FEDERICO GONZALEZ - MIREIA VALLS |
Mahzor italien, 1441. Jérusalem, Institut Schocken, Ms. 13873, folio 67 |
LA CABALE DE PROVENCE ET DE GÉRONE |
Pour ce qui est appelé la Cabale historique, c’est-à-dire l’expression en temps chronologique de l’héritage éternel et toujours actuel de l’ésotérisme juif, la région de Provence a représenté la terre fertile qui, au XIIe et début du XIIIe siècle, a recueilli les semences de cet héritage supranaturel et engendré de nouvelles formes de véhiculer et transmettre la moelle d’une doctrine qui se trouvait alors très atténuée, en partie à cause de l’affaiblissement dû à la diaspora du peuple d’Israël (donc en raison de conditions cycliques inhérentes à toute manifestation), et avait besoin d’être régénérée. De plus, ne l’oublions pas, ces régions du Languedoc ont été le confluent de diverses expressions d’ésotérisme de traditions différentes, comme dans le cas de la présence des Templiers, ces moines-guerriers chargés de garder et transmettre l’ésotérisme chrétien, ou l’existence d’organisations initiatiques fondées sur un modèle de chevalerie s’inspirant de la symbolique des Cours d’Amour, ou de guildes de maçons qui s’appuyaient sur le métier de constructeur à des fins d’édification intérieure et spirituelle, ainsi que de cercles d’initiés de l’Islam ou encore d’adeptes solitaires qui suivaient leur chemin de réalisation intérieure à la belle étoile ; tout cela constituait une conjoncture où le flux ésotérique coulait avec force et, bien que les apparences lui prêtassent différentes vêtures, il n’était au fond recherché et éprouvé qu’une seule et unique Vérité. Cette ardeur intérieure eut également des répercussions dans le domaine exotérique : ainsi, de nombreux centres d’enseignement, principalement de médecine mais aussi d’autres arts et sciences traditionnels, avaient fleuri dans des villes comme Montpellier, Narbonne, Lunel, Posquières, Carcassonne, Béziers ou autres. Ces écoles avaient reçu de grandes quantités de manuscrits en arabe sur des textes grecs (de sages néoplatoniciens, néo-pythagoriciens, gnostiques, etc.) qui furent traduits en hébreu puis en latin, permettant ainsi que ces connaissances (de médecine, mais aussi d’alchimie, de mathématiques, d’astrologie, de musique, de magie, et d’autres sciences encore) arrivent entre les mains des initiés des divers courants mentionnés, lesquels se sont nourris de ces enseignements et purent ainsi actualiser la doctrine ésotérique.60 En ce qui concerne les hébreux qui vivaient dans cette région du pourtour méditerranéen, l’on sait qu’ils jouissaient d’une bonne position sociale (bien que non exonérée de luttes ni de tensions), occupant diverses charges publiques et postes de confiance, outre une participation active à la vie culturelle, artistique et commerciale, ainsi qu’à l’enseignement et la diffusion d’innombrables branches du savoir. Beaucoup avaient apporté avec eux les connaissances acquises au cours de leurs pérégrinations à travers les terres d’Alexandrie, de Byzance, de Perse, d’Afrique du nord, etc. ; en outre, ils dominaient souvent plusieurs langues, ce qui leur a permis d’apporter une contribution fondamentale à la traduction de beaucoup des livres et écrits parvenus dans cette région.61 Au sein de ce substrat fécond, de petits groupes de sages ou d’initiés juifs concevaient la vivification de leur ésotérisme, et la Cabale vivait une période que l’on pourrait qualifier d’embryonnaire. Les historiens ont retenu les noms d’une saga spirituelle, qui fut la promotrice ou le ciment de cette réélaboration, Abraham ben Itzhak de Narbonne à sa tête. L’on dit de ce cabaliste que, président de la cour rabbinique de Provence et talmudiste éminent, il avait hérité l’essence de sa tradition –reçue en partie, selon G. Scholem, de Yehoudah ben Barzilaï de Barcelone62– mais ne l’avait jamais révélée dans ses écrits, l’ayant toutefois transmise oralement dans son entourage proche, en particulier à son fils, Abraham ben David, au sujet duquel M. Eisenfeld nous explique :
