aucun doute sur la similitude de symboles, mythes et modes culturels qui, bien qu'adoptant des formes différentes, étaient cependant analogues aux leurs. Le fait est signalé par les franciscains Fray Bernardino de Sahagún et Motolinía, par le dominicain Diego Durán, par le jésuite Joseph de Acosta, tout comme par Mendieta, Las Casas, Torquemada, Lopez de Gómara, Ramos Gavilán, Gregorio García, Antonio de la Calancha, Poma de Ayala et la majorité des chroniqueurs ; de même parmi les commentateurs postérieurs comme Veytia et Clavijero, etc., pour n'en citer que quelques-uns uns, tous hommes d'Église ou versés dans les questions religieuses, philosophes et théologiens.2 A vrai dire, les coïncidences entre le christianisme, ses symboles, mythes et rituels, et la tradition précolombienne sont assez nombreuses.3 À commencer par ses théogonies, où les idées d'un Être Suprême, d'un dieu créateur et une déité civilisatrice et salvatrice conforment une genèse et une apocalypse, une mort et une résurrection, liées au sacrifice et à la transformation cyclique, et continuant avec certains mythes comme celui de la virginité de la mère du dieu héros et sa conception anti-naturelle sans le recours d'un père, qui apparaît à plusieurs reprises. Le premier cas peut s'observer dans la civilisation de la vallée centrale du Mexique, parmi les indiens de Nicaragua et Costa Rica, ceux de Bogota, ceux de Quito et d'autres groupes appartenant à l'empire inca comme les Harochiris et même les Guaranis du Paraguay et du Brésil, et est connu des zunis et autres indigènes des États-Unis et des patagoniens argentins. Le second est très clair chez les nahuas et les Aztèques (les dieux Quetzalcóatl et Huitzilopochtli sont fils de vierges), et chez les indiens quichés du Guatemala, Ixbalanché et Hunahpú, héros par excellence, sont fils de la demoiselle Ixcuiq. De même les chibchas de Colombie vénéraient un fils du soleil dont les rayons fécondèrent une vierge ; et Viracocha, au Pérou, ensemença une belle jeune fille sans qu'elle s'en aperçoive.4 Nous pourrions y ajouter d'autres mythes, comme celui du déluge, connu dans toute l'Amérique Précolombienne, et celui d'un passé où existaient des géants, ce en quoi ils coïncidaient avec les traditions bibliques et gréco-romaines. Mais le plus surprenant pour les conquistadors, et pour les quelques rares personnes aptes à le voir, n'est rien de moins que de retrouver partout le symbole de la croix, qui selon des considérations circonstancielles doit se dissimuler ou se taire. En effet, cette représentation se trouve explicite dans sa forme la plus simple ou de façons dérivées, seule ou sous forme d'ensembles, dans toute l'extension du continent américain. De surcroît, le symbole dont nous parlons –qui de fait est préchrétien– constitue le schéma cosmologique de ces cultures et se présente toujours dans leurs manifestations de quelque type que ce soit. Nous nous référons aux quatre bras ou possibilités d'expansion horizontale sur l'espace plan et au centre en tant que lieu de réception et synthèse de l'énergie verticale (haut-bas), qui par la croix s'irradie ainsi dans la totalité de l'espace. Ce qui interpelle peut-être le plus les frères est la similitude entre certains rituels et les sacrements qu'ils administrent eux-mêmes. Par exemple, au sujet de la confession pratiquée par les Aztèques, Mayas et Incas, du mariage, de la communion, du baptême –duquel le réticent Diego de Landa, évêque de Yucatán, affirme cependant avec orgueil : "L'on ne trouve le baptême en aucune partie des indes sauf dans celle-ci au Yucatán (ce qui n'était pas vrai) et de plus avec un mot qui veut dire naître de nouveau ou une autre fois". Sur le thème de la communion, nous remarquerons ce que nous dit Sahagún au sujet de la cérémonie célébrée en l'honneur de Huitzilopochtli, au cours de laquelle le peuple communiait en mangeant un morceau de la statue du dieu, confectionnée à telle fin avec une friandise appelée alegriaI, toujours populaire dans le Mexique contemporain.5 La véritable importance de ce sujet est le fait que le sacrifice rituel d'animaux suivie de leur ingestion immédiate à certaines dates et lieux précolombiens –chose vérifiable dans la presque totalité des cultures et encore aujourd'hui dans des communautés "primitives"– constituait un acte sacré d'importance vitale, aussi bien individuelle que collective. Le sacrement chrétien de l'eucharistie symbolise au moyen du pain et du