Et, pour nous donner une idée du climat d’investigation et d’ouverture intellectuelle qui entourait ce cabaliste et son groupe, il ajoute :
Mais le personnage le plus connu de cette famille est sans conteste le descendant d’Abraham ben David, Isaac, surnommé l’Aveugle65, pas autant pour une carence de vision du monde perceptible par les sens (ce qui ne pourra jamais être vérifié) que parce que ses expériences d’ordre cosmogonique lui avaient permis d’acquérir une telle richesse de lumière intérieure qu’il en avait été aveuglé, ouvrant ainsi la porte sur l’incommensurable réalité de l’au-delà du Cosmos, de la métaphysique dont sont imprégnés tous ces écrits et nombre des enseignements qu’il a légués à ses disciples. Isaac naquit probablement à Posquières ou à Narbonne, et mourut vers 1235. L’on ne connaît guère plus de sa vie individuelle, comme cela est assez habituel chez les initiés juifs qui menaient une existence en marge de la communauté et entièrement consacrée à la contemplation66, à l’étude de leur tradition et à la transmission de la doctrine à quelques rares adeptes qualifiés. Ces sages étaient appelés perusim, ce qui signifie écartés ou séparés, ce qui ne veut pas dire qu’ils vivaient étrangers au monde, mais qu’ils savaient profiter des conditions propices à la concentration que leur donnait ce mode de vie et se libéraient ainsi des entraves et de l’esclavage de l’éphémère et de l’urgence, et pouvaient donc se plonger dans les plus profondes investigations sur l’être humain et l’univers, ou sur le Monde au sens le plus large. Ainsi que le déclare Isaac dans l’un de ses manuscrits, le premier pas, et le principal, sur ce sentier de Connaissance, est de s’y consacrer sans restrictions mentales d’aucune sorte :
Bien qu’il n’ait pas été très partisan de laisser par écrit les arcanes qu’il déchiffrait, et encore moins de les faire connaître aux profanes, un extraordinaire Commentaire du Sefer Yetsirah67 écrit de sa main a été conservé, un autre de son Job, et environ soixante-dix fragments dispersés qui, dans un langage parfois très cryptique et énigmatique, sont la synthèse des spéculations opérées dans l’âme de ces initiés qu’illuminait non seulement la transmission horizontale de leur chaîne traditionnelle, mais également la verticale, puisque l’on dit de plusieurs d’entre eux, parmi lesquels Isaac lui-même, qu’ils avaient reçu l’influx du prophète Elias, ainsi que nous le verrons plus loin. G. Scholem a consacré une partie de son étude sur Les Origines de la Kabbale à des recherches sur ce cabaliste et son entourage, soulignant surtout les aspects doctrinaux où se profile et se précise le modèle de l’Arbre séfirotique. Il nous déclare :
Il précise, dans un autre livre :
Or toutes ces dénominations auxquelles Scholem porte un intérêt éminemment systématique ne représentent pas pour Isaac l’Aveugle un but classificatoire et paralysant mais, comme les symboles qu’elles sont, constituent plutôt les véhicules pour nommer ce qui peut être dénombré, pesé ou mesuré, et donc être connu, de l’Innommable. Les mots sont des évocations de réalités supérieures ou plus intérieures, d’où l’emploi par ce cabaliste d’expressions universelles présentes non seulement dans l’idéologie du peuple juif, mais aussi dans celle de nombreuses autres traditions de la terre, tel que le symbole de l’arbre comme modèle du Cosmos, ou celui du feu, des flammes et des braises qui est assimilé à l’Esprit d’où surgit tout et où tout retourne, ou encore celui de la montagne qui entoure le Tout et son Principe, et dont les entrailles sont creusées de veines et de tunnels, symbolismes qui correspondent aux sentiers unissant les sefirot et où circulent les vibrations qui animent l’Univers. Toutes ces images possèdent un grand pouvoir et provoquent chez le chercheur de trésor occulte la nécessité impérieuse de plonger à l’intérieur et téter directement à la source et la racine de l’existence. Le mot « téter » est un terme clef dans la didactique d’Isaac qui l’emploie pour évoquer la succion et l’ingestion d’un liquide nutritif qui n’est autre que l’Esprit qui se donne et se reçoit lui-même, donc l’unique qui nourrit, emplit et rassasie. Il déclare, résumant ce mystère en quelques lignes :
Poursuivant cette méditation sur le véritable savoir (car, ainsi que le fait observer Isaac à la fin de la citation précédente, il ne faut pas le confondre avec une connaissance rationnelle et limitée), le cabaliste s’interroge constamment et recherche les réponses au fond de son cœur ; et à travers ce questionnaire vital il trace un itinéraire dans les régions de la Pensée et tisse un discours qui ne prétend pas à la perfection de la forme, ni à embrasser les possibilités indéfinies de tout ce qui pourrait être dit, mais à déchirer les voiles occultant la Réalité pour que celle-ci affleure, et pouvoir réaliser simultanément le processus de réunion de tout ce qui est dans la virtualité du Principe. Avant tout, cette rédaction du commentaire du Sefer Yetsirah est pour Isaac l’Aveugle un rite, c’est-à-dire un acte sacré où il rassemble la conception révélée de la structure organique du Cosmos (cristallisée dans les dix sefirot et les trente-deux sentiers) et l’itinéraire qui doit être suivi pour sa recréation permanente, ce qui convertit l’être humain en mage ou théurge, dans toute l’acception du terme. Peu à peu, cette glose inspirée déroule l’écheveau dont le fil lumineux est un guide sur le sentier initiatique :
Nous pourrions donc dire que ce Commentaire est une permanente louange à la non dualité entre l’Être et le Non-Être, comme on le perçoit dans ce fragment :
Et dans cet autre encore :
Quant à Eyn Sof, sans-fin ou Infini –terme qui apparaît pour la première fois dans les écrits de ce sage médiéval–, il ne s’agit pas de quelque chose qu’il tenterait de définir par ce mot, car ce n’est rien dont on puisse dire « c’est ceci ou cela ; tout, peu, beaucoup ou presque rien », mais devant l’impossibilité de s’y référer et d’embrasser ce que signifie une telle réalité métaphysique, cette désignation n’est qu’une insinuation afin que l’être humain puisse prendre conscience (pas en tant qu’individualité, mais parce que son intérieur abrite le germe de l’illimité, du supranaturel et du supra-essentiel) de cet état non conditionné, non cognoscible et libre de toute détermination, qui est le but du parcours initiatique. Dans la fusion avec cet Océan sans fin, suspendu éternellement dans la vérité, il ne serait plus nécessaire de penser, de parler, de faire, ni de promouvoir ; mais c’est néanmoins une constante chez les êtres humains ayant atteint ces états spirituels que de répéter le geste gratuit du Scribe ou de l’Auteur (ce sont les termes employés par Isaac pour faire référence au Principe du Cosmos) et contribuer ainsi à la régénération des possibilités d’Être. Mais quelle est la manière de se joindre à ce rite sacré ? Pour Isaac l’Aveugle, c’est le langage, émané du Verbe ou du Fiat Lux, qui est le symbole cosmogonique par définition :
Et l’être humain, univers en petit, est chargé d’actualiser la vie de l’Être Universelle par l’intermédiaire de ce code symbolique, car :
Ce parush a été un chaînon clef dans la chaîne de transmission de la Cabale naissante. Les modèles et appuis symboliques qu’il avait entrevus et suggérés –encore inachevés, pourrions-nous dire, tendres et ouverts au mûrissement qui s’opérera avec les apports de ses héritiers spirituels–72 eurent une profonde empreinte sur le développement postérieur de l’histoire de l’ésotérisme juif, comme nous le verrons dans ce qui suit. En ce qui concerne cette gestation intellectuelle en terres provençales, il nous faudrait encore ajouter que d’autres cercles d’initiés, en particulier celui qui est connu sous le nom d’Iyyun (Contemplation)73, dont n’a transcendé, tout à fait volontairement, aucun des noms de ses membres– ou d’autres n’ayant laissé que quelques traces pseudépigraphiques, ont également participé à ce processus constructeur, encore plus secrètement, en raison du danger qu’ils voyaient dans la diffusion d’enseignements aussi intérieurs et si difficiles à comprendre par des profanes. La transmission de la moelle a toujours exigé une subtile alchimie, un équilibre paradoxalement instable entre donner-recevoir-rendre mais aussi ininterrompu, garantissant ainsi la transmission à celui qui la mérite, c’est-à-dire celui qui la cherche avec un cœur pur. Parmi ces écrits pseudépigraphiques, nous voudrons vous offrir ce fragment qui permettra au lecteur de pénétrer et reconnaître les symboliques conjuguées et harmonisées en un chant unique :