vin ce que d'autres traditions illustrent par leurs équivalents : la chair et surtout le sang comme moyen de communion avec la divinité. Nous croyons que c'est sous une perspective similaire que pourraient peut-être se comprendre les sanglants sacrifices humains perpétrés en honneur du soleil, comme aliment pour le créateur et le conservateur de la vie.6 En tout état de cause, ces similitudes entre les civilisations du Nouveau et du Vieux Monde n'ont rien de casuel puisque les symboles et les mythes fondamentaux de toutes les cultures sont en essence manifestement les mêmes, à notre ignorante stupéfaction.7 Notre surprise cède dès que nous procédons à étudier et vérifier cette affirmation et aussi lorsque nous songeons à ce que représentent en réalité ces symboles et mythes, c'est-à-dire les pensées universelles qu'ils expriment qui, partout les mêmes, découlent d'une Connaissance et d'une Tradition commune, que nous pourrions appeler "non historique" ou encore mieux, "métahistorique". C'est pour cette raison que la Symbologie utilise la comparaison entre symboles de différentes civilisations comme méthode pour illuminer les symboles particuliers, système que nous appliquerons à ce texte en rapport avec l'ensemble des cultures américaines –dans la mesure de nos possibilités–, et la mosaïque aux multiples facettes où s'exprime la pensée précolombienne. 
Codex Madrid
Actuellement personne ne nie sérieusement l'origine sacrée de toute civilisation dès lors que ses traditions la déclarent mythique et métaphysique. De cette origine se détachent par ailleurs ses connaissances, arts, sciences et industries, y compris la fondation de ses cités (pour les sédentaires), et le nom ou l'identité de ses habitants. Dans ce sens, ces manifestations sembleraient répondre unanimement à une idée archétypale de laquelle découlent les modèles culturels et les structures religieuses, économico-sociales et politiques, les comportements, les us et coutumes. Malgré les multiples formes d'expression de ces cultures traditionnelles, c'est cependant pour cela que l'on peut découvrir entre elles de si étonnantes analogies, puisqu'elles se rapportent toutes à la même chose. C'est là ce qui nous permet à notre tour d'effectuer des relations et des assimilations également surprenantes. 

Les historiens des religions circonscrivent et situent dans l'espace et le temps la culture qu'ils étudient, bien que les meilleurs d'entre eux, Mircea Eliade à leur tête, conduisent leurs investigations à la structure même de la religion, exprimant son origine intemporelle. La Symbologie ne prend pas en considération, si ce n'est accessoirement, les conditions historiques dans lesquelles est produit le symbole, soulignant en revanche les valeurs non historiques, donc essentielles et archétypales. Mais surtout, ce qui différencie le symbologiste et l'historien des religions est leur attitude face à la connaissance. En effet, le symbologiste ne considère pas les symboles, mythes ou rites seulement comme des objets statiques –qui ont une histoire– mais aussi comme des sujets dynamiques toujours présents, qui se manifestent maintenant. Autrement dit, capables de remplir une fonction médiatrice entre ce qu'ils expriment dans l'ordre sensible et l'énergie invisible –la pensée– qui les a engendrés. à cet aspect, il n'existe pas d'histoire des symboles. Non seulement pour leur reconnaître une origine intemporelle, mais aussi parce qu'ils sont en majorité communs à de multiples cultures et apparaissent dans de nombreuses traditions séparées dans l'espace et le temps –tout comme s'ils étaient consubstantiels avec l'homme et la vie–. L'on peut même parfois en trouver d'identiques quant à leurs significations les plus éloignées (par exemple au sujet de la "sorcellerie"), ce qui peut être donné à chacun d'observer et de comprendre, avec un peu de patience et de bonne foi. Cela conduit à reconnaître une origine commune ou à accepter l'idée d'une tradition historique unanime, ce qui est certainement valable si l'on tient compte des énormes cycles comprenant non seulement des dizaines de cultures –ignorées pour leur plus grande part– mais aussi de profondes altérations géographiques de la terre, comme des changements dans la position des pôles, en correspondance avec des phénomènes célestes, etc.8 C'est pourquoi le symbologiste préfère s'attacher au symbole en soi –sans négliger son contexte–, en tant qu'objet non seulement comparable à un autre, mais qui de plus est considéré comme le sujet de la réalité toujours existante qui l'a façonné et qu'il exprime directement. C'est l'idée tout à la fois manifestée et occultée par le Symbole qui intéresse la Symbologie. C'est pourquoi le symbologiste n'aspire pas seulement à la compréhension historique ou purement intellectuelle du symbole, mais à sa connaissance métaphysique, à son appréhension supra-intellectuelle –obtenue avec son concours–, à l'identification ou incarnation de l'essence de ce que manifeste le mythe ou le symbole ; tout comme les peuples les ayant élaborés à cette intention, qui les utilisaient comme supports ou vecteurs cognitifs entre différents plans d'une réalité qu'ils considéraient unique et sacrée, attestée par ces symboles et ces mythes. En d'autres termes, le symbologiste ne s'occupe pas, sauf d'une façon secondaire, des symboles pris dans une perspective historique ou simplement "intellectuelle" mais, tenant compte de l'identité des symboles traditionnels apparus en différents temps et lieux –matériel obtenu de L'Histoire des Religions et de La Religion Comparée– tente de comprendre, expérimenter, intégrer le concept ou l'idée que ces symboles représentent et dont ils sont les émissaires.9 Ceci est particulièrement valable dans l'étude et la méditation sur les manifestations humaines, à savoir culturelles, en tant qu'ensemble symbolique où la trace d'une histoire invisible et éternelle –archétypale– se projette dans les formes temporelles du visible.

II
Comme nous le précisions dans la note initiale par une référence personnelle, nous n'avons pas appliqué littéralement à la tradition précolombienne ce que nos études nous ont appris d'autres civilisations traditionnelles, mais c'est au contraire imprégnés du monde des antiques américains, de leur atmosphère, de leurs règles et manières qui nous sont familières, que nous sommes arrivés à comprendre l'identité des symboles, mythes et rituels de la Tradition unanime, qu'elle soit vivante ou semble morte. Sans doute, les schèmes de notre pensée, la façon de concevoir et de nous rapprocher du passé précolombien sont aussi européens que ceux de tous les investigateurs de notre connaissance. La raison en est notre éducation, car les structures mentales de tous les occidentaux actuels –et c'est ce que nous sommes– sont analogues, à commencer par la détermination qu'imposent la logique et les schémas linguistiques, ainsi que les règles de notre éducation et nos actions, bien que beaucoup d'entre nous ne s'en aperçoivent pas ou pensent le contraire. Nous remarquerons par ailleurs que le fait d'être né en un lieu déterminé du Nouveau Monde, ou d'être du même sang que les peuples créateurs des civilisations précolombiennes, voire parler leur langue, n'est qu'un avantage secondaire pour la compréhension de la cosmogonie indigène originelle.10 Les Grecs contemporains ne savent presque rien de leur passé mythique et de leurs antiques croyances, et même à l'époque de Platon ils étaient allègrement ignorés de la majorité. Dans d'autres cas, comme pourrait l'être celui d'une tradition vivante, hindoue par exemple, il arriverait qu'un étranger, né en dehors, puisse la comprendre et la vivre beaucoup plus profondément et véritablement –dans ce qu'elle est– qu'un simple dévot tenaillé par la superstition et la confusion des images, ainsi qu'il arrive en général à la plus grande part des hindous actuels. C'est autre chose lorsque les membres d'une tradition connaissent parfaitement, et pas seulement de manière extérieure ou superficielle, le sens de leurs symboles, mythes et rites –qui doivent toujours être appris– et surtout si l'on tient pour évident ce qu'ils sont, c'est-à-dire que l'on comprenne leur fonction médiatrice et transcendantale, comprise dans le cadre de la cosmogonie originelle qu'ils décrivent, dont l'expérience produit un état de conscience auquel on peut accéder grâce à l'initiation dans la connaissance provoquée par ces mêmes symboles, mythes et rites. Certainement, celui qui aura expérimenté ces concepts et reconnu les formes dans lesquelles ils se manifestent, engendrant telle ou telle culture, pourra alors comprendre l'essence de cette culture, sa raison d'être –même historique–, son idée de l'espace, du temps, du mouvement, du nombre, de la mesure, du langage, et par là même de sa pensée dont découlent toutes ses actions et créations, qui s'expriment au travers de manifestations symboliques. 