Toutes ces productions de Provence –le Bahir sacré, les spéculations d’Isaac l’Aveugle et de sa famille, et celles du cercle Iyyun– n’étaient pas demeurées enfermées dans cette région, mais avaient également étendu leur influence de l’autre côté des Pyrénées : au cours du XIIIe siècle, à Gérone (ville qui comptait une nombreuse communauté juive et possédait un important poids socioculturel et politique), émergea un noyau de cabalistes menés par Ezra, Azriel et Nahmanides (également connu sous le nom de Bonastruc Ça Porta) qui avaient assimilé la sève nourricière reçue du nord et la retournèrent multipliée. Mopsik, dans son traité Cabale et cabalistes, raconte que ce flux intellectuel ésotérique s’était propagé à la petite cité catalane de cette manière :
Des liens étroits unissaient les deux centres, non seulement parce que la doctrine s’était transmise de manière horizontale à travers l’enseignement oral ainsi que les lettres et écrits qui circulèrent entre eux, mais aussi parce que beaucoup de leurs membres avaient reçu une influence spirituelle verticale véhiculée par Élias –qui est, dans l’ésotérisme juif, une entité intermédiaire analogue au mythique Hermès Trismégiste alexandrin, à l’Hermès grec ou au Mercure romain, déité universelle que l’on retrouve, présente sous différents noms, dans toutes les cultures et tous les peuples, et qui remplit les mêmes fonctions instructrices et initiatrices–qui les avait reliés au plus haut. Le fragment suivant, du manuscrit de Ménahem de Recanati recueilli par G. Sed-Rajna, reflète cette réalité supranaturelle si propre à la transmission ésotérique, et en même temps si incomprise, voire niée, par la mentalité rationaliste et profane :
Dans l’édition du Sefer Yetsirah traduite et annotée par Myriam Eisenfeld, l’on dit à propos de ces sages :
Leur fonction se centrait fondamentalement sur la maturation et l’ampliation des nuances des enseignements cryptiques et secrets qu’ils avaient reçus des maîtres de Provence, comme celui qui recueille le précieux trésor occulte et le restitue peu à peu, afin que sa lumière et son éclat intérieur se dévoile graduellement et que sa beauté puisse être contemplée par d’autres favorisés, chez qui naîtront de nouvelles suggestions, de nouvelles possibilités de pénétrer les facettes de ce joyau inépuisable, car c’est là le symbole des infinis reflets manifestés par ce qui est totalement Illimité. Ainsi que nous l’avons déjà signalé, Azriel et Ezra ben Chelomoh (son beau-frère ou son beau-père, le lien de parenté qui les unit selon les sources) étaient des disciples d’Isaac l’Aveugle et deux des plus grands représentants de la Cabale de Gérone, le premier étant principalement le promoteur d’une tendance à l’ouverture en ce sens qu’il souhaitait répandre la doctrine intérieure au-delà du monde des initiés juifs. Jacob ben Sheshet avait également adhéré à ce courant et s’intéressait à conjuguer l’essence de la doctrine hébraïque avec celle d’autres formes traditionnelles79. À ces trois personnes, il faudrait ajouter Nahmanides80, talmudiste prestigieux qui avait été le patriarche de la ville, et qui avait néanmoins préféré donner son enseignement exotérique par écrit, réservant l’ésotérique, le cabalistique –auquel il fait partiellement référence dans ses textes– à l’instruction orale. Nahmanides a également contribué au développement de la Cabale à Barcelone, avec ses disciples Salomon ben Adret, Isaac Todros et David ha-Cohen qui, suivant la ligne de leur maître, léguèrent les enseignements ésotériques à un petit groupe d’adeptes et ne laissèrent que très peu de témoignages écrits.81 D’autre part, une autre