Afin de pouvoir assimiler la réalité, pour s'y intégrer, il est indispensable d'en avoir d'abord une description, quelle qu'elle soit, bonne ou moins bonne.11 L'homme procède toujours ainsi encore qu'il l'ignore ou le nie. Une conception du monde où la terre est plane et est aussi le centre de l'univers est aussi valable qu'un système descriptif tridimensionnel où la terre est une sphère tournant autour du soleil, son axe. Ceci peut s'appliquer –sujet en rapport direct avec ce qui précède– à la représentation graphique plane et son extraordinaire pouvoir de synthèse et suggestion en opposition avec les contrastes d'ombre-lumière et perspective qui caractérisent l'art occidental des derniers siècles, ainsi qu'à la géométrie plane, ainsi nommée en comparaison avec la géométrie spatiale. 

Hors de notre champ mental –et tant qu'il ne s'ouvrira pas– il est impossible de comprendre quelque chose qui nous soit complètement étranger. C'est ce qui arriva aux européens avec les indigènes à l'époque de la conquête espagnole, et c'est encore actuellement le principal écueil devant nos efforts pour nous rapprocher de ce patrimoine traditionnel si riche et complexe. Tout nous laisse croire que la majorité des religieux, soldats et fonctionnaires qui arrivèrent en Amérique ignoraient la véritable signification, la réalité intime de leurs propres symboles, sacrements et institutions, sinon tout au plus d'un mode pieux et moral (à titre de coutumes et bonnes manières), ou légiste, officiel et administratif mais en aucune façon métaphysique ni ésotérique, ce qui démontre précisément qu'ils ne les connaissaient pas dans leur totalité. Nous ne devons pas nous en étonner, car jusqu'à nos jours le panorama involutif d'Occident n'a pas changé, qui commence précisément à être patent à la Renaissance, ce qui est dû par ailleurs à des raisons cycliques. Il est permis de croire qu'une chose similaire avait lieu au sein des sociétés précolombiennes à l'arrivée des espagnols, surtout parmi la masse du peuple y compris la plus grande part de ses chefs et meneurs, bien que l'on pourrait faire quelques distinctions entre les diverses cultures qui formaient la carte de l'Amérique ancienne. Il y a cependant une différence : les sages et hauts prêtres indigènes semblent connaître –cela peut se vérifier dans divers documents– ou avoir connu très peu de temps auparavant les secrets de la vie, de la cosmogonie et la déité, tandis que les religieux chrétiens –sauf quelques honorables exceptions quant à science humaniste ou "classique"–, au mieux ne semblent être que gens dévots ou bien intentionnés, voire fonctionnaires de la couronne, espions, fanatiques de la conversion massive d'infidèles, mais jamais hommes de connaissance dans le véritable sens du terme.12 Pour beaucoup de ses prélats, l'opinion "officielle" de l'Église au sujet des traditions précolombiennes est toujours celle qui les jugeait inspirées par le démon et qu'elles étaient, et sont encore, le produit idolâtre de l'ignorance la plus obscure ou d'une ingénuité candide et infantile. Ce fanatisme proche du mépris absolu pour ce que l'on ne connaît pas –avec tous les arguments qui désignent et soulignent l'exercice du pouvoir– explique en partie la cause de l'extinction quasi totale de la sagesse qui créa ces grands monuments et œuvres d'art qui nous stupéfient aujourd'hui, mais aussi et fondamentalement son modèle cosmogonique, ses calendriers astronomiques et rituels, les écritures hiéroglyphiques, symboliques et idéographiques, donc les structures de pensée qui firent s'épanouir la vie au sein de ces cultures. La perte est affligeante et plus encore lorsque l'on parvient à comprendre, au travers des fragments qui sont arrivés jusqu'à nous, la magnitude et la qualité de ces civilisations traditionnelles, comparables aux plus sages et raffinées du monde entier, mais avec dans certains cas des formes, des originalités si subtiles et élaborées, et dans d'autres cas si surprenantes que l'on ne peut les trouver nulle part ailleurs. Qui aura laissé le fasciner l'atmosphère et la beauté des civilisations précolombiennes comprendra parfaitement ce que nous voulons dire. Nous donnerons un exemple simple d 'originalité, à peine atteint par la mythologie grecque. Il s'agit dans ce cas des mythes mayas de la création, qui s'expriment sur un mode clairement humoristique,13 mais d'un comique gras et rude, quand ce n'est pas grand-guignolesque. Car toute gestation, celle du soleil, de l'homme, du maïs, semblerait être fruit de la duperie, la moquerie, la difficulté, la contradiction, le châtiment ou la vengeance, exprimés sous une forme presque autant cynique et sardonique que désinvolte et qui par sa crudité pourrait sembler choquante. Le sacrifice et l'assassinat rituel, et la constante contradiction des opposés se superposent en une astucieuse danse de rythmes contraires, désopilante et échevelée, où domine la présence permanente de la discontinuité, de l'inopportun et de l'absurde, du paradoxe absolu et de l'irréel, et où l'unique élément constant est la transformation des êtres et la mutation des formes qui apparaissent et disparaissent, meurent et naissent formant part d'une même substance universelle. Cette description des origines (soit la forme que prend pour eux toute conception), est basée sur quelque chose absolument extraordinaire, stupéfiant, disproportionné, peut-être monstrueux et certainement sacré, qui déclenche l'hilarité en réaction immédiate –d'attirance et de rejet– et provoque le fou rire comme une forme d'évocation de ce fait étonnant ou divin, du temps intemporel, appelant ainsi l'esprit au moyen de l'exaltation, la joie démesurée –pouvant produire un état analogue à celui du temps mythique– , les plaisanteries, fêtes et libations rituelles.14 Il sera peut-être nécessaire de faire un effort psychologique à chaque fois que nous rencontrerons des exemples de ce type dans nos recherches sur le monde précolombien et, en général, dans toutes les études universelles se référant à symboles, mythes et rites car ils sont, en tant que manifestations du sacré, bien différents de ce que l'homme ordinaire prétend ou imagine. Si ce travail ne se fait pas et nous ne sommes pas au moins capables de modifier notre perspective, de changer de point de vue au sujet de la compréhension de ces expressions, elles nous apparaîtront comme d'une ignorance grossière, simpliste et pleine de superstition selon les moules et les programmes dans lesquels la divinité, le sacré, est étroitement relié à la pompe, la solennité, le "sublime", les manières extérieures et l'hygiène, quand ce n'est pas avec une prétendue austérité égoïste et stérile, non créative, ou une activité dévote et moraliste.

 
NOTES
1 L'attention est attirée par la similitude existant entre le nom hébreu Adam = rouge et la couleur raciale que s'attribuaient eux-mêmes les habitants d'Amérique, couleur par ailleurs octroyée dans d'autres traditions aux habitants de l'Atlantide.
2 Encore au XIXe siècle, le presbytérien D. Juarros, s'appuyant sur l'autorité de F. de Fuentes y Guzmán, nous dit dans son Compendio de la Historia del Reino de Guatemala :"les dits Toltèques étaient de la maison d'Israël, et que le grand prophète Moïse les enleva de la captivité où les maintenait Pharaon..." Traité IV, Chapitre 1. Editorial Piedra Santa. Guatemala, 1981. Même les sages indigènes, comprenant sûrement ce que les 'généalogies' expriment d'archétypal et de symbolique, en sont venus à dire : "Nous sommes les petits-fils des aïeux Abraham, Isaac et Jacob, qui s'appelaient ainsi. Nous sommes aussi ceux d'Israël." Historia de los Xpantzay de Tecpan (voir Recinos dans la bibliographie).
3 Lorsque nous nous référons à la tradition précolombienne, il est bien sûr que nous généralisons, puisque de fait nous nous référons à de nombreuses cultures plus ou moins indépendantes –comme leurs langues– distribuées sur toute la surface de l'Amérique, mais qui gardent une évidente relation entre elles, ce qui nous permet de les traiter dans leur ensemble. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
4 Pour les Talarnancas de Costa Rica, Sibú, un enfant-dieu, naît d'une femme mise enceinte par le vent.
5 Ils le faisaient aussi dans d'autres fêtes avec les effigies de Tezcatlipoca (selon Motolinía) et d'autres divinités.
6 L'on connaît les sacrifices humains en l'honneur de Varuna chez les hindous, peuple dont on ne peut nier la religiosité.
7 L'Inca Garcilaso de la Vega nous prévient au sujet des "histoires" de ses ancêtres : "Celui qui les lira pourra les confronter à l'envi, beaucoup en trouvera de semblables aux antiques, ainsi de celles des Saintes Écritures comme des profanes et fables de gentilité ancienne". (Commentarios Reales, première partie, chapitre 5). Ce commentaire acquiert un intérêt particulier si l'on songe que le chroniqueur, métis, fils d'un hidalgo espagnol et d'une princesse péruvienne, connut le monde indigène d'une façon directe dans son enfance et adolescence, recevant une double éducation et, résidant par la suite en Espagne et autres lieux d'Europe, passait pour un "homme cultivé" parmi ceux de son temps. 