fonction très importante dans la Cité Comtale a été celle d’Aboulafia, qui, comme le mentionne Moshe Idel dans son article « la Cabale à Barcelone »82, avait vécu quelques-unes de ses années d’études dans cette ville –où il eut l’opportunité de suivre les enseignements de Baroukh Togarmi et de connaître plusieurs commentaires sur le Sefer Yetsirah– en tant que promoteur de la Cabale dite extatique ou linguistique, très critiquée par les autres auteurs mentionnés. Ces tendances qui commencent à se profiler au sein de la Cabale, loin de signifier des voies divergentes comme l’affirment de nombreux historiens et érudits contemporains, répondent en fait à l’exploration entreprise par les différents sages ou initiés qui cherchaient et suivaient des voies distinctes pour appréhender les mystères de leur tradition, les vivant parfois de manières apparemment contradictoires, avec les tensions, les attractions, refus ou conjonctions propres au processus vital et organique par lequel l’Être Universel et unique se régénère en permanence et exprime ses infinies modalités de manifestation, bien qu’au fond tout émane et retourne au même point. Sans la compréhension de cette unité essentielle au sein de la Cabale, tout serait perçu comme une division et une fragmentation, mais en partant de l’unité dans le Principe, ce n’est alors que l’expression d’une richesse sans fin. Ainsi tous ces érudits, pris non pas comme des individualités mais comme les composantes d’une entité universelle, ont été, avec ceux de Castille, les prédécesseurs de la Cabale proprement dite qui atteindrait son apogée avec la publication du Zohar. |
NOTES | |
60 | La tradition est constamment
régénérée grâce aux synthèses et
adaptations qui ont lieu cycliquement, mais ces opérations ne sont jamais
synonyme de syncrétisme ou d’invention –aspects qui sont
liés à la pensée rationnelle, aux opinions individuelles et
aux caractères relatifs– : elles obéissent à
l’intervention d’une faculté supra-naturelle
appelée intuition intellectuelle, et sont toujours inspirées
par les principes universels immuables auxquels elles font
référence. |
61 | Dans un curieux paragraphe appelé
« Les Juifs du Languedoc » de l’ouvrage Ordo
Laicorum ab monacorum ordine de E. R. Callaey, l’on peut trouver cette
indication : « … en la Provence, plus
précisément à Narbonne, l’ancienne principauté
de Septimanie, où grâce à une alliance entre Pépin le
Bref et le Califat de Bagdad, est établi un vaste territoire sous le
contrôle d’une communauté juive menée par Makhir,
exilarque des juifs de Babylone, dont l’influence dans le Midi se fera
sentir durant des siècles, même après avoir
été noyée dans l’histoire avec les échos des
derniers cathares. »
« L’alliance de Pépin le Bref avec l’exilarque
de Babylone –descendant en ligne directe du roi David– dépasse
le cadre politique. Makhir ne contrôle pas seulement la principauté
de Narbonne, mais se marie avec la sœur du roi –la princesse Aude
Martel, fille de Charles Martel– établissant ainsi un lien de sang
entre la lignée davidique et les maisons royales européennes. Ce
fait historique, si peu observé, à l’instar de
l’influence juive dans le mouvement bénédictin,
s’avère être un grand défi pour la
compréhension de la construction du judéo-christianisme
médiéval. »
|
62 | Le Dictionnaire des Auteurs Juifs (Sefarad.
Xe-XVe siècle) parle de ce sage du XIe ou XIIe siècle, qui fut rabbin de Barcelone et
probablement le disciple de Yishaq ben Reuben al-Bargeloni. Pour autant que
l’on sache, il est auteur de deux traités juridiques, d’un
autre sur le calendrier liturgique et d’un important commentaire sur le Sefer Yetsirah que, bien qu’Abraham ben Yitzak de Narbonne ne le
mentionne pas de manière explicite, il semblerait avoir eu entre les
mains et, comme l’affirme Scholem dans Les Origines… :
« il est très possible que ce soit cette œuvre qui
l’ait motivé pour s’occuper par la suite du livre Yetsirah et de la gnose de la Merkabah ». |
63 | Azriel de Gérone. Cuatro textos
cabalísticos. Introduction, traduction et notes de Myriam Eisenfeld.
Riopiedras Eds. Barcelona, 1994. |
64 | Ce dernier est un autre homme de
connaissances qui, à l’instar de Yehoudah ben Barzilaï,
vécut à Barcelone au XIe ou XIIe siècle, occupant diverses charges publiques d’importance (il
a été astrologue et mathématicien du roi Alphonse Ier
d’Aragon ainsi que Nasi ou prince de la communauté juive,
entre autres fonctions) et, bien qu’il ne puisse pas être
considéré comme un cabaliste, son travail a été
fondamental en ce qui concerne la traduction, la synthèse et la diffusion
de nombreuses disciplines par le biais de son abondante production
écrite. « En philosophie, Bar Hiyya’ unit des
éléments néoplatoniciens et aristotéliciens en une
synthèse aux caractères très personnels. Dans la partie
conservée de son œuvre encyclopédique, il traite de
thèmes de géométrie, d’arithmétique,
d’optique et de musique. Ses études mathématiques, traduites
très tôt en latin, introduisirent en Europe des connaissances
fondamentales de géométrie et de trigonométrie
développées chez les Arabes. En astronomie, il présenta le
premier exposé du système ptolémaïque en
hébreu, suivant surtout al-Fargani et al-Battani ; il s’est
également occupé de sujets portant sur le calendrier, et
confectionna des tables astronomiques et astrologiques qui furent très
utilisées en leur temps. Ses descriptions géographiques furent des
siècles durant une source première d’information pour les
Juifs européens. En collaboration avec Platon de Tivoli, il traduisit
plusieurs ouvrages scientifiques de l’arabe au latin, étant ainsi
un chaînon fondamental dans la transmission du savoir scientifique
oriental en Europe ». (Dictionnaire des auteurs
juifs…). |
65 | On l’appelle également hasid, ce
qui signifie « le pieux », au sens de celui qui tend ou
adhère totalement au sacré. |
66 | Au sujet de la contemplation, Isaac lui-même a
écrit : « La sefiyah est l’intellection
d’une entité à partir d’une autre, comme dans le
verset ‘Je veillerai pour voir’ (Habacuc II, 1) qui se
réfère à l’évidence du Verbe. La sefiyah signifie que chacune des causes dépend, s’élève
et obtient la contemplation d’une autre cause supérieure à
elle. Chaque dimension attire ce qui procède d’une autre dimension
selon l’ordre suivant de manifestation : la statue procède de
la sculpture, la sculpture du tracé et le tracé de
l’invisible. Tout est inclus : un élément dans un autre
qui à son tour procède d’un autre. Tout
s’enchaîne : un élément avec un autre et celui-ci
à son tour avec un autre. Comment se reçoivent-ils
mutuellement ? Au moyen de l’élément subtil et
essentiel. » Cité dans Azriel, Cuatro Textos
Cabalísticos… |
67 | Mark Brian Sendor, dans son intéressante
thèse doctorale The Emergence of Provençal Kabbalah :
Rabbi Isaac the Blind’s Commentary on Sefer Yetsirah, (vol. I-II),
University of Michigan, Ann Arbor, 1995, offre une traduction en anglais de ce
commentaire d’Isaac dont nous avons extrait les fragments que nous
citerons plus loin. |
68 | G. Scholem. Los Orígenes…. Sagesse, Intelligence et Connaissance sont signalées par les
cabalistes dans l’Exode 31, 3. |
69 | G. Scholem. Desarrollo Histórico
e Ideas Básicas de la Cábala. Ed. Riopiedras. Barcelona,
1994. |
70 | Cité par G. Scholem dans Los
Orígenes… |
71 | Azriel. Cuatro textos… |
72 | En réalité, nous ne dirions cela
qu’à partir d’une première lecture de ses
écrits, car comment pourrions-nous connaître les états que
le sage a pu connaître ? Uniquement en passant par les sentiers
ouverts par ce cabaliste, et les ouvrant dès lors en nous-mêmes,
nous serons ce que nous connaissons et nous connaîtrons ce que nous
sommes. |
73 | Deux opuscules sont attribués à ce
groupe : La Source de la Sagesse et le Livre de la
Contemplation, outre la rédaction d’une trentaine de courts
traités. Scholem, qui étudie les deux principaux dans Los
Orígenes …, nous dit que le premier est centré sur
l’étude du nom divin YHWH et le développement de la
cosmogonie, et le second énumère les pouvoirs de la Merkabah et leurs rapports avec les sefiroth. Voir
également Mark Verman, The Books of Contemplation : Medieval
Jewish Mystical Sources, State University of New York Press, Albany, 1992.