8 Le dernier de ces grands changements est pour Platon la disparition de l'Atlantide, située précisément dans l'océan qui prend son nom –lequel sépare le Vieux et le Nouveau Monde–, "au-delà des colonnes d'Hercule", ce qui semble être un dénominateur commun à la plus grande partie des traditions historiques, encore que très éloigné dans le temps. Jusqu'à la fin du XIXe siècle et le début de celui-ci la théorie d'une origine atlantique des Indiens américains a subsisté. (voir Marcos E. Becerra, Por la Ruta de la Atlántida). Durant les XVIe et XVIIe siècles c'était une thèse commune comme en témoigne la bibliographie (voir par exemple :Origen de los indios del Nuevo Mundo de Fray Diego García, livre IV, chapitre 6, Crónica de la Nueva España de Francisco Fernández de Salazar, livre I, chapitre ", où l'on cite aussi Agustín de Zárate et l'une de ses œuvres sur la découverte et la conquête du Pérou, etc.) , ainsi que la comparaison des esprits, symboles et rites précolombiens avec les divinités et mythes gréco-romains, et les religions abrahamiques. La Renaissance et même l'après-renaissance étaient encore trop proches de la tradition pour pouvoir railler ou qualifier de fantaisistes des choses qui, pendant des siècles, avaient été acceptées des gens les plus savants et cultivés de l'époque, comme l'existence de l'Atlantide, ou les correspondances et équivalences entres différents dieux de divers panthéons et cultures. C'est seulement avec le rationalisme, l'évolutionnisme, et finalement le positivisme, que ces idées sont considérées comme vieillottes et objets de railleries. Pour éviter toute confusion dès à présent, l'auteur déclare que le point de vue où il se place n'est affecté d'aucune façon par ces trois "ismes" philosophiques qui débouchent l'un dans l'autre de manière naturelle et historique, complémentaires, lesquels il connaît fort bien et qu'il considère les promoteurs de la chute vertigineuse de la société contemporaine. Le rationalisme établit une division catégorique et illusoire entre le corps et l'âme et isole l'esprit de son contexte. À partir de là, tout est dual : dedans et dehors. L'évolutionnisme est pure science-fiction. Les espèces sont fixes et l'idée de progrès indéfini est une échappatoire comme une autre. Le positivisme rend de plus en plus empirique la méthode de connaissance et 'matérialise' et solidifie plus que jamais les quêtes de la pensée, la science et l'art.
9 L'on pourrait peut-être dire –non sans quelque prétention– que le travail du symbologiste commence là où s'achève celui de l'historien des religions. 
10 Une tradition –vivante ou morte– n'est pas l'apanage d'un pays ou d'un groupe. Comme elle forme part de la Tradition Primordiale et Unanime, elle est patrimoine de l'homme, de l'humanité. Et cela est dicté par son propre caractère, son universalité conceptuelle. 
11 Même la société contemporaine, dans son involution, prétend ordonner une série d'événements empiriques à ces fins bien que son immense orgueil l'a menée à construire une authentique tour de Babel. Une prison dont les occupants sont sujets à la terreur et torturés systématiquement. 
12 Les Américains étaient plus 'primitifs' (comme heureusement l'avaient été les grecs orphiques par rapport aux 'classiques'). Les Espagnols avaient perdu le niveau spirituel et intellectuel acquis pendant le règne d'Alphonse le Sage, qui fit de Tolède la Jérusalem d'Occident.
13 Également parmi diverses autres cultures nord-américaines, méso-américaines et sud-américaines.
14 Dans le rapport que fait le licencié Gómez Palacio sur La Provincia de Guatemala, las costumbres de los indios y otras cosas notables, l'on peut lire ce qui suit : "Si s'enivraient et buvaient à l'excès ces gens, ils ne le faisaient pas tant par vice que parce qu'ainsi ils croyaient rendre un grand service à Dieu, et ainsi la majorité qui s'enivrait le plus était le Roi et les Seigneurs principaux. D'autres ne s'enivraient pas mais ce n'était point qu'ils soient de moindre valeur sinon parce qu'ils devaient gouverner la terre et Pourvoir aux commerces du Royaume, tandis que le roi était occupé de cette Religion et s'enivrait."