Nous traiterons ce sujet plus loin, dans le paragraphe
« Littérature épigraphe ou
pseudépigraphe », (Chap. IV). |
74 | G. Scholem. Los Orígenes de la Cábala
II. Ce texte est cité dans une lettre de Yitshak Cohen, cabaliste de
Soria. |
75 | Charles Mopsik. Cabale et
cabalistes. Éditions Albin Michel. Paris 2003. Voir Daniel
Abrams :R. Asher ben David: His Complete Works and Studies in his
Kabbalistic Thought, Cherub Press. Culver City, Californie, 1996. |
76 | Initiales de R. Moshe b. Nahman (Nahmanides). |
77 | Cette citation est extraite du prologue de Sed-Rajna
au Commentaire sur la Liturgie Quotidienne du maître Azriel, Leiden, 1974. |
78 | Le Livre de la Formation. Sefer Yetsirah. À
la lumière des écrits des Cabalistes de Gérone. (El libro de la Formación. Sefer Yetsirah. A
la luz de los escritos de los cabalistas de Gerona. Ed. Obelisco, Barcelona,
1992.) |
79 | Le Dictionnaire des Auteurs Juifs signale que
parmi les œuvres de Jacob ben Sheshet se trouve Mesis debarim
nekohim, où il développe les théories cabalistiques sur
la Création et critique les postures entachées de rationalisme
implantées par Maimonide ; Sefer ha-emunah we-ha-bittahon (édité à Venise en 1601), traité où il
défend la possibilité d’interpréter librement la
Torah et Sa’ar ha-samayim, le premier écrit cabalistique en
prose rythmée, où il est fait référence aux 10 sefiroth, au thème de la Volonté et à celui de la
transmigration des âmes. |
80 | L’on dit également que ce dernier, outre
avoir reçu les enseignements d’Isaac l’Aveugle, avait
été disciple de Yehoudah ben Yaqar, un cabaliste né
à Narbonne (XIIe –XIIIe siècle) qui
s’était établi à Barcelone, y étant juge
religieux dès 1175, et qui semblerait y avoir résidé
jusqu’à la mort. D’autre part, selon certains auteurs (voir
le Dictionnaire…), Yonah ben Abraham Girondi (1200-1263), cousin de
Nahmanides et grand érudit, a lui aussi appartenu au groupe des
cabalistes de Gérone et, s’étant déplacé vivre
à Barcelone, a été le maître de ben Adret. |
81 | L’on sait que Salomon ben Adret (1235-1310),
successeur de Nahmanides et grand dirigeant du judaïsme catalan,
n’écrivit qu’un seul poème imprimé aux
réminiscences cabalistiques, comme l’assure M. Idel dans Sifrei
ha-Rashba, éditions M. M. Gerlitz, Jérusalem, 1986, vol. I (en
hébreu), ainsi que de nombreux textes du domaine juridique, religieux et
philosophique-scientifique. D’après ce même
spécialiste contemporain, dans le manuscrit anonyme Sefer
Ma’arékhet ha-Elohout se retrouvent beaucoup des enseignements
de Nahmanides et de son groupe, ainsi que d’autres traditions
cabalistiques d’écoles différentes. Les disciples directs de
ben Adret furent Yom Tob ben Abraham Asbili (1250-1330), né à
Séville mais ayant étudié à Barcelone, dont les
nombreux écrits ne laissent pas transparaître de reflets de ses
connaissances de la Cabale ; Sem Tob ben Abraham ibn Gaon qui, après
avoir vécu un certain temps en Catalogne et s’être
imprégné de la doctrine intérieure, émigra à
Safed, et dont les deux traités les plus spécifiquement
ésotériques sont Badde ha-‘aron u-migdal Hananel et Keter Chem Tob, une glose cabalistique du Commentaire du Pentateuque de Nahmanides et, finalement, Bahyah ben Asher, qui a longtemps
vécu à Saragosse où l’on dit que c’était
un exégète et un cabaliste, et qui a écrit un Commentaire sur le Pentateuque où il propose quatre niveaux de
lecture : littéral, homilétique, rationnel et cabalistique.
Quant à Isaac Todros, dirigeant politique de l’aljama de Barcelone,
l’on ne connaît de lui qu’un traité cabalistique, le Commentaire sur la Liturgie des Jours de Fête (Ms. Paris, BN 839)
et d’autres textes de caractère exotérique. Bien que
beaucoup moins connu, Joseph Chalom Achkénazi (fin du XIIIe siècle), qui a lui aussi vécu à Barcelone, publia un Commentaire sur la Genèse Rabbah (dont Mopsik cite un extrait dans
son Cabale et Cabalistes…) où il aborde le thème des dix sefiroth et leur correspondance avec l’être humain androgyne.
Tout cela nous démontre que dans la Cité Comtale également
existait un groupe actif de sages juifs qui s’intéressaient et se
consacraient à la vivification de l’ésotérisme de
leur tradition. |
82 | Ron Barkai et al. La Càbala. Fundació Caixa de Pensions. Barcelone 1989. |